La ville de Rennes
©Franck Hamon
François et Martin Giboire.
©Groupe Giboire
Franck et Jérôme Launay.
©Sten Duparc
Rennes concentre un nombre élevé d’entreprises familiales investies depuis plusieurs générations dans l’immobilier. Comment vivent-elles cette crise inédite qui a terrassé tout un secteur ? Enquête  
Du jamais vu. L’année 2024 aura été celle des tristes records dans l’immobilier. Au niveau national, ces derniers mois ont été marqués par des défaillances historiques d’agences immobilières, mais aussi de constructeurs de maisons individuelles et des défaillances de promoteurs pourtant en pleine santé il y a encore quelques mois : cet été le lyonnais AST Groupe, numéro deux de la construction de maisons neuves en France, a été placé en redressement judiciaire. Vinci Immobilier avait annoncé un plan social, suivi de Bouygues construction et Nexity. Et à Rennes, terre immobilière historiquement dense qui accueille un grand nombre d’acteurs, comment cela se passe ? « Depuis un an, je me dis que comme les permis de construire ont diminué de 30 à 40 %, on devrait avoir 30 % de défaillances. En réalité ce n’est pas le cas. On s’attendait à une vague mais en fait pas du tout », observe Clément Villeroy de Galhau, président du Tribunal de commerce de Rennes.  
 
Il y a bien eu quelques défaillances en Bretagne : la liquidation du constructeur de maisons passives Woodz récemment, la société Les Maisons rennaises liquidée il y a un an, ou encore l’entreprise familiale Maison Delta, mais pas de plans sociaux à l’horizon ni de cession. « On observe globalement une explosion des mandats de prévention de 84 %. J’en ai actuellement 150, dont 5 concernent des entreprises du BTP avec 2 entreprises de gros œuvre et une de second œuvre. Dont des entreprises familiales qui organisent leur cession », détaille le président du Tribunal de commerce.  
 
Kermarrec, Angevin, Blot, le groupe Arc mais aussi, Lamotte… Constitué en grande partie par des entreprises fami­liales, l’immobilier rennais serre les dents en silence. « C’est très compliqué. C'est compliqué pour tout le monde », confie Vincent Legendre, président du directoire du groupe éponyme. « Depuis un an, on est passés en mode économie de guerre », confie un autre dirigeant du secteur. « Ce n’est pas réjouissant mais on n’a pas procédé à de licenciements. On est peut être plus exigeants sur les projets. C’est très compliqué sur la métropole rennaise mais on a des projets dans les stations balnéaires », expliquent François et Martin Giboire, cousins, respectivement co-directeur général des activités de promotion et d’aménagement et directeur général du réseau d'agences, 4 e génération à la tête de l’entreprise familiale.  
 
De mémoires familiales, cette crise est particulière parce qu’elle touche à la fois l’offre et la demande. « Ce qu’on vit est une crise très sévère. On avait eu une crise du même acabit en 1993. J’en avais fait mon mémoire de fin d’études », se souvient Franck Launay. C’est à cette période, en 1994, qu’il devient président de l’entreprise familiale, à seulement 24 ans pour prendre le relais de son père. « Là, on est face à un marché qui fait – 50 % en 2 ans et demi avec peu de visibilité et des contraintes et normes qui s’amplifient », poursuit-il. Depuis 30 ans qu’il pilote la PME de 130 salariés avec son frère Jérôme, directeur général, le groupe n’a cessé de grandir. Ensemble ils ont aménagé, en plus des 30 programmes immobiliers, 18 ZAC et 50 lotissements pour un rythme annuel de 750 livraisons. « Lui s’occupe des finances, de la gestion interne, et moi de l’opérationnel. On a une règle entre nous : il faut qu’on soit tous les deux d’accord, si l’un dit non, c’est non », explique Franck Launay. Du côté du groupe Giboire, chacun s’est aussi réparti les rôles à l’instar de ce qu’avaient fait leurs parents. « On capitalise sur l’expérience de nos parents. On a 100 ans d’expérience. La crise actuelle, on en discute avec nos pères, nos oncles. Ils ont connu celle de 93, celle de 2008. Nos grands-parents ont connu l’après-guerre où c’était difficile », explique François Giboire.  
 
