Après 40 ans de carrière, Michel Gaillard a choisi de ne pas raccrocher avec son métier. Installé à Wittenheim, il met désormais ses compétences au service des paroisses ou associations qui n’ont pas les moyens de restaurer leurs orgues. Il en réceptionne de partout en France.
Michel Gaillard, à la retraite depuis deux ans, est un homme heureux. Il consacre ses journées à ce qu’il sait faire de mieux : restaurer des orgues. Son savoir-faire, reconnu dans le monde entier, il a choisi de le mettre au service des plus pauvres. Ceux qui ne sont pas en mesure de financer la restauration d’un tel instrument. Un travail bénévole qui le comble et le rend presque indispensable.
Michel Gaillard passe 8 heures par jour dans une maison d’habitation de Wittenheim (Haut-Rhin), à deux pas de la mairie. Une maison entière transformée en atelier : “l’atelier du facteur d’orgues”. A l’intérieur, des morceaux d’instruments, des outils, des claviers.
Un visiteur serait complètement perdu à la vue de toutes ces pièces démontées. Le facteur d’orgues, lui, est dans son élément. Bien qu’à la retraite, il a gardé le rythme d’un salarié. Pas le choix. Michel Gaillard reçoit des demandes de toute la France pour la restauration d’orgues.  
Je le retrouve dans une petite pièce où sont disposés, sur une table, des tuyaux de différentes longueurs, classés du plus petit au plus grand. Il se saisit de chacun, les uns après les autres. Tous subissent le même sort.
Je suis en train de retrouver le diapason d’origine des tuyaux. A savoir, des mains quelque peu inexpertes ont voulu accorder l’orgue. Et il a été accordé trop court. Tous les tuyaux ont été raccourcis de façon intempestive. Et moi avec cet appareil qu’on appelle un mannequin, qui est un petit orgue d’essai, je suis en train de restituer les longueurs provisoirement avec des rallonges en scotch. Elles vont me donner la longueur qu’il faudra pour pouvoir fabriquer des rallonges qui seront soudées à l’extrémité des tuyaux pour que ceux-ci puissent sonner comme ils étaient à l’origine”, explique Michel Gaillard.  
Ne cherchez pas forcément à comprendre la difficulté de l’exercice. La facture d’orgues est un artisanat d’art complexe. Michel Gaillard y a consacré sa vie. Et il ne peut plus décrocher. Pourtant, il y a 8 ans, un cancer l’oblige à ralentir le rythme. Il se bat et s’en sort. Il prend alors cette grande décision : sauver des orgues gratuitement. Un tournant. De quoi donner un nouveau sens à sa vie.  
Charge à eux de me nourrir et payer les frais kilométriques, moi je me charge de la main-d’œuvre
Facteur d’orgues
J’ai eu une carrière qui m’a permis de bien gagner ma vie, j’ai une confortable retraite après avoir eu une confortable pension d’invalidité. Je me suis donc dirigé vers cette solution du facteur d’orgues des pauvres. A savoir mettre mes compétences au service de paroisses, d’associations qui n’ont plus les moyens, depuis la pandémie, de faire face à tout ce dont ils faisaient face. Donc ils vont vers l’essentiel et très souvent les orgues sont les parents pauvres. J’assume entièrement ce choix. Charge à eux de me nourrir et payer les frais kilométriques, moi je me charge de la main-d’œuvre.” 
Si le sort des orgues anciens compte autant pour Michel Gaillard, c’est parce qu’il prend aussi plaisir à en jouer. Depuis 54 ans, il tient les grands orgues de l’église de St Antoine-de-Padoue à Mulhouse. Un instrument bien sûr restauré par ses soins il y a quelques années. Des concerts, il en donne aussi dans toute la France. Car Michel Gaillard a sa petite réputation. Il joue dans la cour des grands, des très grands.
Je le dis en plaisantant mais j’ai eu la chance de rencontrer Jean-Sébastien Bach

Sa spécialité, l’improvisation. Et il a de quoi improviser sur tous les orgues qu’il restaure. Pour l’aider dans cette lourde tâche, il peut compter sur un groupe d’une dizaine de bénévoles. Le plus fidèle, c’est Luc Helle. Ensemble, ils ont travaillé à la restauration de l’orgue de l’église Sainte-Barbe de Wittenheim. Trois ans de chantier titanesque. Pour transformer l’instrument en un orgue de cathédrale.
 
Bruno Helle le reconnait volontiers, “c’est une chance de travailler avec lui, je le dis en plaisantant mais j’ai eu la chance de rencontrer Jean-Sébastien Bach. C’est quelqu’un de passionné et passionnant. Tous ceux qui ont participé aux chantier Sainte-Barbe, il a réussi à les captiver. Il nous faisait des improvisations. Il a su nous passionner. Donc maintenant on continue avec lui par amitié.” 
Pour travailler sur le roi des instruments, il faut de la place, beaucoup de place. En septembre dernier, la mairie de Wittenheim a proposé à Michel Gaillard un local à titre gracieux. Il faut dire que la restauration de l’orgue de Sainte-Barbe a permis à la commune d’économiser un demi-million. Et l’orgue attire désormais des artistes de renom. La mairie a été reconnaissante. Elle a mis à disposition une maison avec grange attenante. Important la grange.  
L’orgue est le roi des instruments de musique. Il lui faut de la largeur, de la profondeur et de la hauteur. Cette grange sera une future salle de montage. Ce sera l’endroit où des instruments seront entièrement montés comme des grandes armoires, avant d’être démontés à nouveau et transportés sur les lieux propres à les recevoir.” 
Pour l’instant, la grange stocke un orgue d’Allemagne, un autre de Sélestat, et un troisième qui va bientôt repartir à Le-Péage-de-Roussillon. Un quatrième va bientôt prendre place, destiné à la chapelle de Ruelisheim, un village voisin. Le calendrier de Michel Gaillard est plein jusqu’en 2024.
On naît facteur d’orgues, on meurt facteur d’orgues. On ne peut pas faire autrement. C’est une passion, un métier comme ça. Quand vous avez la chance d’exercer un métier qui est une passion, vous ne pouvez pas tourner la page du jour au lendemain. Et il y a aussi tellement de gens qui me demandent. Pour vous dire, je vais à Hagenbach tout à l’heure, ce soir je vais à Orschwhir, bientôt à Bergerac, et à Eschau on m’attend depuis 6 mois.”  
Un emploi du temps de ministre. Michel Gaillard ne s’accorde de pauses que pendant le week-end. Le reste du temps, il veut être à la disposition des autres.  

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