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Le diocèse de Paris dispose de près de 700 millions d’euros de biens immobiliers qui n’apparaissent pas dans ses comptes. Révélations sur un système légal aux allures de nébuleuse, alors que l’Église cherche de l’argent pour indemniser les victimes de prêtres pédophiles.
Une enquête de Laetitia Cherel, cellule investigation de Radio France
C’est un charmant hôtel particulier situé rue Barbet-de-Jouy, l’une des rues les plus prestigieuses du 7e arrondissement de Paris, cerné par les ambassades et les ministères, à proximité immédiate de l’hôtel Matignon. Un ancien membre du diocèse de Paris décrit ainsi la demeure officielle de l’archevêque de Paris :
“Lorsqu’on franchit la très belle porte cochère, une cour pavée donne sur l’hôtel particulier. Le rez-de-chaussée est occupé par des salons en enfilade et une grande salle de réunion. Au premier étage, se trouve l’appartement privé de l’archevêque, son bureau, ceux de son secrétaire particulier et de ses collaboratrices. À l’arrière se trouve un charmant jardin et à droite, la chapelle privée de l’archevêque.” Cet hôtel particulier a été légué par une riche paroissienne au début du siècle passé, afin que l’évêque de Paris en fasse sa résidence. C’est le cas depuis lors. La Cellule investigation de Radio France a fait évaluer ce bien par deux experts immobiliers. Ils l’ont estimé à un prix allant de 52 millions à 65,8 millions d’euros, en retenant la valeur du mètre carré. (La méthode d’évaluation utilisée est celle de la “base de comparables”. Elle consiste à identifier des immeubles similaires à celui qui doit être estimé, autant dans son usage et que dans son standing, ndlr).
Au total, le diocèse gère indirectement près d’une centaine d’immeubles. Parmi eux, celui qui abrite le siège social de Free, 8 rue de la Ville-L’Évêque, dans le 8e arrondissement de Paris, près de La Madeleine. Cet ancien presbytère est la propriété d’une société civile immobilière (SCI) détenue par l’association du diocèse de Paris, et dirigée par Bruno Cousin, le directeur administratif et financier du diocèse. Le bâtiment, d’une superficie de 6 800 m², est évalué entre 137 et 156 millions d’euros.
Dans le même arrondissement, à deux pas des Champs-Élysées, l’immeuble du 28 avenue George V dans le 8e, trône lui aussi fièrement. Construit dans les années 70 sur un terrain légué en 1877 par la très riche duchesse génoise de Galliera – dont la fortune serait comparable à celle de Bill Gates aujourd’hui – il dispose d’une superficie de 6000 mètres carrés, et il est évalué à environ 142 millions d’euros. À l’époque, la duchesse avait posé une condition : que ce terrain serve à “fonder un atelier chrétien pour jeunes filles ou jeunes garçons.” Ses souhaits ont été respectés : le Foyer Chaillot-Galliera héberge sur quatre étages “des jeunes femmes de 18 à 25 ans de toutes nationalités, qui cherchent un hébergement pour quelques semaines dans le cadre d’un projet professionnel”, comme le précise le site du Foyer Chaillot-Galliera qui vient d’être rénové. Mais l’immeuble propose aussi à la location un espace d’événementiel de 5 000 mètres carrés, luxueusement décoré, avec un auditorium de 350 places, auquel s’ajoutent 11 salles de réunions et 92 places de parking. Selon nos informations, le loyer annuel s’élève à 481 000 euros hors taxes. L’ensemble a été évalué, à la demande de la Cellule investigation de Radio France, à environ 142 millions d’euros.
Sur la centaine d’immeubles que nous avons découverts, des biens d’habitation pour la plupart, nous en avons fait évaluer quatre autres, dans les 7e, 15e et 12e arrondissements de Paris, dont la valeur totale est estimée entre 130 et 180 millions d’euros.
En dépit de la richesse qu’ils représentent, ni ces immeubles, souvent issus de legs, ni les revenus qu’ils génèrent, n’apparaissent dans les comptes du diocèse. Car officiellement, ce dernier n’a pas le droit de percevoir des revenus provenant de biens immobiliers. “La loi de 1905 interdit aux cultes de posséder des immeubles dits ‘de rapport’”, reconnaît Ambroise Laurent, le secrétaire général adjoint de l’épiscopat chargé des questions économiques et juridiques. Tout en restant dans la légalité, l’Église a donc mis en place un système de contournement de la loi. “Quand il y a un legs, un immeuble qui produit du revenu, on trouve un moyen, explique Emmanuel Tawil, spécialiste en droit des cultes, pour que ce ne soit pas l’association cultuelle qui en soit directement propriétaire.” Et l’un d’entre eux consiste à “passer par une SCI ou par une autre association qui devient propriétaire de l’immeuble en question”. Ce contournement permet aux diocèses de ne pas déclarer ces immeubles “interdits”. Ces derniers deviennent donc invisibles. “Comme nous n’avons pas la possibilité d’acquérir des biens immobiliers, nous n’avons pas de consolidation de ces biens dans nos comptes”, admet le secrétaire général adjoint de la Conférence des évêques. Les choses devraient cependant évoluer, car selon le spécialiste du droit des cultes, Emmanuel Tawil, “la loi dite ‘séparatisme’, promulguée en août 2021, devrait autoriser tous les cultes, dont l’Église catholique, à détenir des biens immobiliers.”
