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PORTRAIT – Depuis un an à la tête de Danone, qui a annoncé une jeudi 27 octobre une hausse de 9,5% de son chiffre d’affaire au troisième trimestre, cet expert des biens de consommation plus chef scout que chef de guerre doit réenchanter l’une des entreprises préférées des Français. Mais aussi l’une des plus difficiles à manœuvrer.
Le PDG du groupe français Danone, Antoine de Saint-Affrique lors de l’assemblée générale du groupe à Paris le 26 avril 2022.
La scène se déroule en avril dernier à l'aéroport de Boston: Antoine de Saint-Affrique, récemment nommé directeur général de Danone, tombe nez à nez avec Emmanuel Besnier. La rencontre fortuite du roi du yaourt avec l'empereur du camembert a de nombreux témoins. Une fois n'est pas coutume, le très secret président et actionnaire du géant laitier Lactalis est entouré de journalistes: en pleine opération de réhabilitation après l'affaire du lait contaminé à la salmonelle en 2018, il fait une tournée de ses usines nord-américaines sous le regard des médias. Les deux hommes se saluent et promettent de se revoir. Mais pour tous ceux qui se demandent alors quelle pourrait être la prochaine cible de l'audacieux Besnier, dont le groupe double de taille tous les dix ans, un scénario se dessine: pourquoi pas une OPA sur Danone, bien connu pour être une proie facile en raison de son capital éparpillé en Bourse?
Après deux décennies de croissance au pas de charge, Lactalis (21 milliards d'euros de chiffre d'affaires en 2021) aura en effet dépassé d'ici quelques mois le vénérable Danone (24 milliards), convalescent. L'entreprise qui produit Actimel, Activia, Danette, Evian et Blédina sort de la zone de turbulences et s'accroche à son nouveau patron. Souriant, à l'écoute, Antoine de Saint-Affrique cultive un style de chef scout plus que de chef de guerre. Il est vrai que Danone a vécu une crise de gouvernance inédite depuis deux ans et peine à convaincre sur sa capacité à développer à la même vitesse ses impératifs économiques et son ambition sociétale, le "double projet" dont on célèbre le 50e anniversaire. Alors, en ce printemps, la rencontre de Boston déclenche des rumeurs. Les banquiers d'affaires échafaudent des montages. Les gazettes publient les bans. Les investisseurs se frottent les mains. Beaucoup ricanent en expliquant que c'est trop gros pour le groupe de Laval (Mayenne) et qu'un tel mariage est impossible en raison des risques de monopoles dans le yaourt…
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Un mois plus tard, comme promis, les mêmes se retrouvent à Paris. Danone a annoncé sa volonté de se séparer de certaines activités peu stratégiques. Lactalis, qui a déjà racheté ses yaourts bio Stonyfield en 2017, est à l'affût. Mais l'ambiance est glaciale. "Antoine de Saint-Affrique était accompagné du président de son conseil, Gilles Schnepp. Ils ont dit sèchement à Besnier: “Une OPA sur nous? Même pas en rêve!”" raconte un consultant. Pas sûr du tout que le management de Danone puisse décourager un éventuel assaut boursier, mais l'épisode en dit long sur la constante fébrilité qui entoure l'entreprise et la détermination du nouveau boss à maintenir l'indépendance des crèmes Danette.
La première qualité d'un patron de Danone, c'est sa capacité à traverser les tempêtes les plus rudes. Ses prédécesseurs Franck Riboud et Emmanuel Faber en savent quelque chose. Ici, tout vire au psychodrame national (plan social chez Lu, fausse OPA de Pepsi-Co, assauts des fonds activistes, voire désaccords entre dirigeants). Faber en a payé le prix fort. Chahuté par son conseil d'administration et les fonds anglo-saxons Bluebell et Artisan, il a été débarqué "avec effet immédiat" en mars 2021 dans une ambiance de western.
Arrivé aux commandes après cinq mois d'intérim des deux directeurs généraux Véronique Penchienati et Shane Grant, Antoine de Saint-Affrique, 57 ans, n'a pas peur des vents contraires. Il a le pied marin. Sorti major de l'école des officiers de réserve de la Marine en 1987, pendant dix-huit mois il fut aspirant sur la frégate La Marne, escortant les pétroliers dans l'océan Indien et le golfe Persique, en pleine guerre Iran-Irak. "C'est la meilleure école possible pour apprendre à commander: il faut savoir écouter, faire confiance, être clair dans ses ordres", se souvient-il, ému, lorsqu'il évoque Madagascar, Dar es Salam, Mogadiscio et les îles éparses, escales hautes en couleur.

