Deux spectacles cultes, « La Mastication des morts » et « L’Art du rire », sont visibles en ce moment dans le In et dans le Off d’Avignon.
Annulé en 2020, dégradé en 2021, le Festival d’Avignon revit cet été. Les masques sont minoritaires. Aux terrasses, aux abords des théâtres, les festivaliers sont là et les compagnies y croient. Si on recense 1 570 spectacles dans les 138 lieux du Off, c’est aussi parce qu’un tiers d’entre eux sont en fait des reprises déjà montrées lors des éditions précédentes. À la Scala Provence, nouveau lieu fort de quatre salles dont une de 600 sièges (du jamais-vu dans le Off !), l’art de la reprise est assumé. La Machine de Turing et Une histoire d’amour, deux gros succès, servent ainsi de locomotives aux créations jouées dans les trois autres salles (200, 100 et 60 places).
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Comme le In, certains théâtres avignonnais parmi les meilleurs (la Manufacture, les Halles, le Train bleu, l’Artéphile, le Transversal) prennent le risque de n’accueillir que des nouveautés. Cette année, une exception confirme la règle dans le In : La Mastication des morts, créée il y a vingt-trois ans dans le jardin de la Chartreuse, à Villeneuve-lez-Avignon, sera visible du 21 au 26 juillet au même endroit.
Le titre claque, le dispositif est aussi original que saisissant avec ses 22 comédiens et sa quinzaine de figurants allongés dans des cercueils ouverts à la nuit tombante. Le public, équipé de petits tabourets pliants, déambule entre les tombeaux, de manière à s’approcher et à se poster où il veut. Bigre, les macchabées sont bavards ! L’un était un poilu en 1917. Un autre a fait Mai 68. Voici un accidenté de la route et, tiens ! il y a un fossoyeur… Tous enterrés dans le même village imaginaire, ils content leurs histoires. Acclimaté, le spectateur devient complice amusé. Les gisants claquent des dents, se lèvent. À travers leurs souvenirs de la vie, la mémoire du XXe siècle refait surface.
Créé ici même en 1999, cet « oratorio funéraire » a marqué le public au point d’entrer illico dans la légende. Légende avivée par le suicide, le 29 février 2000, de l’auteur, Patrick Kerman. « Nous nous sentions décapités et en même temps portés par le bel élan de ce spectacle joyeux, c’était très étrange », se souvient Joël Fesel, scénographe historique du groupe Merci, ce collectif théâtral dont Kerman fut le premier auteur.
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Depuis, tout en jouant d’autres écrivains, tous bien vivants, le groupe a remonté plus de 140 fois sa fameuse Mastication dans des friches industrielles, des salles polyvalentes ou sur des terrains communaux. Mais jamais en région parisienne, où il a pourtant été demandé. « Soit faute de lieu, soit faute de budget, on a dû renoncer. Comme beaucoup de nos spectacles, la Mastication est un objet surdimensionné qui dépasse notre économie », dit Joël Fesel.
Le groupe Merci a par ailleurs perdu l’an dernier le Pavillon Mazar, son lieu historique à Toulouse, faute de pouvoir le racheter. Il dévoilera toutefois en septembre J’accepte, une flambante création sur le consentement numérique.
« Théâtrophile avant d’être francophile », prévient-il avec une pointe d’accent belge, Jos Houben s’est formé à l’art dramatique à l’école Jacques-Lecoq, dans les années 1980 à Paris. Il y est devenu professeur, animant à ce titre des ateliers sur l’art du clown, le mime et le burlesque, en France, à Londres ou à Dakar. Imprégné de ces expériences, ce fan de Jacques Tati et de Raymond Devos (« deux observateurs qui célèbrent la vie sans la tirer vers le bas ») a fini par présenter L’Art du rire en 2007 aux Bouffes du Nord, à Paris.
Nous sommes à la fois des ratés et des virtuoses, et c’est notre condition
Dans ce seul en scène devenu culte, joué plus de 600 fois en français et visible tous les jours (à 14 heures) jusqu’au 30 juillet à la Scala Provence, Houben se joue lui-même. Il conduit une master class d’anthropologie qui, une heure durant, dissèque les mécanismes du burlesque. S’adressant directement au public, il analyse la démarche des bébés, le regard compassionnel des chiens ou le petit air hautain des poules. « C’est un propos sur la virtuosité de l’humain, tragique et drôle, explique le comédien, auteur, metteur en scène. Il tombe, mais il retrouve son équilibre. Nous sommes à la fois des ratés et des virtuoses, et c’est notre condition. »
Le spectacle de ce Flamand aussi bavard que drôle, maîtrisant sa gestuelle avec la précision d’un danseur, n’a jamais existé en néerlandais. « J’ai essayé, mais ça ne marchait pas, j’ai dû perdre l’agilité de ma langue natale », dit-il à regret. Il admet cependant n’avoir jamais non plus cédé les droits de sa pièce. « On me l’a proposé mais, au fond, le conférencier de L’Art du rire, c’est moi, et c’est peut-être le secret du spectacle », suggère celui qui, dès les années 1980, montait à Londres et à Paris des spectacles de poésie burlesque à succès avec Simon McBurney et Marcello Magni (A Minute Too Late, The Right Size).
Plus tard, au moment où il jouait dans Fragments, de Samuel Beckett (2006), Houben a aussi été proche de Peter Brook, témoin des premières versions de son Art du rire. « Brook [décédé le 2 juillet à 97 ans] disait que nous ne sommes pas sur terre ni au théâtre pour prendre des leçons. Je me donne l’air de faire le contraire, mais c’est pour rire, bien sûr. Et je lui dédie toutes les représentations d’Avignon. »
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