L’arrêt exclut classiquement le contrôle de la pertinence de la motivation mais étonne, d’une part, en faisant de la motivation des sentences arbitrales internationales un aspect automatique de la mission arbitrale et, d’autre part, en ne citant aucun élément de la sentence dont il contrôle la motivation.
À la suite de l’embargo économique et militaire décidé par le Conseil de sécurité des Nations unies contre l’Irak en 1990, un différend relatif à des contrats de vente de matériel militaire entre une société belge et des entités publiques irakiennes est né. Le tribunal arbitral alors constitué rend trois sentences arbitrales : deux sentences partielles, respectivement en 1996 et 1998, et une sentence finale, en 2003.
Les parties irakiennes forment deux recours en annulation contre la sentence partielle de 1996 et la sentence finale de 2003. La motivation de ces deux recours en annulation est identique : le tribunal arbitral aurait violé sa mission en ne motivant pas sa décision de retenir la responsabilité des sociétés irakiennes dans les dommages subis par leur cocontractante belge. Plus précisément, il est reproché aux arbitres de ne pas avoir expliqué la faute commise par les sociétés irakiennes et génératrice de leur responsabilité. Il est alors reproché aux arbitres d’avoir méconnu l’obligation de motivation comprise dans leur mission. Les recours sont formés au titre de l’article 1520, 3°, du code de procédure civile, qui sanctionne, en matière d’arbitrage international, l’hypothèse où le tribunal arbitral a statué sans se conformer à la mission qui lui avait été confiée.
La cour d’appel joint les deux recours en annulation et répond de manière unitaire pour les deux sentences. L’argumentation de la cour est en deux temps : aux deux premiers considérants qui constituent une réponse théorique – majeure du raisonnement – succèdent des considérants d’application à l’espèce – mineure du raisonnement.
La cour énonce tout d’abord que « l’exigence de motivation des décisions de justice est un élément du droit à un procès équitable » et « qu’elle est nécessairement comprise dans la mission des arbitres, même si elle ne figure pas dans le règlement d’arbitrage auquel les parties se sont soumises ». Puis elle explique que, « toutefois, le contrôle du juge de l’annulation ne porte que sur l’existence et non sur la pertinence des motifs de la sentence » pour enfin concrètement vérifier comment le tribunal arbitral a motivé ses décisions. Elle estime que le tribunal arbitral a exposé les motifs de sa décision et rejette en conséquence les recours en annulation.
Cet arrêt surprend, tant par les principes énoncés dans la majeure du raisonnement que par le contrôle opéré. Les contours extensifs de l’obligation de motivation des sentences arbitrales ici retenues sont en premier lieu en rupture avec les règles de droit positif. Le processus de contrôle des sentences peine, en second lieu, à convaincre. C’est donc tant par la délimitation de la motivation contrôlée que le contrôle de la motivation que cet arrêt suscite le débat.
Une motivation prétendument obligatoire
La cour d’appel énonce dans son premier considérant que « l’exigence de motivation des décisions de justice est un élément du droit à un procès équitable », formule qu’elle avait déjà employée à l’identique (Paris, pôle 1, ch. 1, 28 mars 2017, n° 15/17742, SASU Y & CO, inédit). La motivation des décisions de justice a en effet acquis valeur constitutionnelle (Cons. const. 3 nov. 1977, n° 77-101 DC ; 22 janv. 1999, n° 98-408 DC) et est protégée par la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH 19 avr. 1994, Van de Hurk, n° 16034/90, AJDA 1994. 511, chron. J.-F. Flauss ; ibid. 1995. 124, chron. J.-F. Flauss ; 9 déc. 1994, Ruiz Torija et Hiro Balani c. Esp., n° 18390/91, AJDA 1995. 124, chron. J.-F. Flauss ; D. 1996. 202 , obs. N. Fricero ; 28 juin 2007, Wagner c. Luxembourg, n° 76240/01, AJDA 2007. 1918, chron. J.-F. Flauss ; D. 2007. 2700 , note F. Marchadier ; ibid. 2008. 1507, obs. P. Courbe et F. Jault-Seseke ; Rev. crit. DIP 2007. 807, note P. Kinsch ; RTD civ. 2007. 738, obs. J.-P. Marguénaud ; S. Guinchard et al., Droit processuel, 9e éd., Dalloz, coll. « Précis », 2017, n° 437). La reconnaissance de ce droit n’implique toutefois pas qu’il ne connaisse pas de limites (L. Cadiet, J. Normand, S. Amrani Mekki, Théorie générale du procès, 2e éd., PUF, 2013, n° 199) ni que les parties ne puissent pas y renoncer.
