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L’essentiel reste de ne pas se tromper d’escalier. Pour accéder à sa nouvelle exposition «Im Wald» (Dans la forêt), le Landesmuseum de Zurich n’invite pas à gravir les marches de l’énorme degré conduisant le visiteur au premier étage du bunker construit par les architectes Christ & Gantenbein. Il lui faut emprunter à sa place une étroite volée, aussi sympathique que l’escalier menant de la chambre à lessive de mon immeuble à mon hall d’entrée. Nous sommes dans le béton brut, brut, brut. Moche, moche, moche. Mais au moins comme ça, au musée national, le public arrive-t-il au début, et non à la fin de sa manifestation sur les arbres de la préhistoire à nos jours.
Conçu par Pascale Meyer, Regula Moser et Noëmi Crain Merz, «In Wald» tient de ce que l’on eut jadis appelé à Broadway un «All Female Cast». Il n’y a que des femmes au générique, en commençant par les trois décoratrices. Comme de coutume ici, ledit générique se révèle aussi copieux que celui d’une superproduction hollywoodienne. Le Landesmuseum souffre à mon avis de surpeuplement. Mais le résultat se révèle au moins réussi. Presque autant que la récente présentation au même endroit des stèles préhistorique dont je vous avais parlé avec enthousiasme. Au musée national, il ne semble du reste pas exister de voie médiane. C’est très bien, ou alors complètement raté. Je garde ainsi un souvenir cataclysmique de «L’Europe à la Renaissance» qui avait marqué en novembre 2016 l’ouverture de l’aile Christ & Gantenbein.
Mais de quoi s’agit-il cette fois? De raconter aux visiteurs les bois depuis la lointaine préhistoire jusqu’au dérèglement climatique actuel. Tout débute avec un immense écran, où bougent des arbres centenaires, et une cimaise noire sur laquelle brille l’un des dix-sept ou dix-huit «Bûcheron» de Ferdinand Hodler. La version avec un coin de ciel bleu ressemblant à une toile abstraite de Mark Rothko. Le public se retrouve ainsi placé d’emblée au milieu du combat millénaire opposant l’homme à la nature. Il y a aussi là, écrite en gros, une phrase du poète Günter Eich: «Qui voudrait vivre sans le réconfort des arbres?» Le monde alémanique s’est toujours montré plus sensible aux zones vertes que l’aire latine. Les Romains, qui étaient des défricheurs, s’opposaient déjà à des Germains vénérant sous la conduite de druides le bruit du vent dans les branches…
«Qui voudrait vivre sans le réconfort des arbres?»
Des herbiers d’ici et d’ailleurs. Des objets millénaires trouvés en Suisse par les archéologues. Et le métal apparaît. Bronze et fer, avec toutes les bûches nécessaires à la fonte. Née il y a environ treize millions d’années, la forêt actuelle subit alors ses premières amputations. Elle devient un bien à exploiter. Un document de 1263, couvert de nombreux sceaux, montre dans une vitrine l’accord difficilement obtenu entre les hommes libres de la région et une abbesse zurichoise. Il n’y a pas que la coupe des arbres en jeu. Le problème de la chasse se pose aussi. Elle demeure en principe réservée aux nobles. Il faudra attendre 1800 pour qu’elle devienne ouverte à tous, avec le danger de l’extinction des gibiers. D’où une loi fédérale en 1875. La leçon de choses s’accompagne ici de tapisseries anciennes, d’un merveilleux «Saint Hubert» de Cranach prêté par le prince de Liechtenstein ou d’une chasse au cerf du très sous-estimé peintre zurichois Conrad Meyer, exécutée en 1660.
Passe le temps. La promenade en forêt devient un divertissement à l’époque romantique. Les commissaires proposent ici un florilège de toiles suisses allant de Caspar Wolf à Alexandre Calame, avec une focalisation sur le Lucernois Robert Zünd qui reste le chantre par excellence des zones boisées. Cette admiration de surface cache un déboisement dramatique dans notre pays au XIXe siècle. La Suisse ressemble alors, en plus petit bien sûr, à l’Amazonie d’aujourd’hui. Des coupes claires massacrent montagnes et campagnes pour agrandir les surfaces cultivables et fournir du combustible à l’industrie naissante. Le flottage des troncs au printemps, documenté par des photos anciennes, saisit le visiteur aux tripes. Le Landesmuseum montre la lutte entreprise par quelques hommes (Johannes Wilhelm Lanz, Paul Sarasin…) afin que la Confédération intervienne enfin. Ce sera chose faite en 1876. Avec succès. Depuis 1900, la forêt helvétique a gagné vingt-deux pourcents de terrains supplémentaires, et la hausse se poursuit avec l’abandon de l’agriculture de montagne…
Mais il n’en va pas partout ainsi, comme le redécouvre le public dans des espaces aux murs toujours plus clairs, car désormais dénués d’ombre. Les combats actuels pour sauver «le poumon de la Planète» en Amazonie se voient reflétés par les efforts entrepris dès la fin des années 1940 par les Suisses Anita Guidi, qui était peintre (pas très bonne, hélas), et Armin Caspar. Puis dans les années 1990 avec Bruno Manser disparu (sans doute assassiné) en 2000. Un vrai militant, bien dérangeant! Ce n’est pas au Brésil qu’on va multiplier comme ici les parcs nationaux sous l’égide d’un Pro Natura fondé chez nous dès 1907!
L’exposition se termine, sur fond blanc, avec des œuvres contemporaines. Il y a là de grandes photos de Thomas Struth tirées de sa série «Paradise». D’immenses gravures signées Franz Gertsch. Les images de la forêt provisoire créée par Klaus Littmann en 2019 sur le terrain de football du stade de Klagenfurt. Une œuvre réconfortante, vite démentie par deux autres venant clore abruptement le parcours. Dans un film en noir et blanc, Julian Charrière nous montre jusqu’à l’écœurement de grands troncs tombant sous la scie des bûcherons. Et l’olivier millénaire dupliqué par Ugo Rondinone, qui l’a laqué en blanc, est bien sûr mort. De quoi faire ressortir le public… avec une gueule de bois. Mission accomplie. Une chose qui n’empêche guère la Ville de Genève de faire couper depuis plusieurs années des arbres centenaires sous le prétexte qu’ils seraient sans doute, peut-être ou éventuellement malades. J’ai encore vu disparaître deux gros platanes la semaine dernière dans l’indifférence. Nous sommes en Suisse romande. En pays latin.
«Im Wald», Landesmuseum, 2, Museumstrasse, Zurich, jusqu’au 17 juillet. Tél. 044 218 65 11, site www.landesmuseum.ch Ouvert du mardi au dimanche de 10h à 17h, le jeudi jusqu’à 19h.
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