Investigation
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Hé oui, nos provinces sont très créatives au niveau de leurs asbl. Les 5 provinces wallonnes comptabilisaient encore, voici quelques années, des centaines d’asbl provinciales. Le fonctionnement est simple : la province délivre un subside à cette asbl qui réalise sur le terrain un objectif, une déclinaison d’une mission provinciale. Problème : pendant de très longues années, les asbl ont fonctionné en toute autonomie. Elles n’étaient pas obligées légalement de rendre des comptes à la province qui les finance. Elles faisaient donc (en gros) ce qu’elles voulaient de leur subside, engageaient qui elles le souhaitaient. Bien souvent, ces asbl bénéficiaient également de l’apport gratuit de personnel provincial ! Ce côté opaque a été dénoncé à plusieurs reprises, notamment par Christian Berhendt, professeur de droit constitutionnel de l’ULG. Il a épinglé le fonctionnement des asbl dans les 2 études qu’il a réalisées au sujet des provinces : ” une asbl n’est pas contrôlée par la Cour des comptes, donc vous créez toutes sortes de barrières au organismes qui sont classiquement chargés du contrôle financier. Bien sûr le Conseil provincial peut politiquement contrôler ces asbl mais c’est plus compliqué que si ces opérations figurent directement au budget provincial. Ici, le débat au Conseil provincial se limite à 2 opérations : celle de la subvention et la lecture du rapport d’activité de l’asbl “.
Suite à ces remarques, les provinces on décidé ces dernières années de faire le ménage. Les asbl sont en train de devenir des régies provinciales. Elle dépendent désormais directement de l’autorité provinciale, ce qui amène une plus grande transparence. Ceci dit, ce ménage n’est pas encore terminé comme le montrent ces exemples.
Savez-vous que vous pouvez louer un appartement bon marché à Middelkerke ou à Wimereux grâce à une asbl de la province de Namur ? Il s’agit en fait de l’asbl du service social du personnel provincial namurois. Une asbl dont les fonds proviennent, historiquement, de cotisations prélevées auprès du personnel provincial. Aujourd’hui, cette asbl, qui est subsidiée en partie par la province de Namur, possède 33 appartements sur la digue à Middelkerke, ainsi qu’une luxueuse résidence au Domaine du Golf Azur, 10 appartements quasi flambants neufs en retrait de la digue. Il faut encore y ajouter 8 appartements nouvellement construits à Wimereux, sur la Côte d’Opale. Le personnel provincial bénéficie de réduction sur les tarifs. Mais ces dernières années, l’asbl s’est retrouvée en mauvaise posture : 84.000 euros de pertes en 2018, 147.000 en 2019, 182.000 en 2020. De l’aveu même de Fabrice Collignon, permanent de la CGSP qui fait partie du Conseil d’Administration de cette asbl, la gestion passée pose problème. ” Il y avait un Conseil d’Administration qui devait s’en occuper mais, par oubli ou par manque de temps ou par “pas vouloir” (sic) ça n’a pas toujours été fait. Je parie que si on fait un sondage parmi les agents provinciaux, ils ne savent même pas qu’ils ont des appartements là-bas et qu’ils peuvent les avoir à un prix défiant toute concurrence. Du coup, on en a mis en location sur AirB&B pour les rentabiliser”. Bien dommage car la vue sur la digue est magnifique… S’ils étaient bien gérés, et selon leur taille, ces 33 appartements pourraient rapporter jusqu’à 100.000 euros par an à l’asbl, comme nous l’a certifié Frank Rouseré, agent immobilier à Middelkerke. Il a aussi fait une estimation des biens pour Investigation : “un studio de 42 m², face à la mer, je le mettrais en vente à 175.000 euros. Vous trouvez que c’est beaucoup ? Si je regarde au niveau du marché actuel, ça n’est pas encore exagéré !”. Selon les estimations de l’expert, rien que la vente de ces 33 appartements (une ou deux chambres, et des studios) pourrait rapporter 8 millions d’euros à l’ASBL…
Richard Fournaux, député provincial, est l’actuel président du CA de cette asbl. Il a refusé de nous accorder une interview. Il nous a toutefois donné quelques réponses par mail :
“Les immeubles sont régulièrement entretenus et les frais sont couverts par les locations. […] Il est évident qu’il ne s’agit pas de logements 5 étoiles mais ils sont en parfaite adéquation avec l’objet social de l’ASBL.” “Effectivement, depuis avril 2021, pour faire face à la crise COVID […], l’ASBL a décidé […] la mise en location via AirB&B. […] Cela permettait de louer les appartements de Wimereux qui étaient vides et provoquaient un sérieux trou dans la caisse. L’ASBL a ensuite décidé de mettre certains appartements de Middelkerke sur la plateforme également. […] Il s’agit de réservations last minutes afin de combler les nuitées non occupées.”