La cour d’appel explique ensuite que « [l’exigence de motivation] est nécessairement comprise dans la mission des arbitres, même si elle ne figure pas dans le règlement d’arbitrage auquel les parties se sont soumises ». Cette formulation est inexacte. En effet, en arbitrage international, la motivation n’est pas obligatoire : les parties peuvent y renoncer (Civ. 1re, 22 nov. 1966, Gerstlé, JDI 1967. 631, note B. Goldman ; J.-B. Racine, Droit de l’arbitrage, PUF, 2016, nos 831 et 832 ; C. Seraglini et J. Ortscheidt, Droit de l’arbitrage interne et international, Montchrestien, 2013, n° 872). La motivation n’est dès lors pas « nécessairement » comprise dans la mission de l’arbitre. Elle peut l’être, mais uniquement si les parties l’ont voulu. Cette volonté peut être expresse, elle peut également être présumée, dans le silence des parties (Paris, 16 juin 1988, Swiss Oil c. Petrogab et République du Gabon, Rev. arb. 1989. 309, note C. Jarrosson ; v. aussi Paris, 8 mars 1990, Coumet c. Polar-Rakennusos a Keythio, Rev. arb. 1990. 675 [2e esp.], note P. Mayer : « Si la procédure d’arbitrage ne relevait pas en l’espèce d’une loi de procédure déterminée, l’acte de mission, par la précision qu’il donne des questions en litige soumises à l’appréciation de l’arbitre, tenu de statuer en droit, fait présumer une volonté commune des parties de soumettre l’arbitre à l’obligation de motiver sa sentence. » ; v. aussi, de manière analogue, Paris, 30 mars 1995, Fabre et autre c. Espitaller et autres, Rev. arb. 1996. 131 [somm.], obs. J. Pellerin ; 20 juin 1996, Société Paris c. Société Razel, Rev. arb. 1996. 657 [somm.] ; 15 mai 1997, Société Sermi et Maître Hennion, ès. q. c. Société Ortec, préc. ; 5 mars 1998, Société Forasol c. Société mixte Franco-Kazakh CISTM, Rev. arb. 1999. 86, note E. Gaillard.). À l’inverse, lorsque les parties y renoncent, la motivation n’est pas comprise dans la mission des arbitres.
C’est précisément cet élément de choix qui explique que la motivation, en arbitrage international, ressortisse au cas d’ouverture de la conformité de l’arbitre à sa mission (C. pr. civ., art. 1520, 3° ; P. Giraud, Le devoir de l’arbitre de se conformer à sa mission, Bruylant, 2017, n° 216-220). Cette « mission » est composée d’éléments conventionnels qui participent directement de la mission juridictionnelle arbitrale (P. Giraud, op. cit., n° 146). Elle n’inclut pas les éléments obligatoires, c’est-à-dire les éléments que les parties ne peuvent modifier.
À l’inverse, en arbitrage interne, la motivation est imposée ; elle constitue alors une obligation arbitrale. Aucune latitude conventionnelle n’est admise. Faute de cet élément de volonté, la motivation ne relève alors pas de la mission de l’arbitre visée au troisième cas d’ouverture (C. pr. civ., art. 1492, 3°). Est-ce à dire que son absence n’ouvre pas la voie à l’annulation ? Non. Le législateur a logiquement ouvert un cas spécifique qui permet de sanctionner des éléments qui ne procèdent pas de la volonté des parties : l’article 1492, 6°, du code de procédure civile.
