Gérard Horny — Édité par —
Temps de lecture: 8 min
Ce n’est pas prendre un grand risque que d’annoncer dès maintenant que la COP27 de Charm el-Cheikh ne sera pas un succès. Quoi qu’il s’y décide, cela sera jugé insuffisant par rapport à l’urgence d’une baisse des émissions de gaz à effet de serre et à l’importance des efforts à accomplir pour s’adapter au changement climatique qui a déjà commencé et va se poursuivre de toute façon. D’ores et déjà, presque plus personne ne croit qu’il est encore possible de limiter la hausse de la température moyenne du globe à 1,5°C par rapport à la période préindustrielle.
Le moins que l’on puisse dire est que les nations qui pèsent le plus sur l’environnement ne sont pas sur la bonne trajectoire. Le pays le plus étendu au monde, la Russie de Poutine, deuxième producteur mondial de gaz naturel après les États-Unis et troisième producteur de pétrole après les États-Unis et l’Arabie saoudite, a de toute évidence d’autres préoccupations.
Le pays le plus peuplé au monde, la Chine, est aussi le premier émetteur de gaz à effet de serre et le premier consommateur de charbon, lequel fournit encore plus de la moitié de son électricité. Même si elle investit massivement dans le nucléaire et les énergies renouvelables, la Chine continue à construire de nouvelles centrales au charbon et ne s’est fixé pour objectif la neutralité carbone qu’en 2060. Ses dirigeants affirment régulièrement leur volonté de décarboner leur économie, mais continuent à donner la priorité à leur sécurité énergétique (il est difficile de le leur reprocher, tous les autres gouvernements font de même).
Quant au pays le plus riche, les États-Unis, il est aussi le plus gros consommateur d’énergie, ce qui ne surprendra pas compte tenu du lien entre énergie et PIB, et le plus gros émetteur de gaz à effet de serre par habitant après le Canada.
À Charm el-Cheikh, le président Biden a rappelé son programme d’investissement de 370 milliards de dollars pour accroître la production d’énergie renouvelable et réduire les émissions de carbone, mais du temps s’écoulera avant que l’ensemble de la classe politique fasse sienne cette orientation et que le peuple américain adopte un mode de vie plus économe en énergie.
Dans ces conditions, il peut être tentant de céder au pessimisme et de penser qu’il n’y a plus rien d’autre à faire que de balancer de la soupe sur des tableaux de Van Gogh. Mais ce genre d’action ne sert qu’à faire passer les écologistes pour des zozos. Mieux vaut, du moins en Europe où le problème est davantage pris au sérieux par la classe dirigeante que ces militants peu inspirés ne semblent le croire, réfléchir et travailler à des actions concrètes.
Dans pratiquement tous les domaines, la réflexion avance et, même si les résultats concrets peuvent être encore jugés limités, des initiatives sont prises dans les secteurs les plus émetteurs de gaz à effet de serre.À LIRE AUSSI
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Prenons l’exemple de l’immobilier, qui est un très gros consommateur d’énergie (43% du total en France) et un gros émetteur (23% des émissions en France, sachant que d’autres estimations vont jusqu’à 30%). Ce calcul inclut tous les types de bâtiments (maisons individuelles, immeubles collectifs, bâtiments tertiaires), leur construction et leur fonctionnement (chauffage, climatisation, etc.).
Cela fait déjà des années que l’on travaille à mieux isoler les bâtiments, à chercher des matériaux et des modes de chauffage moins polluants. La nouveauté, c’est qu’il se développe des réflexions d’ensemble sur le sujet et que les professionnels de l’immobilier commencent à mettre cette problématique au cœur de leurs préoccupations.