Dans le détroit de Tiran, en 1988. Officier de Marine, il a passé des mois à escorter des pétroliers en pleine guerre Iran-Irak: "La meilleure école pour apprendre à commander." (Collection personnelle)

A la rencontre des équipes indonésiennes, en 2022.                          Nommé à la tête de Danone au printemps 2021, après l'éviction d'Emmanuel Faber, Antoine de Saint-Affrique n'a pas peur des vents contraires.
A la rencontre des équipes indonésiennes, en 2022. Nommé à la tête de Danone au printemps 2021, après l'éviction d'Emmanuel Faber, Antoine de Saint-Affrique n'a pas peur des vents contraires. (SP)
Issu d'une longue lignée de serviteurs de l'Etat, jusqu'à son père qui a été l'un des rédacteurs de la Constitution de 1958, il a hésité à rester militaire. Son enthousiasme et sa loyauté auraient fait des merveilles. A l'époque, l'état-major fixait une route qu'il n'avait qu'à suivre parfaitement. Aujourd'hui, personne ne doute de sa capacité à mener la manœuvre et il jouit d'une excellente réputation opérationnelle. Mais on attend de savoir quel est son cap pour guider une énorme embarcation dans une mer rarement calme et même souvent parsemée de mines.
Antoine de Saint-Affrique est-il un stratège ou juste un excellent exécutant? "Je l'ai rencontré au moment de sa prise de fonction et lors de comités de groupe, explique Laurent Pouillen, le coordinateur national FO de Danone. Il est discret, moins médiatique qu'Emmanuel Faber, et paraît vouloir laisser une grande autonomie aux managers locaux. Mais on sent dans les messages qu'il poste sur les réseaux internes qu'il souhaite créer une réelle proximité."

En visite dans l'usine Evian, en 2021. En plus de son plan "Renew", qui vise à relancer la dynamique commerciale de Danone, il doit mettre en œuvre le plan "Local First" de son prédécesseur. (SP)
La filiale française a ainsi dû, comme les autres (excepté la Chine et l'Indonésie), mettre en œuvre le plan "Local First" décidé par Faber et que personne n'a osé stopper après son éviction. Il s'agit de regrouper toutes les sociétés du groupe sous une seule entité Danone, là où il existait jusque-là une société pour les marques de boissons (Evian, Volvic en France), une autre pour les yaourts et desserts végétaux, et une troisième pour la nutrition spécialisée (Nutricia) et la nutrition infantile (Blédina).
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Cette réorganisation permet de faire des économies de structure, mais elle a poussé vers la sortie quelques-uns des meilleurs commerciaux, logisticiens et cadres. Antoine de Saint-Affrique en a rajouté une couche, avec un énième plan, baptisé "Re-new", au risque d'encombrer un peu plus la chaîne de commandement. "C'est un plan de rénovation pour remettre le groupe d'équerre pendant dix-huit mois, explique la direction , avant un coup d'accélérateur sur l'innovation et le marketing."
De quoi toutefois inquiéter les salariés français transférés dans une nouvelle entité juridique. Ce qui oblige à corriger les grandes disparités de salaires. Priés par Saint-Affrique de renouer avec une culture de résultats, un certain nombre de managers ont vu apparaître un critère de "retour de valeur aux actionnaires" sur leur fiche de salaire depuis peu. Encore ce satané double projet, qui oblige à mener deux batailles en même temps: vendre toujours plus, tout en étant plus vertueux que les autres. D'autant que ce ne sont pas les seuls gènes dont Antoine de Saint-Affrique a hérité et qu'il doit transmettre à ses 100.000 "danoners".
Depuis près de huit ans maintenant, le groupe s'est engagé dans une certification sociale et environnementale B-Corp et promet, de surcroît, d'être exemplaire sur le sujet des emballages plastiques. "Sur le papier, Saint-Affrique, avec sa réputation de manager humain, intègre, et délivrant des résultats, a le profil idéal, explique l'associé d'un fonds d'investissement présent au capital de Danone. Pour le moment, nous lui faisons confiance, même si l'action en Bourse n'est pas très performante." Un euphémisme. Largement en dessous des 50 euros, le titre Danone menace en permanence de transpercer un plancher vieux de dix ans!
Malgré cela, Antoine de Saint-Affrique garde le sourire. "Je suis ici parce que je veux que Danone soit à nouveau Danone, c'est-à-dire une entreprise unique où l'on peut être à la fois entrepreneur et visionnaire" , explique-t-il, rappelant qu'il a commencé sa carrière comme stagiaire chez Kronenbourg, alors filiale de Danone, aujourd'hui intégrée au danois Carlsberg. Encore étudiant à l'Essec dans les années 1980, il rêve d'intégrer le Club BSN, un petit groupe de jeunes talents sélectionnés par le PDG Antoine Riboud. Mais il n'est pas retenu.
"C'était la boîte qui nous faisait tous rêver!" Il intègre toutefois une autre filiale, Amora-Maille, dont il finira par diriger le marketing. Puis il se retrouve, au fil des fusions et acquisitions, chez l'anglo-néerlandais Unilever, un conglomérat un peu froid où l'on chérit les dirigeants protestants, humbles et humains. Il y devient le patron de tout l'alimentaire. Il vit à Londres et apprend le métier de patron d'une multinationale pesant plusieurs milliards. Puis il part pour la Suisse en 2015, recruté comme PDG du spécialiste du chocolat Barry Callebaut.


