Ariadna a son rocher. Tous les étés elle y revient et s’y assied, face à la Méditérannée. Prend le soleil. Médite. Et «y capte de bonnes ondes, parce qu’ici, c’est à part, ça me recharge» vous explique cette chef d’entreprise catalane. Modèle de rationalité par ailleurs… Mais résumant là l’un des attraits du cap de Creus pour ses amoureux: sa capacité à vous faire renaître, à vous redonner le sens de l’émerveillement devant un paysage.
Rochers étrangement tourmentés, figés en animaux mythiques au détour du sentier, dolmens, masse imposante du monastère bénédictin de San Pere de Rodes ou ruines de l’ermitage Sant Baldiri perdues derrière Port de la Selva: ici, le rapport aux forces surnaturelles, au magique et au contemplatif ne date en effet pas d’hier. Et le lever de soleil suffit à vous convaincre: c’est bien au cap de Creus que la nuit des temps et le premier matin du monde se retrouvent régulièrement pour boire le café, au bar, après vous avoir peint des aubes de première classe… De celles qui vous donnent un fugace sentiment d’éternité.
Une parenthèse d’autant plus agréable, alors, que pour l’habitant de Midi-Pyrénées, ce petit bonheur là est tout près. à portée de week-end. Juste derrière la frontière, dans une petite bulle protégée. Car les traceurs de bitume ont ça de bon qu’ils vont toujours au plus droit. Passé le Perthus, le flot pressé coule vers Barcelone ou se répand sur la baie de Rosas. Et oublie ainsi sur sa gauche, à l’est, le cap de Creus.
Vous ? Vous avez donc préféré ralentir et tourner avant. Mieux. Vous vous êtes offert le luxe de la paresse par la côte, en arrivant de Collioure. Puis vous avez musardé par Llança, Port de la Selva. Bref, vous y êtes. Presque. Et tout va mieux soudain.
Parce que les petites criques sont toujours là, peintes à l’émeraude sous les rochers rouges. Peuplées de girelles, de dorades, de poulpes qu’on ira saluer tout à l’heure, d’un coup de palmes, le masque sur le nez. Mais surtout parce que le cap de Creus, ça commence bien là. Même s’il reste encore à prendre le col de la Perafitta pour redescendre ensuite sur Cadaquès avant d’aller jusqu’au célèbre phare de la pointe (1).
El Port de la Selva-Cadaquès-Cap de Creus… Triangle qu’il fait bon arpenter à pied, aussi, par les calanques, la côte ou l’intérieur. Pour humer la garrigue et respirer le passage du temps. Saluer les vestiges de la triade méditerranéenne du blé, des vignes, de l’olivier. Mesurer le travail de l’homme des paysans-pêcheurs d’autrefois qui construisirent ces cabanes de pierres plates, ces terrasses disparaissant progressivement. Un paysage où la nature reprend aujourd’hui tous ses droits. De force parfois. Un camion qui évacue des gravats, croisé sur la route… Juste à côté du phare, le Club Med avait un village à Tudela. Il a été rasé.
(1) Le Phare du Bout du Monde, film de Kevin Billington a été tourné là en 1971.
Statue tournant le dos à la mer au centre de la promenade ; T-shirts, vitrines ou enseignes déclinant à l’envi les montres molles, le sein de la « Galarina » ou les moustaches en crocs du maître… Salvador Dali est évidemment partout à Cadaquès. Jusqu’à vous donner parfois le sentiment de visiter le Mont Saint-Michel du surréalisme. Puisque tout est bon pour faire des sous avec le souvenir du génie excentrique.
De fait, Cadaquès doit beaucoup à Dali. Né à Figueras en 1904, le peintre y venait régulièrement, son père y possédant une maison. En 1929, c’est là que le poète surréaliste Paul Eluard vient lui rendre visite, accompagné de sa femme Helena Diakonova qu’il a surnommée Gala. Coup de foudre, elle restera avec Dali jusqu’à sa mort, en 1982. Mais scandale. Et fâcherie du peintre avec son père. C’est alors que Dali achète en 1930 une petite maison de pêcheur au nord du village, dans la crique de Port Lligat, maison qu’il ne cessera d’agrandir et dont il fera sa principale résidence, son atelier, aussi, en rentrant de New York en 1948, ayant fui l’Espagne en 1936.