Ainsi, le 8 novembre dernier, l’IEIF (Institut de l’épargne immobilière et foncière) organisait à Paris un colloque sur le thème «Immobilier, un nouveau monde». D’entrée de jeu, Xavier Lépine, président de l’IEIF, a expliqué à quoi risquait de ressembler ce nouveau monde: «Le Paris des années 2050 devrait ressembler au Marseille d’aujourd’hui, mais sans la mer ni le mistral… Nos villes vont devenir invivables.» Il s’agit donc de continuer à avancer sur la voie de la réduction des émissions et de commencer dès maintenant à prévoir notre adaptation aux nouvelles conditions climatiques.
Ce n’est pas gagné. Dans le n°100 de Réflexions immobilières, la revue de l’Institut, Jean Carassus, professeur à l’École des Ponts ParisTech, montre l’ampleur de la tâche: «Entre 1990 et 2015, en vingt-cinq ans, les émissions du secteur des bâtiments ont diminué de 4%. Pour atteindre la décarbonation en 2050, elles doivent diminuer de 49% entre 2015 et 2030, en quinze ans.»
Comme il le précise, cet objectif de 49% a été fixé au moment où la politique européenne visait une baisse globale des émissions de 40%. Depuis lors, l’Europe a décidé d’accélérer et de porter la baisse à 55%; notre Stratégie nationale bas carbone (SNBC) va devoir en tenir compte. Quant à l’adaptation au changement climatique, on n’en est encore qu’au tout début.
Mais, pour faire face à ce défi, nous ne sommes plus tout à fait démunis. Beaucoup de travaux ont été menés sur ce thème par plusieurs organismes publics et privés: l’Ademe (Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie, qui se définit maintenant comme l’agence de la transition écologique), qui travaille notamment sur l’urbanisme durable, l’association négaWatt qui dans son scénario 2022 trace les voies possibles pour aller vers un mode de vie plus sobre, la société de conseil Carbone 4, fondée par Alain Grandjean et Jean-Marc Jancovici ainsi que le groupe de réflexion The Shift Project, créé lui aussi par Jean-Marc Jancovici.
Dans le cadre du Plan de transformation de l’économie française du Shift Project, Rémi Babut, ingénieur et urbaniste, a animé les travaux sur le thème «Habiter dans une société bas carbone». Les têtes de chapitre de cette étude indiquent les pistes à suivre: massifier la rénovation globale et performante, décarboner la chaleur, mobiliser le bâtiment comme puits de chaleur (stockage du carbone dans les matériaux isolants notamment) et faire preuve de sobriété dans les constructions bas carbone.À LIRE AUSSI
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Sans rentrer dans le détail de chacune de ces actions nécessaires, on voit très vite à quels obstacles on se heurte. La rénovation des appartements doit être de grande ampleur (le Shift Project estime qu’il faudrait arriver dans dix ans à 1 million de logements rénovés) et complète (il ne s’agit pas seulement de changer les fenêtres).
Cela a un coût et, dans un immeuble collectif, cela suppose que tous les propriétaires soient d’accord pour entreprendre cette rénovation et puissent la financer, car il n’est pas possible de faire un travail sérieux sans rénover l’ensemble du bâtiment; on commence à mesurer l’ampleur du problème alors que se rapproche la menace d’une interdiction de location des «passoires thermiques». La solution passe nécessairement par des aides simplifiées et conséquentes. Pour l’État, il est donc impératif de redéfinir les objectifs poursuivis et les moyens à mobiliser, ainsi que la Cour des comptes l’a rappelé à la Première ministre en juillet.
Quant à la construction, elle pose quelques problèmes. Le Shift Project avance que, compte tenu de l’évolution de la démographie, il sera possible de prévoir une réduction progressive du nombre de logements à construire chaque année. Mais cette proposition est loin de faire l’unanimité dans le monde de l’immobilier.
Sur les douze derniers mois connus, d’octobre 2021 à septembre 2022, 367.846 logements ont été mis en chantier. Promoteurs et professionnels du bâtiment se plaignent de la hausse des taux d’intérêt et de la médiocrité de la conjoncture: ces chiffres déjà faibles risquent de baisser encore alors qu’il faudrait construire au moins 500.000 logements par an en France selon une opinion communément admise. Mais est-il réellement nécessaire d’en construire autant?
