L’homme qui marche, goûtant chaque brin du gazon moelleux, s’émerveillant encore de la taille parfaite des allées, beau visage buriné, port altier et cheveux blancs n’a plus 64 ans depuis longtemps, comme lui et son état civil le prétendent pourtant. Non, en réalité, Patrick Sermadiras, propriétaire du manoir d’Eyrignac a toujours eu 16 ans. Et si les traits adolescents ont fait place au masque de l’âge adulte, il reste ce gamin qui seul croyait, il y a 48 ans, contre la réprobation familiale, à la folie paternelle. Apôtre de ce père à la fois fantasque, sage et taiseux, Patrick Sermadiras fera plus que croire. Il évangélisera à ses côtés les terres en friches d’Eyrignac, propriété de la famille depuis cinq siècles.
« Le parc du château n’a pas été du tout entretenu pendant la première moitié du XXe siècle. Mon grand-père était notaire et ça ne l’intéressait pas. A sa mort, mon père a repris sa charge, mais n’a tenu que 6 mois. Il n’était pas fait pour ça. Il a l’a vendue pour s’occuper des 200 hectares d’exploitation de la famille. » Touche à tout, Gilles Sermadiras se lance dans la décoration, créé « Maisons et jardins », sera le pionnier du salon de jardin, créant d’abord pour lui, puis pour Joséphine Baker, voisine dordognote, ou encore Christian Dior. C’est à cette période qu’il se pique de réhabiliter les jardins d’Eyrignac. Il fait venir des bulldozers qui arrachent la quasi-totalité des plantations laissées à l’abandon. Homme de goût, amoureux du beau, il trace lui-même les plans et y fait implanter les trois essences typiques des jardins à la française : l’if, le charme et le buis. « Moi je demandais qui allait entretenir tout ça. Lui me répondait qu’il voulait créer un jardin qui n’aurait pas besoin d’entretien. (Sourire) C’est là où on voit bien qu’il n’y connaissait rien. »
Les premières années, tout pousse effectivement sans entretien. Puis la nature reprend ses droits. En 1974, son père donne Eyrignac à Patrick Sermadiras. « J’avais une situation à Paris, une agence de publicité, j’ai pu engager un jardinier, ce qui pour moi était à l’époque le summum du luxe. » Perfectionniste, maniaque même comme il se résume lui-même, Patrick Sermadiras fait les choses comme elles doivent être faites. Mais un jardin coûte une fortune et le pubard se décide sans peine à ouvrir au public : « Je ne pensais pas qu’autant de monde s’y intéresserait ». Aujourd’hui le manoir emploie 12 personnes à l’année, dont 6 jardiniers, accueille environ 90 000 visiteurs par an, ce qui couvre 90 % des frais d’entretien de la propriété.
Gilles Sermadiras est mort il y a deux ans, en ayant vu les transformations et la gloire d’Eyrignac. Patrick parle de leur tandem un peu comme on parle d’un couple, la retenue en plus : « On était d’accord sur tout. Il était le penseur, moi le faiseur. » S’enquérant de l’héritage moral du lieu, le fils avait demandé au père, avant sa mort, ce qu’il devrait faire d’Eyrignac, après : « Surtout ne touche à rien ». On n’améliore pas la perfection.
plants > De buis, charmes et ifs. Composent les jardins d’Eyrignac, dont 200 sont taillées en topiaires. Eyrignac c’est aussi 4 ha de gazons, 30 tontes par an, 7 km linéaires de bordures découpées au moins 10 fois par an.
« Fier comme Artaban ». La phrase pourrait servir de devise à ce jardin extraordinaire qu’est Eyrignac. Elle serait d’autant plus appropriée qu’elle est tirée de « Artaban » roman de Gauthier de Costes de La Calprenède, aïeul de l’actuel propriétaire des lieux, Patrick Sermadiras. Une histoire de famille donc.
Le jardin, qui s’étend autour du manoir familial, couvre environ huit hectares. La pièce maîtresse est sans conteste l’allée des charmes, créée en 1966 par Gilles Sermadiras, père de Patrick. Il s’agit d’une allée de 100 mètres, composée d’une double enfilade de colonnes d’ifs, enlacés de guirlandes de charmes taillées en forme de contrefort en spirale.
Patrick Sermadiras, qui assure ressentir encore des frissons à chaque fois qu’il la traverse, aime la présenter comme « Les Champs-Elysées du Périgord ». Impeccablement entretenu, le jardin est tout sauf monotone, présentant des trésors d’art topiaire, depuis l’allée des charmes donc, jusqu’au jardin français, en passant par le jardin blanc. Une merveille. Un rêve.
Les jardins d’Eyrignac, Manoir d’Eyrignac, 24690 Salignac Eyvigues. Tél. : 0 553 289 971. Ouvert tous les jours de 9h30 à 19 heures Tarifs : 9,50 € (adultes), gratuit pour les moins de 7 ans. Exposition de sculptures de Dietrich Klinge jusqu’en septembre.
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