« Ma mère faisait du ménage, chez eux. C’était un homme très gentil dans le quotidien, tout à son art et qui s’épuisait au travail. Elle, c’était autre chose. Elle ne s’occupait que de ses plaisirs… » se souvient alors ce vieux commerçant de Cadaquès. Et de poursuivre « c’est avec lui qu’est arrivée la modernité à Cadaquès, les jeans, le premier frigo. Mais les gens le détestaient parce qu’ils voulaient, vu sa fortune, qu’il paye pour tout, à Cadaquès, et lui refusait. » Mais une autre version court aussi : « en fait, il ne réglait jamais ses consommations et griffonnait sa signature sur un bout de papier en estimant que ça valait mieux que de l’argent » raconte un autre.
Quoi qu’il en soit… si Cadaquès doit une partie de son cachet au fait d’avoir été isolé par les montagnes du reste de l’Emporda, sa région, jusqu’à la fin du XIXe siècle, et de n’avoir eu pour ouverture véritable que la mer, le village “typique” doit à Dali de l’avoir protégé contre les promoteurs immobiliers. Dali qui quittera pour toujours Port Lligat à la mort de Gala, en 1982 et s’éteindra en 1989 à Figueras. Génie à retrouver dans sa maison et surtout, son Théâtre Musée de Figueras, indispensable à visiter puisqu’il balaye et éclaire l’ensemble de son œuvre (lire cadre, page de gauche).
Les méchantes langues disent que «c’est le Saint-Trop des Catalans». Très exagéré et injuste. Certes, dans le sillage des peintres Pitxot, Picasso, Miro ou des amis de Dali, l’ancien village de pêcheurs attire toujours des artistes et des touristes du monde entier dont certains s’asseyent à la terrasse du café Meliton pour y être vu… Mais pour le reste, c’est toujours un plaisir d’arpenter les ruelles, savourer l’ordonnancement des façades blanches, sur la baie, discuter dans des restos abordables. Pour se souvenir ainsi que Cadaquès était une parenthèse enchantée dans l’Espagne de Franco: le rendez-vous de «La Gauche Divine» des années 60. Groupe puis mouvement de jeunes artistes et de bourgeois fêtards qui s’y retrouvaient pour faire l’apologie de la démocratie. On y croisait alors l’architecte Ricardo Bofill, mais aussi des émigrés sud américains comme les grands écrivains Garcia Marquez ou Vargas Llosa.
Un bon investissement ? C’est la carte au 25 000e du parc naturel de cap de Creus. Les sentiers y sont bien indiqués pour aller découvrir à pied les criques du secteur telles que la Tavallera ou la côte sud, vers le cap de Norfeu. Mais avant de se transformer en randonneur et de rallier à pied El Port de la Selva à Cadaquès, ou Cadaquès au cap de Creus, voire Cadaquès à Rosas, on peut s’échauffer tranquillement tout en profitant de la côte grâce au Cami de Ronda, chemin de ronde très bien aménagé entre Llança et Port de la Selva, au nord de la péninsule. Parmi les balades que l’on recommandera, également à pied, l’ascension vers San Pere de Rodes. Une visite au monastère qui ne doit pas dispenser de la montée finale vers le château de Sant Salvador de Verdera: le panorama à 360° sur la région du haut Empordan couvre tout le cap de Creus mais aussi la baie de Rosas, les Pyrénées et les Albères, depuis ce belvédère, point culminant du parc naturel, à 670 m. Superbe.
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J'ai connu LLança en 1970. J'y suis repassé il y a 10 ans : j'ai pas reconnu. Sinon plus au sud, il y a Begur, Calella de Palafrugell, Tamriu, S'Agaro, Sant-Féliu et Tossa où les sites sont aussi respectés.
Cadaquès a su respecter l'environnement et maitrise l'urbanisation. D'autre part l'accès par cette route unique, étroite et toutes en courbes suffit à rebuter un peu le touriste. Malgré tout, Cadaquès voit sa population augmenter en été mais rien à voir avec St Trop. C'est beaucoup beaucoup moins bling bling. On y fait dans la discrétion et les affaires marchent bien.
Port de la Selve est plutôt familial avec sa plage de sable appelé par les habitants, la "plage des biberons" parce qu'on a pied très loin. :-)) La vie à Port de la Selve est moins couteuse qu'à Cadaquès. Llança … urbanisation de folie.

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