Les modèles emblématiques de Rolex, Patek Philippe, Audemars Piguet et Vacheron Constantin sont introuvables. Face à une demande extrêmement forte, aucun marché n'échappe à la pénurie et la revente flambe. Les montres de luxe font office de valeur refuge.
Par Virginie Jacoberger-Lavoué, Philippe Bernard (économiste)
Inflation ou pas, krach ou pas, guerre ou pas, Rolex croule sous les commandes. Une déferlante d'acheteurs prêts à s'offrir une montre de luxe après deux années de crise sanitaire. Les mariages et autres cérémonies, à l'occasion desquelles certains offrent des montres, sont de nouveau organisés. L'effet de rattrapage s'y ajoute. Mais le groupe, qui pèse, selon Morgan Stanley, 8 milliards de ventes annuelles, loin devant les 2,3 milliards de Cartier, peine à étancher la soif des amateurs. Comme ses rivaux d'ailleurs.
Une douzaine de modèles emblématiques, sont aujourd'hui introuvables en boutiques d'horlogerie. On les surnomme les « grands fauves », des montres très convoitées fabriquées par Rolex, Patek Philippe , Audemars Piguet et, dans une moindre mesure, Vacheron Constantin. La pénurie est patente.
« Nous sommes navrés, nous n'avons absolument rien en stock. Nous n'avons que des modèles d'exposition », explique le vendeur de la boutique Rolex d'un grand magasin parisien. « Impossible chez nous de vous mettre sur liste d'attente, même pour une Oyster Perpetual en acier (le modèle d'entrée de gamme de Rolex, NDLR) », ajoute-t-il.
« Pour la Daytona, le délai se compte en années, nous ne pouvons rien vous promettre », s'est entendu répondre un autre acheteur chez un spécialiste de l'occasion à proximité de la place Vendôme. « La Nautilus (de Patek Philippe), vous la voulez ? N'y comptez pas », telle fut la réponse à un client VIP à Genève de son vendeur attitré. A la faveur de « bonnes relations », il a pu l'acheter ailleurs sous réserve d'un délai de trois mois.
« Le client qui n'est pas régulier n'a absolument aucune chance d'acquérir une Daytona chez Rolex, une Nautilus chez Patek Philippe ou une Royal Oak chez Audemars Piguet. Les maisons n'en gardent pas moins quelques modèles pour leurs meilleurs clients ; la pénurie s'organise, la frustration se gère, mais personne ne vous le dira ouvertement », confie un dirigeant d'un des trois premiers groupes du secteur. Le fait que l'économie américaine soit repartie avant celle de l'Europe a déporté les stocks outre-Atlantique, ajoute un expert.
Dans ce décor, la montre d'occasion est devenue un bon filon. La revente, en forte croissance dès 2018, a flambé avec la pandémie. 2021 a été une année faste avec des sites de vente en ligne pointus et réactifs tel Watchfinder racheté par Richemont (2018). Les marques de luxe, longtemps restées à l'écart de ce marché, ont commencé à y pénétrer en proposant « des montres de seconde main certifiées ». Les modèles phares restent un bon placement. Pas besoin de se tourner vers les références vintage pour voir les prix flamber, une montre neuve est revendue en triplant aisément son prix de vente.
Les modèles les plus recherchés grimpent plus haut encore. Avec l'arrêt de l'annonce de sa fabrication en janvier 2021, la Nautilus 5711 de Patek Philippe est hyperspéculative. Certaines déclinaisons assurent à la revente des prix dix fois supérieurs, si ce n'est davantage. Il y a des envolées à 350.000 euros, voire près de 700.000 euros pour certains modèles – plus de 25 fois la valeur initiale. « De telles plus-values sur les montres neuves, c'est du jamais-vu », note un revendeur. Les plus aisés n'hésitent pas à acheter au prix fort, mais certains avouent être déroutés par le phénomène qui touche des modèles qui ne sont pas exclusifs et qui ne sont pas vendus en série limitée.
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« La rareté des produits Rolex ne relève pas d'une stratégie. La production actuelle ne peut répondre à la demande mondiale existante de manière exhaustive sans diminuer la qualité des montres, ce qui n'est pas envisageable. Aucun compromis sur la qualité ne sera jamais fait », répond aux « Echos » l'horloger suisse, dont l'ensemble de la production repose sur quatre sites helvètes. Il faut un an pour fabriquer une Rolex. Et les capacités de production ne peuvent pas s'élargir à l'infini. Mais pourquoi ne pas démultiplier la production d'un modèle particulièrement demandé au détriment d'autres ? Pas question de « tuer la poule aux oeufs d'or » ni de dépendre d'un seul modèle phare, avance un concurrent.
Dans un contexte mondial incertain et avec la Chine partiellement à l'arrêt, la bulle spéculative va-t-elle éclater ? 2021 a illustré à quel point la montre (surtout une Rolex ou une Patek Philippe) y était un placement, alors que Xi Jinping réitérait son discours contre la spéculation immobilière. Pour les modèles iconiques, la revente à prix d'or ne devrait pas se tarir. « Face à l'effondrement des cryptomonnaies, la montre apparaît partout comme une valeur refuge », assure un expert.
Virginie Jacoberger-Lavoué et Philippe Bertrand.
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