Les santons relèvent presque moins du culte religieux que de la tradition provençale. Ce patrimoine régional continue à vivre grâce aux santonniers et artisans de la région, qui, entre crise économique et concurrence des santons fabriqués à l’étranger à bas coût, se retrouvent menacés.
Chaque année, à l’approche des fêtes de Noël, les santons de Provence réapparaissent un petit peu partout. Pour les santonniers, la période est cruciale. Presque 80 % de leurs ventes s’opère en novembre et décembre. Dans les magasins spécialisés, les foires aux santons et même les grandes surfaces, ces petites figurines provençales se vendent, symbole d’une tradition régionale qui ne perd pas de son attrait.
A Lucéram, dans les Alpes-Maritimes, le parcours des crèches voit une densité unique de ces santons à cette période de l’année. Le petit village azuréen compte quelque 500 de ces scènes, inaugurées ce samedi 4 décembre.

Si son succès ne semble pas faiblir, cet artisanat traditionnel est en proie à des menaces plus lointaines, comme l’apparition de répliques faites à bas coût venant du monde entier. 
Sur le Vieux-Port de Marseille, comme chaque année depuis 1803, la foire aux santons est bien présente. “C’est la 220e année consécutive, annonce fièrement Michel Bouvier, président de l’Union des fabricants de santons de Provence (UFSP) et de la foire aux santons de Marseille. On a tout traversé : les guerres, la crise, le covid, …” 
Le santonnier est ravi, cette année il a vu beaucoup de monde dès l’ouverture de la foire le 19 novembre dernier. Pas moins de 25 santonniers y sont présents. Parmi eux, les ateliers Marcel Carbonel, parmi les plus reconnus pour leur savoir-faire depuis 1935. Pas moins de 35 personnes y sont employées. “Nous faisons 4 foires en direct, mais nous avons aussi des revendeurs qui font des foires pour nous“, explique Baptiste Vitali, à la tête des ateliers Marcel Carbonel et vice-président de l’UFSP.
Il y en a tous les week-ends un petit peu partout en ce moment, mais la majorité ne marche que moyennement.
Paul Garrel, lui, conceptualise et réalise ses santons tout seul à Rocbaron. Le santonnier varois fait 5 à 6 foires par an. “Je n’ai pas assez de stock pour en faire plus, avoue-t-il. Et le problème de ces foires, surtout si elles sont longues, c’est qu’elles immobilisent le stock.” Car chaque année, il y a de plus en plus de foires aux santons en région Provence-Alpes-Côte d’Azur. Nous en avons recensé au moins 36 en Provence (voir la carte ci-dessous).
Pour Michel Bouvier, cela commence à faire beaucoup, d’autant qu’elles ne sont pas toutes rentables. Un constat que partage Paul Garrel : “Il y en a tous les week-ends un petit peu partout en ce moment, mais la majorité ne marche que moyennement. Quand il y en a 5 sur 30 kilomètres, forcément, c’est compliqué.” 

S’il y a autant de foires, c’est que le santon, en symbole de la tradition provençale, continue d’attirer. Parfois à des endroits où on ne l’attend pas. “Je suis aussi beaucoup sollicité par des domaines viticoles qui veulent faire leur propre marché de Noël, ils savent que ça fait venir du monde”, déclare Paul Garrel qui s’y est toujours refusé. Si les foires sont une source de revenus importante pour lui comme pour la plupart des santonniers, depuis quelques années, Paul Garrel vend aussi sur internet. Il y réalise à présent près de 50% de ses ventes.
En tout, selon l’UFSP, plus d’un million de santons sont vendus chaque année, ce qui représente un chiffre d’affaires supérieur à 10 millions d’euros que se répartissent les 151 santonniers recensés. Une économie qui mobilise entre 800 et 1 000 personnes.
Les ateliers Marcel Carbonel font, à eux seuls, près de 3 millions d’euros de chiffre d’affaires. “Nous sommes connus et reconnus pour nos santons partout en France et même dans le monde. On vend beaucoup aux Américains quand ils viennent en vacances ou même à l’exportation“, se réjouit Baptiste Vitali. Un succès qui, selon lui, est dû au savoir-faire historique de ses ateliers qui créent leurs propres couleurs. Cette année, les santons Marcel Carbonel sont même en vente au BHV, un grand magasin parisien.
On essaie de limiter la hausse du prix de nos santons au maximum.

