L’affaire Méric, du nom de ce militant d’extrême gauche, tué sous les coups d’un groupuscule d’extrême droite en 2013 à Paris, a fait émerger de funestes souvenirs à Bagnols. 
Les politologues regardent souvent dans le rétroviseur en expliquant que les jeunes générations se détournent de plus en plus de la politique. La mort de Clément Méric, militant “anti-fasciste” de 18 ans, lors d’un affrontement avec des militants des jeunesses nationalistes révolutionnaires, il y le 5 juin 2013 à Paris, rappelle douloureusement le contraire. Mais surtout que cette violence extrême au sein de la jeunesse, n’est pas nouvelle. Et ressurgit régulièrement sur fond d’idéologie politique et de raccourcis. Avec son cortège de victimes comme Brahim Bouarram, jeté le 1 er mai 1995 dans la Seine à Paris, par des militants provenant des rangs de la manifestation annuelle du Front national. A Bagnols aussi, le drame a été évité de peu. Le 20 mars 1992, Gaël Pelletier, lycéen de 19 ans, était blessé par balle par un militant du Front national à Bagnols. Retour sur un événement troublant.
Le drame se noue en mars 1992. En pleine campagne électorale pour les régionales, qui verront la réélection de Jacques Blanc à la présidence du conseil régional, dans un contexte où les partis de gouvernement (PS, UDF et RPR) sont en crise et où des forces nouvelles commencent à sortir du bois. Deux jours avant le scrutin du premier tour, un meeting du Front national est prévu au centre culturel de Bagnols, en présence de Lorrain de Saint-Affrique, à l’époque secrétaire fédéral du FN, et Charles de Chambrun, tête de liste FN dans le Gard. Le docteur Jean Liabeuf, conseiller municipal frontiste de Bagnols fait partie des invités. De jeunes militants de la Section carrément anti Le Pen (Scalp) créée en 1984 à Toulouse après la manifestation du 6 juin contre le fondateur du Front national, décident de s’inviter à la fête pour protester contre la tenue de la réunion publique. Parmi eux, un lycéen de 19 ans, en terminale à la cité technique des Eyrieux à Bagnols, Gaël Pelletier et son frère Joël. Une quinzaine de jeunes débarque avec la ferme intention de montrer les dents. “Messieurs, il n’y aura pas de réunion ce soir, elle est renvoyée”, lance Gaël Pelletier par provocation. Le ton monte, le service d’ordre du FN, tente alors d’interdire l’accès de la salle aux trouble-fête.
Un homme sort un 22 Long rifle
Côté FN, un homme sort une arme, un 22 Long rifle, et vise les jeunes. Gaël Pelletier, au premier rang, est touché d’une balle, presqu’à bout portant, au thorax. Il est aussi blessé au poignet pour s’être protégé avec sa main. La balle aurait pu lui être fatale. S’ensuit une bagarre générale. La Supercinq rouge du docteur Liabeuf est attaquée à coup de batte de baseball. “Quand j’ai vu mon frère blessé, je suis allé à mon camion chercher une batte et lorsque la voiture a foncé vers moi, j’en ai mis deux coups sur le pare-brise et j’ai transporté mon frère à l’hôpital”, confiera le soir-même Joël Peltier à Midi Libre. Le tireur, qui avait réussi à prendre la fuite, a été rattrapé quelques jours plus tard par les hommes du commissaire Jean-Jacques Quesnel et écroué dans la foulée à Nîmes, était un enseignant retraité du nom de Paul Brousse. Membre du service d’ordre du FN, il figurait en quatrième position sur la liste du parti de la flamme tricolore aux municipales de 1989.
“Si quelqu’un a été blessé, je ne pleurerai pas”
“On savait que ce genre de réunion pouvait amener de l’agitation, mais là ça a été l’étonnement pour tout le monde”, confie-il aujourd’hui. La famille Pelletier avait intenté une action contre le docteur Liabeuf pour ses propos à l’encontre de Gaël : “Si quelqu’un a été blessé, je ne pleurerai pas sur un de ceux qui ont tout cassé, surtout si c’est quelqu’un qui militait contre le FN”. Au lendemain, plus de 50 % de votants de Bagnols s’étaient déplacés aux urnes, un taux de participation presque jamais vu pour des régionales. Le FN engrangera près de 20 % des suffrages, confirmant sa percée dans les urnes au niveau national. D’ailleurs le candidat Jacques Blanc avait réagi entre les deux tours : “Si les choses ont dégénéré à Bagnols, c’est parce que certains, jusqu’au gouvernement ont contribué à créer un climat de violence autour de cette campagne”. Le même qui en 1998 avait été élu avec les voix du Front national.
Mille personnes manifestaient pour dire non à la violence
En 1992, l’épisode avait secoué la ville. Le 23 mars, un millier de personnes étaient descendues dans les rues pour dire “Non à la violence gratuite”. François Saurel, l’ancien proviseur de la cité technique, n’y était pas étranger. Vingt ans plus tard, il se souvient avoir été “très choqué”. S’il voit un contexte différent aujourd’hui dans l’affaire Méric, reste une similitude : “Les comportements d’hier n’ont pas changé et c’est la faute aux institutions. Nous campons sur des binômes gauche-droite, extrême gauche-extrême droite, or en période de crise mieux vaut se rapprocher”.
Peu après, des militants créent le collectif “Ras l’front” bagnolais
Dans le cortège, des élèves, des profs de la cité technique des Eyrieux et du lycée Gérard Philipe, des élus dont Gilbert Baumet, sénateur et président du conseil général, le sénateur socialiste Claude Pradille, des conseillers de la majorité municipale. Dont Serge Rouquairol, lui aussi enseignant à la cité technique : “J’avais été bouleversé. J’avais d’ailleurs eu Gaël Pelletier dans ma classe. Il a failli y laisser la vie. Mais j’ai toujours été profondément choqué par la violence en politique. Qu’un service d’ordre soit armé ou que des opposants soient armés, c’est scandaleux. Je préfère la participation à un meeting qu’une gifle”. C’est à cette époque que plusieurs militants communistes ou d’extrême gauche, élèves et profs de Bagnols ont créé un collectif Ras l’Front à Bagnols.

source

Catégorisé: