(Simon Bailly/Liberation)
Les signaux, multiples, affluent de partout dans le pays. Il y a cette France écrasée de chaleur, qui meurt de soif et part en fumée l’été (62 000 hectares en 2022, un record). Il y a celle qui rétrécit, suçotée par la mer, à l’image de ces 126 communes littorales officiellement sommées par l’Etat de s’adapter à l’érosion côtière. Il y a celle qui, tout là-haut, fond si consciencieusement que les experts prédisent, pour 2050, des Pyrénées sans glaciers ! Ou encore cette autre, tapissée de bitume et de parkings, privée de sa biodiversité, qui s’inonde et se noie au premier gros orage… Si des doutes devaient subsister quant à l’arrivée de la tempête climatique en France, les dernières années les ont balayés : les tuiles pleuvent déjà, et sur tout le monde.
Reste qu’au cœur de ces territoires mis à l’épreuve, des femmes et des hommes s’organisent. Ce sont elles et eux que Libération a décidé d’aller rencontrer, écouter et donner à entendre, tout au long de l’année 2023. Le «Climat Libé Tour», conçu main dans la main avec des villes, métropoles et départements partenaires, s’en ira recenser les enjeux, bien sûr, mais aussi et surtout témoigner des solutions pensées et activées par les acteurs locaux. Des solutions qu’il s’agit bel et bien de partager si l’on veut espérer relever les défis de la transition écologique.
Au menu de cet événement inédit, donc : cinq grands rendez-vous, et une foule de problématiques à investiguer collectivement. A quelques semaines de la première étape bordelaise, tour d’horizon de quelques dossiers brûlants…
Dans ce territoire que peuplent 1 million et demi d’habitants, le sujet est brûlant : ici, en effet, la consommation de terres a triplé ces soixante-dix dernières années. La Loire-Atlantique, avec 95 000 hectares ôtés aux espaces agricoles ou naturels, fait même partie de la quatrième région française la plus artificialisée. En cause, un étalement urbain vorace qui bétonne les périphéries des villes pour loger une population en très durable croissance : +1,2% en moyenne chaque année.
Conscient que cette tendance est désormais un contresens historique, le département n’a pas attendu la loi climat et résilience de 2021, et son objectif de «zéro artificialisation nette» pour 2050. Dès 2017, le sujet a été inscrit à l’agenda. Et l’artificialisation commence à ralentir enfin : elle est passée de 1 205 hectares par an entre 2004 et 2009, à 365 hectares par an entre 2016 et 2020. Densification des villes, création d’écoquartiers, sanctuarisation d’espaces naturels sensibles… Les leviers sont connus. Les obstacles aussi : c’est bien l’ensemble des projets urbains qu’il faut réinterroger, et c’est une foule d’acteurs aux intérêts divers qu’il faut convaincre et embarquer. Parmi lesquels les promoteurs mais aussi les petites communes, souvent très friandes de lotissements et d’infrastructures.
Le réchauffement climatique est un poison mortel pour les villes. Paris est un cas d’école. Sa densité et sa minéralité favorisent les îlots de chaleur urbains qui consument la santé des humains, l’intégrité de la biodiversité et la pérennité des infrastructures. Dernier électrochoc en date : l’été 2022. «On a vu se dérouler sous nos yeux les scénarios lus depuis des années dans les rapports scientifiques», témoigne François Croquette, directeur de la transition écologique et du climat à la mairie de Paris. Et le plus dur reste à venir. «En 2085, les prévisions annoncent une moyenne de 34 jours de canicule et 35 nuits tropicales par an…»
S’adapter est donc une nécessité. Le défi est gigantesque : «De la mise à l’abri des plus vulnérables à l’isolation thermique du bâti, de la qualité de l’air aux essences d’arbres à faire évoluer, en passant par la viabilisation du métro, l’accueil des migrants climatiques ou l’accès à l’eau… C’est un nouveau regard, transversal et global, qu’il faut désormais porter sur la ville», prévient Julie Roussel, cheffe du département adaptation au changement climatique de la ville.
A court terme, Paris a besoin d’ombre. Alors, en attendant que les milliers d’arbres plantés prennent le relais, la ville a planché sur des ombrières artificielles. Six de ces modules de métal et de bois, qui génèrent chacun 35 m² d’ombre, ont été expérimentés cette année. Avec succès : entre 10°C et 15°C de moins à l’ombre, et un accueil positif des riverains. Place, en 2023, au déploiement.
Comment agir pour le climat lorsqu’on a bâti son économie locale sur une industrie lourde ? C’est la complexe équation que s’attache à résoudre Dunkerque. Ici, dans le Nord, il n’était pas question de renier l’héritage sidérurgique. «Nous avons très tôt eu la conviction que l’industrie était encore viable en France, et que laisser tomber les compétences et les savoir-faire locaux serait une erreur», témoigne Thomas Roussez, patron de la communication de la ville et de la communauté urbaine. Reste que Dunkerque, hôte du géant de l’acier ArcelorMittal, concentre 21% du total des émissions de gaz à effet de serre de l’industrie française… Il va donc falloir changer : «Finie l’industrie à la papa, énergivore et polluante. Nous investissons dans une industrie circulaire et décarbonée.»
L’objectif est de penser un nouvel écosystème, le plus intégré possible d’un point de vue énergétique. Illustration de ce changement de cap ? ArcelorMittal, justement. A Dunkerque, l’aciériste va troquer ses hauts-fourneaux au charbon pour des fours électriques. Des fours alimentés à terme à l’hydrogène… dunkerquois, produit dans le futur champ éolien offshore, sis face à la côte.
De l’hydrogène qui devrait profiter aussi à l’autre symbole du renouveau industriel local : l’arrivée de la giga-usine de batterie bas carbone de Verkor. En choisissant Dunkerque, la start-up française consolide l’idée d’une «vallée de la batterie» dans la région. «Ces bonnes nouvelles nous imposent toutefois des défis adjacents, note Thomas Roussez, loger celles et ceux que les 16 000 emplois espérés vont attirer dans le Dunkerquois, et former sur place les actifs de cette nouvelle industrie.»
Comment actionner la transition écologique tout en préservant, voire en approfondissant, la justice sociale ? Voilà la question fondamentale sur laquelle ont décidé de se pencher le département de Gironde et la ville de Bordeaux. L’enjeu n’est pas des moindres dans un territoire marqué par une double dichotomie. Géographique, d’abord, car voisinent ici des zones très peu habitées et une métropole qui concentre, elle, plus de la moitié de la population sur seulement 5% de la superficie totale. Sociale, ensuite, matérialisée par un tenace croissant de pauvreté qui s’étend du Médoc jusqu’à l’Entre-deux-Mers.
Pour contourner le risque d’une transition à deux vitesses, il s’agit bel et bien de «coconstruire» des politiques publiques qui embarquent tout le monde : les grandes comme les petites communes, les hypers urbains comme les ruraux, les plus outillés comme les plus vulnérables. Les sujets sont des plus concrets : résilience énergétique, accès équitable à l’eau, alimentation bonne pour tous, ou encore transport, avec l’épineuse question du futur de la voiture individuelle, au moment où les coûts explosent et que les zones à faibles émissions se concrétisent.
Parmi les solutions qui font déjà leurs preuves : la participation citoyenne. Ou comment associer tout un chacun à la gestion de la transition. Exemple typique avec Solévent, ce groupement formé en 2017 par une dizaine de citoyens girondins, avec pour but la production d’une énergie renouvelable locale. S’y activent aujourd’hui 150 «actionnaires» (citoyens, associations, collectivités et entreprises) qui développent des centrales solaires sur les toits des écoles. Une manière de décider, ensemble et démocratiquement, de leur futur énergétique.
Lyon devrait connaître, dans un avenir pas si lointain, le climat de Madrid ou d’Alger. Un avenir que la ville et la métropole, conscientes de l’urgence, anticiperont ensemble autour de trois grandes thématiques : mobilité, végétalisation, et générations futures.
Le volet mobilité, décisif sur un territoire pratiqué par 1,5 million d’habitants, aura beaucoup à voir avec la star des villes de demain : le vélo. La métropole est pionnière. Ses «voies lyonnaises», un maillage de 12 lignes adaptées et sécurisées, connecteront d’ici 2026 ville et périphéries sur près de 250 km.
La végétalisation, elle, est une question de quasi-survie… L’été 2022 est venu le rappeler : à Lyon, le mercure a franchi les 30°C pendant cinquante-deux jours cumulés. Les options ne manquent pas. Il y a l’espace public, bien sûr, mais pas seulement. Le plan nature de la métropole, lancé en 2021, aide par exemple les copropriétés dans l’achat de végétaux, afin de verdir le parc immobilier privé. La ville, de son côté, met le paquet sur les écoles. Elle vise la création de 152 «cours nature» dans les écoles et les crèches d’ici à 2026.
La «ville des enfants», troisième thématique de l’étape lyonnaise, fait partie intégrante de la stratégie municipale en matière de transition. Les projets sont multifocaux : «rues aux enfants» sécurisées aux abords des établissements, «conseils des enfants» dans les arrondissements pour insuffler de la démocratie locale, ou encore programme pour une alimentation saine et durable dans les cantines.
© Libé 2022
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