Lors d'un séminaire Barry Callebaut, en 2018. Nommé PDG du groupe suisse en 2015, il l'a fait passer du statut de "fournisseur de cacao à celui de référence du chocolat". (A. Wiegmann/Reuters)
A 50 ans passés, Antoine de Saint-Affrique imagine ce nouveau défi comme le dernier de sa carrière. Il modernise l'entreprise, fait émerger son successeur et annonce même son départ à la retraite progressif en 2021. "Sous sa direction, l'entreprise est passée du statut de fournisseur de cacao à celui de référence du chocolat" , témoigne Isabelle Esser, alliée de trente ans qui l'a connu à Unilever, l'a suivi chez Barry Callebaut avant de le rejoindre, en avril, à Danone comme directrice de l'innovation. Elle a pour mission de relancer "la machine à faire rêver" de Danone, bien peu prolifique depuis Actimel, "le geste santé du matin", lancé dans les années 1990.
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Comme elle, Antoine de Saint-Affrique espère qu'Emmanuel Macron viendra en personne inaugurer le nouveau centre d'innovation de Danone à Saclay dans quelques semaines. Rien n'est confirmé. Il est loin le temps où l'Elysée, Matignon et Bercy bousculaient leurs agendas pour assurer la défense d'un fleuron national, potentiellement menacé par une OPA de PepsiCo. Après une longue carrière sans jamais avoir travaillé à Paris, Antoine de Saint-Affrique doit d'urgence se faire des amis sûrs et influents. Un autre talent indispensable pour protéger sa troupe.

A l'AG de Danone, avec Gilles Schnepp, le 26 avril 2022.                          Soutenu par le président du conseil, il est déterminé à maintenir l'indépendance de son groupe.
A l'AG de Danone, avec Gilles Schnepp, le 26 avril 2022. Soutenu par le président du conseil, il est déterminé à maintenir l'indépendance de son groupe. (E. Tschaen/Réa)
CE QU'IL AIME

Le confit de canard.
Cabrel et Ablaye Cissoko.
La République. Les discussions passionnées.

CE QU'IL N'AIME PAS

Les mondanités. Le foie de veau.
Les crues de la Garonne.
Les business books.
QUELQUES DATES


(Coll. personnelle)

26 décembre 1964.Naît à Boulogne-Billancourt.
1986.Stagiaire à Kronenbourg.
1987.Diplômé de l'Essec.
1997.Directeur marketing de Liebig-Amora-Maille.
2002.Diplômé de Harvard.
2009.Directeur général Food d'Unilever.
2015.PDG de Barry Callebaut.
Mai 2021.Directeur général de Danone.
CE QU'ILS DISENT DE LUI

Philippe-Loïc Jacob, administrateur de la Fondation Daniel et Nina Carasso: "Antoine aime ses clients. Il n'a pas hésité à faire le déplacement de Chicago à Buenos Aires pour rencontrer trois partenaires clés de Danone en Amérique latine."

Zahir Mechkour, secrétaire du CSE de Barry Callebaut France: "Nous avions rendez-vous le lendemain des attentats de novembre 2015. Tous les deux sous le choc, nous avons eu une discussion inoubliable, à bâtons rompus. Nous avons parlé de nos familles, nos origines, nos valeurs. Nos fonctions nous ont éloignés mais je sais qu'il n'a pas oublié, lui non plus."

Juergen Esser, directeur des finances de Danone: "C'est un stratège passionné par le terrain et la qualité des opérations. Humble et engagé, c'est un leader."

Pablo Perversi, président de la Fondation Cocoa Horizons: "Il est direct, concret, met les problèmes sur la table et les résout toujours. Il a permis à Barry Callebaut de doubler le prix de son action et ce n'est pas un hasard."

Rémy Gérin, directeur de la chaire "Grande consommation" de l'Essec: "C'est un dirigeant solide. Un passeur, il n'est pas en rupture et va faire éclore les meilleurs talents chez Danone car il place les personnes avant les process."
 
 
 
 
 
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