Pourtant, tout n’est pas rose pour les santonniers en 2022. L’inflation est passée par là. Les matières premières ont augmenté, ce qui se ressent pour les artisans. “Nous avons de la chance, l’argile n’est pas quelque chose de très cher, mais rien que sur l’électricité, avec les fours qu’on doit faire tourner, cela a un impact“, souligne Michel Bouvier.
Les ateliers Marcel Carbonel, qui exportent beaucoup, sont aussi touchés car le prix du carton a “doublé. “On essaie de maîtriser l’augmentation du santon, de limiter la hausse du prix au maximum“, assure Baptiste Vitali.
En ces temps économiques troubles, les acheteurs potentiels de santons pourraient effectivement revoir leurs priorités. “On a toujours autant de monde dans les foires, mais moins d’acheteurs, s’inquiète déjà Paul Garrel. Même si la production nous coûte plus cher, on ne peut pas totalement répercuter le prix sur les gens. D’autant que nous ne sommes pas essentiels pour eux, s’ils doivent choisir entre manger et acheter un santon, je crois qu’ils mangeront.”
Nous sommes un petit peu comme des agriculteurs. Si on loupe notre récolte, ça devient dramatique.
Le santonnier varois Paul Garrel est un des derniers à faire ses décors lui-même et en argile. “Beaucoup font cela en plâtre, car ça coûte beaucoup moins cher“, constate-t-il. La période des fêtes est pour lui essentielle. Il travaille toute l’année pour recréer son stock, en avançant toutes les matières premières. “Nous sommes un petit peu comme des agriculteurs, résume Paul Garrel. Si on loupe notre récolte, ça devient dramatique.”
La crainte est la même pour les plus gros vendeurs comme les ateliers Marcel Carbonel : “Une année où on ne vend pas assez, ça peut faire très, très mal.
D’autant plus que depuis quelques années, les santonniers de Provence doivent faire face à une nouvelle difficulté : la délocalisation. Des santons faits en Tunisie ou en Chine se retrouvent de plus en plus sur internet et même parfois aux côtés des santons “Made in Provence“. Certaines procédures sont d’ailleurs en cours à l’encontre de ces santonniers qui délocalisent.
C’est de la concurrence déloyale, en Tunisie le Smic est à 150 euros.

L’association de la foire aux santons de Marseille s’est créée quand on a découvert que des exposants ne produisaient pas en Provence.” À présent, ce temps-là est révolu, jure Michel Bouvier. À la foire aux santons de Marseille, la charte oblige les santonniers à produire le santon provençal en Provence.
Mais toutes les foires n’ont pas forcément la même attention sur l’origine des santons. Et certaines grandes surfaces sont encore moins regardantes. À Carrefour, les santons de Tunisie se vendent aussi cher que les miens“, déplore Paul Garrel. Pour contrer ce phénomène, l’UFSP a planché longtemps sur la création d’une Indication Géographique Protégée (IGP). Mais sans succès. Entre eux, les santonniers provençaux peinent à s’accorder sur un cahier des charges.
Chacun à ses techniques et son savoir-faire, laissant au point mort l’idée d’une IGP “Santon de Provence”. Un accord d’autant plus dur à trouver qu’il n’existe pas d’école ou de formation de santonnier. “En général, les santonniers apprennent un peu sur le tas”, observe Michel Bouvier. Et beaucoup font encore cela comme seconde activité professionnelle.

Quand on élabore nous-même les moules, les modèles et qu’on fait tout seul, c’est vrai que c’est totalement autre chose qu’un santonnier qui rachète des moules ailleurs pour faire beaucoup de production, regrette Paul Garrel. J’aurais aimé qu’il y ait une certaine distinction entre ‘Artisan santonnier’ et ‘Fabricant de santons’.” Pour le moment, difficile pour les acheteurs de santons de s’y retrouver. Mais la demande de transparence est réelle. “Cela devrait être plus clair pour les clients, continue le santonnier de Rocbaron. Mais au bout du compte, on ne trompe pas les amateurs.” 
Plus récemment, afin de protéger le savoir-faire des santonniers de Provence, qui risque de se perdre avec ces “contrefaçons“, l’UFSP demande que les santons de Provence soient inscrits au patrimoine culturel immatériel de l’Unesco. Mais les procédures sont longues et, là encore, il faut s’accorder. “Si rien n’est fait, à la longue, le risque, c’est qu’il ne reste plus beaucoup de vrais artisans“, pointe Paul Garrel. Car si la tradition de la crèche et des santons a encore de beaux jours devant elle en Provence, le maintien d’un artisanat en lui-même est bien plus précaire.

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