Yildune Lévy, le 13 mars, au palais de justice de Paris. (Photo Albert Facelly pour Libération)
Il accapare la parole, vocifère, déclame des exposés sur la procédure pénale à travers les âges. Elle est discrète, presque craintive, souffre chaque fois qu’elle parle à la barre. Au sein du groupe de Tarnac, ils formaient une entité propre : «Coupat/Lévy», mystérieux couple anarcho-libertaire dont les rares apparitions publiques fascinaient les médias. Aujourd’hui séparés, les ex-compagnons, poursuivis pour le sabotage de la ligne TGV-Est, demeurent unis par les idées politiques, mais adoptent des attitudes diamétralement opposées face au tribunal. Comme si chacun avait digéré l’histoire à sa façon.
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Durant toute l’instruction, Julien Coupat a farouchement réfuté être le leader du groupe de Tarnac. Une coquetterie répandue dans les milieux d’extrême gauche, où chacun est l’égal de son «camarade». Pourtant, c’est bien lui et son ami Mathieu Burnel qui s’octroient perpétuellement la parole à l’audience, animant une défense estampillée «collective». A 43 ans, Coupat est une figure mythifiée de la sphère d’ultragauche, un idéologue à qui les ministres de l’Intérieur successifs attribuent certaines mobilisations radicales, notamment les violentes manifestations anti-loi travail. Cette aura supposée, couplée à sa rareté médiatique – il n’a accordé qu’une interview télévisée en dix ans – a fait naître une réelle curiosité pour le public. Coupat, l’égérie altermondialiste, régale donc ses nombreux soutiens, massés chaque jour de part et d’autre de la salle des criées du palais de justice de Paris.
Tout au long de la première semaine d’audience, c’est une logorrhée acerbe que Coupat a déversée contre la tenue du procès pénal. S’inscrivant dans la filiation de son ex-avocat, Thierry Lévy – décédé le 30 janvier 2017 – l’activiste s’emporte : «J’ai un peu de connaissance de la procédure pénale. Elle n’a pas changé depuis le XVe siècle. Je ne serai pas ce vermisseau humain qui se tire-bouchonne devant l’auguste justice pour essayer d’amoindrir les charges qui pèsent sur lui.» Quant au procureur, Olivier Christen, il est taxé d’être «depuis des siècles inféodé à la parole du roi», et de souscrire à «une littérature policière fantasmatique». Assurément préparées, ces saillies prétentieuses nourrissent son ego, mais n’éclairent nullement le tribunal sur les errements pourtant abyssaux de l’enquête.
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«Virée romantique». A quelques mètres, Yildune Lévy, de neuf ans sa cadette, se fait infiniment humble. Derrière elle, ses vieux parents la rassurent, la cherchent du regard lorsque l’angoisse monte. La jeune femme abandonne volontiers les effets de manche à son ancien compagnon. Et raconte avec des mots simples son voyage de l’hiver 2008 aux Etats-Unis, pierre fondamentale de l’accusation. «Cela me paraît fou de devoir décrire ce séjour devant un tribunal, parce qu’il s’agissait d’une simple virée romantique», narre-t-elle, bouleversée. Arrivé au Canada, le couple squatte dans un premier temps chez une connaissance. Yildune Lévy trouve alors «dommage d’être si près des Etats-Unis et de ne pas aller voir». Si beaucoup de choses l’exaspèrent en terre yankee, d’autres la fascinent. Un soir, alors que le couple discute avec des potes, l’un d’eux assure que la frontière est une véritable passoire. «Avec Julien, on est contre la biométrie et on trouvait que c’était un sacré pied-de-nez de tenter d’entrer illégalement dans l’un des régimes les plus paranos du monde. Alors, on a marché dans la neige au milieu de la forêt, on s’est cassé la gueule un paquet de fois parce qu’on était équipés comme des branquignoles, mais on a réussi ! De l’autre côté, on a fait du stop pour New York. Et voilà, c’était si facile», sourit-elle, émue.
«Des couillons». A Manhattan, le couple flâne, visite musées, galeries, achète pléthore de bouquins. Les deux militants participent également à des réunions politisées dans divers appartements. Ils ne le savent pas mais, dans l’ombre, un agent britannique infiltré, Mark Kennedy, oriente le FBI sur leurs traces.
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A leur retour, la DCRI s’étonnera de retrouver la photo d’un centre de recrutement de l’armée américaine dans les nombreux clichés de voyage de Yildune Lévy. Pour les policiers, il ne peut alors s’agir que de repérages. Et ce d’autant plus que deux mois après leur passage, le 6 mars 2008, cette caserne a essuyé un jet de grenade. Yildune Lévy se défend : «Le FBI ne s’est intéressé à nous que parce que Mark Kennedy leur a dit de s’intéresser à nous. La construction de la menace terroriste possède une dimension tautologique. Ce centre, je l’ai pris en photo simplement parce que je n’avais jamais vu une emprise militaire bardée d’énormes panneaux de pub. C’était une curiosité.»
Des semaines plus tard, dans une note adressée à la police française, le FBI reconnaîtra qu’aucun lien ne peut être fait entre le passage à Times Square de Julien Coupat et Yildune Lévy et le jet de la grenade. «En fait, on était juste des couillons de touristes revenus avec des sacs blindés de souvenirs», ironise la jeune femme qui, à ce moment précis de l’audience, semble si loin de la matrice terroriste brandie par l’accusation.

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© Libé 2022
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