Les besoins sont importants: logements vétustes qu’il faut remplacer, logements nouveaux qu’il faut créer pour faire face à la hausse de la population et du nombre de foyers (à population égale, les modes de vie d’aujourd’hui font qu’on a besoin de davantage de logements qu’avant) et à la pénurie dans les zones qui attirent de nouveaux habitants. Mais les pouvoirs publics sont-ils en mesure de définir leur politique du logement à partir d’estimations fiables?
La Cour des comptes, encore elle, en doute et attire l’attention du gouvernement sur le fait que les estimations officielles varient entre 370.000 et 500.000 logements à construire par an et qu’il serait urgent d’établir des bases de données plus précises en concertation avec les collectivités locales.
On peut constater aussi que les Français sont moins à l’étroit dans les logements actuels que l’on a tendance à le croire. En fait, ainsi que le montrent les chiffres du logement publiés par le ministère de la Transition écologique, les logements sous-occupés sont –et de loin– les plus nombreux. Avant de songer à construire plus, d’autres actions seraient peut-être à envisager, comme par exemple favoriser le déménagement dans des appartements plus petits pour les foyers que les enfants ont quittés, qu’il s’agisse de logements sociaux ou de logements privés.
Pour le Shift projet, la priorité doit être donnée à la rénovation, moins émettrice de CO2 que la construction neuve. Actuellement, les 900.000 emplois liés au logement se partagent à 50/50 entre entretien et construction neuve; il serait souhaitable d’aller vers un rapport 3/4 – 1/4. Il n’est pas sûr que cette proposition soit de nature à enthousiasmer les promoteurs.
De même, le Shift Project suggère de réduire progressivement la place de la maison individuelle face au logement collectif. Ce mouvement est déjà en cours depuis une dizaine d’années, ainsi que le montrent les derniers chiffres de l’Insee, mais il n’est pas certain que les Français, très attachés à la maison individuelle, toujours majoritaire, soient prêts à voir une accélération du processus.
Bref, il reste beaucoup à faire pour décarboner le bâtiment et on avance encore trop lentement, mais des professionnels y travaillent en association avec les pouvoirs publics et le mouvement gagne en ampleur. Et l’on pourrait en dire autant des autres secteurs gros émetteurs de gaz à effet de serre et de ce qui se fait chez nos voisins. Évidemment, il faut dénoncer les gouvernements qui ignorent le problème et ne lui accordent qu’une importance limitée, mais il faut aussi saluer les initiatives porteuses d’espoir.À LIRE AUSSI
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Quand, par exemple, un groupe immobilier annonce la mise en chantier d’un bâtiment résidentiel dans lequel la température devrait pouvoir être maintenue toute l’année entre 22°C et 26°C sans chauffage ni climatisation, et affirme que des bâtiments de ce type peuvent être moins chers à construire et à exploiter que des bâtiments classiques, on devrait se réjouir et penser que la partie n’est peut-être pas tout à fait perdue. Ce ne sont pas les nouvelles de ce genre qui font le buzz sur les réseaux sociaux, mais c’est pourtant ainsi qu’on avance vers l’objectif zéro émission nette.
Ainsi que le soulignent les économistes Jean Pisani-Ferry et Selma Mahfouz dans un rapport que vient de publier France Stratégie, la transition énergétique ne va pas être une partie de plaisir, les difficultés sont réelles, mais «à long terme, c’est-à-dire à horizon de dix ou vingt ans, construire une économie neutre pour le climat est très probablement plus aisé qu’on ne le croyait encore récemment». Ce message-là est sans aucun doute plus important que tous les communiqués catastrophistes qui vont très probablement déferler à la fin de la COP de Charm el-Cheikh.
Gérard Horny
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