Les sentences d’espèce relèvent de l’arbitrage international. Or il se déduit de l’arrêt que le règlement d’arbitrage ici applicable ne prévoit pas que la sentence doive être motivée. Malgré cela, à défaut de renonciation des parties, ces dernières sont présumées souhaiter la motivation des sentences. La conformité de l’arbitre à sa mission (C. pr. civ., art. 1520, 3°) est alors le fondement pertinent d’un tel contrôle. Il convient d’en déterminer l’étendue.
Une distinction classique entre existence et pertinence
La cour poursuit sa « majeure » par un second considérant énonçant l’objet du contrôle de la motivation : « toutefois, le contrôle du juge de l’annulation ne porte que sur l’existence et non sur la pertinence des motifs de la sentence ». Une telle affirmation est classique (Paris, pôle 1, ch. 1re, 10 avr. 2018, B. du Moulin et autres c. SAS ITM Alimentaire Ouest, n° 16/16588, Rev. arb. 2018. 476 [somm.] ; 29 mai 2018, Société Wilkes Participações SA c. Companhia Brasileira de Distribuição, Rev. arb. 2018. 478 [somm.]). Elle permet de concilier deux objectifs antagonistes. D’un côté, un contrôle effectif de l’obligation arbitrale de motivation. De l’autre, le refus de la révision au fond. La cour d’appel de Paris a déjà explicité ce lien en jugeant que « si la sentence doit être motivée, seule l’absence de motifs est sanctionnée, le juge de l’annulation, auquel la révision au fond est interdite, n’ayant pas à apprécier la pertinence de la motivation » (Paris, 27 juin 2002, SA Compagnie commerciale Comecim c. Société Theobroma NV, 2001/07329, Rev. arb. 2003. 427, note C. Legros).
Ayant énoncé que son contrôle ne portait que sur l’existence et non la pertinence de la motivation, la cour d’appel cherche enfin à démontrer l’existence d’une motivation quant à la faute à l’origine de l’engagement de la responsabilité des sociétés irakiennes. Le contrôle qu’elle met en œuvre surprend, lui aussi.
Les recours arguaient de la violation, par le même tribunal arbitral, dans deux sentences distinctes (sentence partielle de 1996 et sentence définitive de 2003), de son obligation de motivation. Pour y répondre, la cour joint les deux recours en annulation « dans l’intérêt d’une bonne administration de la justice », au motif qu’ils concernent « deux sentences rendues au cours de la même instance arbitrale ». Or la réponse unique des magistrats parisiens mêle des éléments issus des deux sentences partielles pour expliquer qu’une motivation apparaît « à travers les différentes sentences partielles rendues dans la même instance ». Mais la cour ne cite étonnamment aucun élément de la sentence définitive, qui est pourtant l’une des deux sentences dont l’annulation était demandée pour motivation défectueuse.
Un tel mode de contrôle pose la question de savoir si la motivation d’une sentence peut être contrôlée au regard de la motivation résultant des différentes sentences rendues au cours de la même instance arbitrale. Il n’est pas gênant que la cour utilise des extraits issus de plusieurs sentences rendues dans la même affaire, précisément dans une espèce où l’objet du litige avait été divisé en trois sentences successives. En effet, la décision finale ne peut se comprendre sans référence aux sentences partielles antérieures. En revanche, il est étonnant qu’aucun extrait de la sentence définitive, dont l’annulation est pourtant recherchée, ne soit cité. La démonstration de la conformité de l’arbitre à sa mission n’est alors pas évidente. La cour accepterait-elle de juger qu’un arbitre dont il est reproché d’avoir manqué à sa mission d’amiable compositeur dans une sentence A a correctement exercé cette mission, comme le révèlent les sentences B et C rendues dans la même instance ?

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