Au rez-de-chaussée d’une base de loisirs sous le viaduc de Clécy (Calvados), les participants d’un ultra-trail singulier se soumettent aux derniers tests médicaux. Ultime effort d’une semaine éprouvante dans les collines de la Suisse normande, pour une « aventure humaine, sportive et scientifique avant tout », pose avec un sourire fatigué Benoit Mauvieux, enseignant chercheur en STAPS (Sciences et techniques des activités physiques et sportives) à l’Université de Caen.
Après presque trois nuits sans sommeil, le Maître de conférences est éprouvé mais heureux. Son projet d’ultra-trail scientifique de 154 km, une première mondiale avec un protocole aussi poussé, jour et nuit, est une réussite : 60 coureurs, 70 chercheurs de 16 laboratoires, « pour suivre une quarantaine de variables du corps humain et essayer de cartographier l’ensemble des paramètres qui contribuent à la performance, sur le plan du pied, de la cheville, de la force musculaire, de la motivation. Et même des problématiques sociales : qui sont ces gens ? Ils souffrent, ils manquent de sommeil, et pourtant, ils prennent le départ ! »
Jeudi 11 novembre a été donné le départ d’une course qui avait commencé en coulisses par des tests préalables, dans les locaux de cette base de loisirs transformée en QG médical. Six boucles de 26 km (1000 mètres de dénivelé par boucle) au total, avec, à chaque passage devant la base, une pause de quarante minutes pour réaliser une nouvelle batterie de tests. « Le casque de réalité virtuelle était sympa », se remémore Stéphanie, une athlète. L’appareil était destiné à tester l’équilibre des coureurs. De nombreux dispositifs de pointe ont été installés à Clécy pour le protocole. D’autres ont été… avalés, comme un microcapteur pour mesurer l’évolution de la température corporelle pendant l’effort.
« On a été scanné du bout des orteils jusqu’aux cheveux ! Enfin, ils n’ont rien fait aux cheveux mais c’était moins une », s’amuse Stéphanie, volontaire, comme tous les autres, pour participer à une expérience « qui doit permettre de mieux nous connaître. On est content de faire avancer la science ». Un sentiment partagé par Loïc, au sortir de sa dernière prise de sang. Le sportif a ressenti, pour la première fois, « un gros coup de mou au point d’avoir envie d’abandonner ». Pourquoi ? « Mes ressentis m’apporteront peut-être des réponses, mais aussi l’étude. Je me demande pourquoi, dans une course de cette importance, j’ai eu ce sentiment. » C’est une des vocations de l’expérience : traduire, par les données, les sensations des coureurs. Y compris mieux comprendre les raisons qui conduisent à l’abandon.
L’ultra-trail est une discipline qui s’est assez vite démocratisée chez des mordus d’endurance. Des études existent, mais rarement avec un suivi intégral et pluridisciplinaire. « Les athlètes et leurs staffs ont finalement peu de données et de connaissances. En compétition, les athlètes ne s’arrêtent pas pour des tests, explique Benoit Mauvieux. Il y en avait au départ et à l’arrivée. Mais pour investiguer toutes les variables, il fallait monter un autre protocole. Ça m’a conduit à l’idée d’organiser cet ultra-trail. » Un projet mis sur pied avec Corentin Hingrand, ingénieur d’études au laboratoire COMETE de l’Université de Caen.
L’aventure dans les reliefs verdoyants de Clécy est aussi une aubaine pour les chercheurs, qui vont en apprendre davantage sur les mécanismes du corps humain pendant un long effort extrême. Le Dr Romain Jouffroy, médecin réanimateur anesthésiste à l’Assistance publique Hôpitaux de Paris, mesure par exemple les marqueurs inflammatoires. « Quand vous courez longtemps, vous avez la sensation d’une brûlure à l’intérieur. Nous essayons de voir si le ressenti se traduit biologiquement par une réponse inflammatoire. Et ensuite, si cet impact entraîne une dysfonction du cerveau. » Le protocole suivant les coureurs avant, pendant et après, les chercheurs vont pouvoir analyser l’évolution des données et les croiser avec celles prises par les autres spécialistes.
« C’est une démarche unique, souligne Amir Hodzic, cardiologue au CHU de Caen. On a pu, nous, suivre 30 coureurs à chaque boucle. La forme du cœur, sa fonction, son remplissage, comment il éjecte et comment ça évolue. Le traitement des données va prendre du temps. Ce travail sera très important. Nous aurons des relevés assez robustes pour comprendre ce qui s’est passé. »
À la clé, des conclusions que les organisateurs veulent grand public. Une mine d’informations pour les sportifs, pour mieux se connaître, se préparer et se préserver. Stéphanie, l’ultra-traileuse, témoigne : « J’ai des courbatures. J’aimerais expliquer leur apparition pour les limiter dans les courses suivantes car ça gêne beaucoup pour courir. » Une des nombreuses questions à laquelle l’étude fournira peut-être des réponses. Les chercheurs quittent en tout cas Clécy avec quelques valises sous les yeux, mais aussi et surtout, des valises pleines de données inédites et instructives.
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