Pour trouver la trace de ces immeubles, il faut faire un travail de fourmi. Consulter les registres du commerce, sur des sites spécialisés tels que Pappers.fr , à condition de connaître le nom des SCI du diocèse : “association diocésaine de Paris” et “association immobilière diocésaine de Paris” pour qu’apparaissent enfin une liste de plus de 80 SCI appartenant au diocèse. Ce dernier nous a assuré qu’il n’existait aucun inventaire récent de ses biens. Selon un ancien membre du diocèse de Paris, il y en aurait cependant eu un dans les années 1990. À l’époque explique cette source, “outre les 115 paroisses et 115 services diocésains (comme par exemple les aumôneries hospitalières), sont apparues six-cents structures juridiques différentes”, (des associations, des SCI et quelques fondations). Parmi elles, un grand nombre détenait un patrimoine immobilier, et pour certaines, un patrimoine financier. Ces structures satellites étaient contrôlées par l’association diocésaine de Paris et par les paroisses, en particulier, très aisées du centre et de l’ouest de Paris.”
Contacté, le diocèse nous a confirmé que “ces SCI sont propriétaires de biens immobiliers d’habitation, pour la plupart, et de bureaux. Plusieurs sont aussi ou exclusivement propriétaires de biens immobiliers d’usage (écoles en particulier).” Pour estimer leur valeur, nous avons calculé le montant total du capital de chacune de ces SCI parisiennes, soit 166 millions d’euros, sachant que ce montant est très en deçà de la réalité, puisque la valeur de ces biens est souvent sous-évaluée de moitié, voire de trois-quarts. Si l’on ajoute au total de la valeur supposée des SCI, d’autres biens que nous avons faits évaluer, le prix des biens du diocèse atteint, selon nos calculs avec l’aide d’experts immobiliers, entre 625 et 710 millions. Et si l’on y ajoute le siège de la Conférence des évêques de France (qui n’appartient pas au diocèse de Paris mais à l’épiscopat) situé au 58 avenue de Breteuil, dans le 7e arrondissement, dont la superficie est d’environ 5 000m², cette somme est comprise entre 750 et 835 millions d’euros.
Interrogé sur ce patrimoine, un expert immobilier s’étonne : “On a du mal à imaginer que ça appartienne à un diocèse. C’est un beau portefeuille avec quelques pépites. La plus belle étant l’immeuble où habite l’archevêque. Pour certains biens, c’est du standing et de la rareté, et pour d’autres, on est au-dessus de la moyenne.” Quant à la question de savoir si ces immeubles se vendraient facilement, cet expert affirme : “ils peuvent évidemment trouver preneur. Ce sont des biens qui, soit, procurent un rendement intéressant, soit, sont des biens historiques prestigieux. Sur ces deux segments, il y a beaucoup de clients. Et si c’est bien géré, ça vaut plus cher que les estimations qu’on vous a données.”
Reste qu’il est parfois difficile, voire impossible, de vendre certains biens. D’abord, parce que les associations diocésaines sont tenues de consacrer leurs ressources uniquement à des activités cultuelles. L’indemnisation des victimes de prêtres pédophiles rentre-t-elle dans leur champ de compétence ? La question se pose sur un plan juridique. Par ailleurs, certains propriétaires qui ont légué des biens à l’Église l’ont fait sous conditions. “Quelques fois, explique Nicolas Senèze du journal La Croix, les donateurs imposent que leur bien serve à des mouvements de jeunesses, à aider les pauvres, ou aux frais de fonctionnement de l’Église. Elle ne peut donc pas les utiliser comme elle l’entend. Ce qui fait que, pour payer les réparations en matière d’abus sexuels, elle va parfois être gênée.” Il est, en effet, possible qu’un héritier se manifeste pour reprendre son bien, si sa destination a été modifiée.
Cependant, pour abonder le fonds d’indemnisation des victimes, l’Église envisage aussi de se délester de certains de ses revenus financiers. À Paris, ils ont généré 5,8 millions d’euros en 2020. Selon la revue en ligne Panorama Économique en 2020, ils “résultent d’une distribution exceptionnelle provenant du patrimoine immobilier à vocation cultuelle et issu d’un legs (1,7 million d’euros), ainsi que des placements financiers (…) Les ressources provenant de la gestion des actifs immobiliers détenus à travers des SCI et des actifs financiers sont en augmentation de 1 million d’euros comparativement à 2019.” Pour optimiser ses placements, le diocèse dispose de sa propre société d’investissement à capital variable (Sicav) qui contient 40 millions d’euros d’actifs. Une Sicav au nom évocateur de “Porteurs d’espérance” .
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