En période de crise, le modèle familial apparaît plus que jamais comme le plus résilient. Si ces groupes familiaux résistent, c’est surtout grâce à leurs fondations solides. « Nous avions 340 M€ de fonds propres à fin 2022 pour un chiffre d’affaires de 204 M€. Ce qui est inversement proportionnel aux standards de la profession. Nous avons donc une assise financière confortable », confiait François Giboire il y a quelques mois. « On a aussi des terrains dont on est propriétaires depuis 30 ans. J’ai évidemment des objectifs mais je regarde à 30 ans. Il s'agit surtout de pérenniser le capital familial. En cette période compliquée, je me dis qu’une entreprise familiale, avec un capital stable, est un super modèle plein d’avenir. On n’a pas besoin de fixer des objectifs à 3-5 ans, j’essaie de le faire comprendre à mes partenaires financiers », avance Vincent Legendre. Même objectif au sein du groupe Launay qui n’oublie pas la leçon transmise par leur père qui a fondé le groupe en 1989, à Rennes. « On est guidés par le temps long, on y va par paliers, pas de développement boulimique. On a toujours été très opérationnels, très proches du terrain », expliquent Franck et Jérôme Launay. 
 
En attendant que la tempête passe, les deux frères en ont profité pour réfléchir à une diversification de leurs activités alors que leurs 4 enfants finissent justement leurs études supérieures en école de commerce et urbanisme. Pour contrebalancer l’activité cyclique d’aménageur, ils envisagent de se lancer dans l’hôtellerie et la réhabilitation. Une diversification et une transmission réfléchie, qui prend la forme de cours particuliers. « Ces derniers mois, on a initié un conseil de famille avec nos enfants qui se réunit au moins 2 fois par an avec des rencontres avec nos directeurs qui viennent expliquer, transmettre. On fera aussi intervenir des amis entrepreneurs comme Olivier Clanchin ou Thomas Beaumanoir qui viendront partager leur expérience après l’intégration dans l’entreprise familiale », explique Jérôme Launay.  Cette diversification vers l’hôtellerie est aussi un choix fait par le groupe Giboire qui construit actuellement son premier hôtel à la Baule. Un 4 étoiles d’une centaine de chambres. D’autres hôtels sont déjà en projet dont un entre Courchevel et Méribel, mais aussi dans les Alpes-Maritimes, au sein de la Tour Bretagne à Nantes ou encore dans le sud Finistère. Une diversification qui s’inscrit dans le cadre du plan stratégique Imagine 2027 du groupe, qui, parallèlement au développement de nouveaux métiers (syndic, coworking), s’attaque aussi à de nouveaux territoires géographiques (Auvergne-Rhône-Alpes, Arc méditerranéen et Nouvelle Aquitaine).  
 
Ces deux entreprises familiales rennaises suivent un chemin déjà tracé par d’autres Rennais : le groupe Legendre qui a dépassé l’an dernier le milliard d’euros de chiffre d’affaires avec désormais des filiales au Portugal ou en Suisse, ou encore le groupe Duval (6 000 salariés). Né promoteur immobilier il y a 30 ans, il opère aussi dans les résidences de tourisme (ODalys), les golfs (Bluegreen), et mène aussi une activité de promoteur en Afrique. En pleine crise, deux ans après avoir repris le rennais Maisons Demeurance (100 salariés), il vient de reprendre à la barre du Tribunal de commerce le normand Maisons Clair Logis pour construire un réseau national autour de la rénovation. 
 
Ces stratégies de développement basées sur la prudence et le temps long, semblent ancrées culturellement en Bretagne. « La plupart des entreprises rennaises ont été fondées à la campagne, où la culture est : “ On ne dépense pas l’argent que l’on n’a pas. Et on ne vend pas ! ” Regardez par rapport à Nantes : ETPO, Aethica ou encore NGE, ils n’hésitent pas à vendre. Ce n’est pas le cas à Rennes », raconte un des acteurs du marché immobilier rennais.  Rennes fait figure d’exception nationale. « Parce que Rennes est une exception nationale en termes de présence d’acteurs. La concurrence locale est rude. Si vous êtes bons à Rennes, vous serez bons partout », constate un dirigeant qui vogue entre Paris et Rennes. « Je dirais qu’à Rennes, où la concurrence est forte, c’est naturel d’être dans le partenariat avec la collectivité, à l’écoute mais aussi dans l’humilité, dans un urbanisme négocié, analyse Franck Launay. Par exemple, je ne vais pas me positionner sur un terrain et déposer un permis de construire sans avertir la mairie. Je réalise que ce n’est pas le cas partout. Je m’en suis rendu compte quand on s’est développé à Lyon et Annecy (en 2019 et 2022). Quand vous réussissez à Rennes, vous réussissez partout. » Être Rennais serait donc un gage de succès, en espérant aussi que la crise assainisse un marché local attractif mais marqué par une avidité grandissante. « En 2021, il y avait tellement d’acteurs. C’était n’importe quoi. Pour un seul foncier, il y avait 30 promoteurs dont certains cassaient les prix pour pénétrer le marché », se souvient un dirigeant. 
Cet article est issu du hors-série API Mag spécial Ille-et-Vilaine sorti en décembre 2024, disponible en kiosque et sur notre e-shop.
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