Dans le Hainaut, c’est l’asbl Teralis qui a attiré notre attention : elle organise des vacances pour les personnes handicapées. Elle gère des propriétés achetées par la province de Hainaut dans les années 70 : Barratier (domaine du Val d’Ubaye) dans les Alpes et le château de Collonges dans la Drôme. Nous avons visité ce château aux aménagements spécialisés : chambres médicalisées et salles de bains adaptées. Le problème, c’est qu’avec le temps, ces installations servent de moins en moins aux personnes à mobilité réduite. Un document que nous nous sommes procuré le confirme : les nuitées de personnes handicapées en 2019 n’ont représenté que 35%, le tourisme grand public 65%. David Bricoult, le directeur de Teralis, s’explique : ” On a besoin aussi à certains moments de pouvoir accueillir d’autres publics pour continuer à accueillir les personnes handicapées “. En clair : comme le subside provincial n’est pas suffisant, Teralis remplit ses propriétés avec des touristes lambda. On a découvert que pour faire venir ces touristes, l’asbl Teralis avait ses propres agences de voyages ! Une province qui joue au voyagiste, ça nous a étonnés ! D’autant que si certains voyages proposés ont un lien avec Collonges (Le tour de la Drôme, la route du vin, etc.) d’autres sont par contre surprenants : une randonnée dans le Sud Marocain, un périple en Israël et en Palestine, avec nuitée dans un camp de réfugiés palestiniens !
Quelques semaines après notre visite à Collonges, le député Serge Hustache a annoncé en conférence de presse la fermeture prochaine des agences de voyages et la vente des 2 domaines de Collonges et Barratier. Enfin… C’est ce qu’on pensait avoir compris : “On a décidé d’arrêter définitivement ce qui pouvait faire penser à une agence de voyages extérieure. On va se concentrer exclusivement sur Collonges et Barratier. Tant qu’ils existent, faisons au moins en sorte qu’ils soient bien gérés et rentables”. Nous lui faisons part de notre surprise car il annonçait une fermeture complète des agences de voyages en 2022. Le député nous répond : “elles doivent rester ouvertes car il faut une agréation pour pouvoir organiser des voyages “. Les deux domaines, eux, seront soit vendus soit deviendront financièrement autonomes.
Nous avons aussi découvert que la location d’un château dans le Sud avait tourné au gouffre financier pour la province de Hainaut. Une location qui a duré… 40 ans ! Le baron Jean-Marie Bogaert gère le château Vestric, par le biais d’une asbl privée baptisée Vestric. Depuis 40 ans, il loue les lieux aux résidents du centre Arthur Regniers, un centre d’accueil des personnes handicapées installé à Bienne-lez-Happart, dans l’entité de Lobbes. Problème : Bogaert était également ( durant plus de 30 ans) le directeur de ce même centre Regniers… Un conflit d’intérêts interpellant, et des factures très élevées envoyées à la province. Un rapport d’audit que nous nous sommes procuré l’avait déjà épinglé en 2008 : ” 62 euros par jour et par résident sont réclamés par l’asbl Vestric contre 40 euros pour les autres centres de vacances”. En clair : les résidents du centre Regniers payaient 35% plus chers leurs vacances à Vestric. Et pourtant, un rapport de 2021 révèle qu’en 2015, la province a encore signé une convention de 9 ans avec Bogaert ! Cette fois, les prix ont flambé : ” 514.00 euros en 2019. Plus interpellant encore : 280.000 euros en 2020 pour le loyer et l’entretien du château et ses dépendances, alors que les vacances sont annulées à cause du covid”. La conclusion de ce rapport était sans appel : “Hormis la désagréable sensation d’avoir dépensé ces sommes conséquentes ” pour rien “, le coût de ce site, même mis sous cocon, reste exorbitant et pose en l’état la question cruciale d’une utilisation plus efficiente des deniers publics.”. La convention sera finalement stoppée en mai 2021…
Nous avons rencontré le baron Jean-Marie Bogaert dans son château de Beauregard, à Thuin. Il conteste vigoureusement les reproches qui lui sont faits, à commencer par le conflit d’intérêts : ” non je ne me payais pas à moi-même, l’argent venait de la province, c’était prévu dans convention “. Quand nous lui demandons s’il était bien normal que la province paie une location à son asbl privée alors qu’il était directeur de Regniers, il répond : ” En ce temps-là en tout cas ça l’était “. Quant aux frais élevés de séjours au château Vestric : ” il y avait de moins en moins de séjours, mais les frais restent les mêmes. Ça a le mérite de montrer que c’est exorbitant et que ça suffisait ! ” Exorbitant, voilà Jean-Marie Bogaert d’accord avec les chiffres dénoncés par la province ! Mais il affirme que c’est elle qui a proposé cette convention et ces tarifs. Il ne comprend donc pas pourquoi elle estime aujourd’hui que ça coûte trop cher : ” C’est pas parce qu’ils le disent que c’est ça, m’fille. Qui est-ce qui décide que c’est trop cher ? C’est l’usage qu’on en fait ! Qu’est-ce que vous me demandez ? Faire la charité à plus riche que moi ? “.
Une question reste : pourquoi avoir attendu si longtemps avant d’agir ? Nous avons posé la question au président du collège provincial, Serge Hustache. ” Vous savez, dans les provinces il y a eu des années ou les choses n’étaient pas simples sans doute… “. A la remarque sur le fait que c’était de l’argent public, il répond : “oui, tout à fait “. Et à la réflexion sur les personnes qui vont s’en tirer à bon compte, le député répondra : ” Ha ça, c’est encore autre chose hein ! “.
Est-ce que cet argent injecté dans les vieilles pierres à Vestric aurait pu être utilisé différemment pour répondre aux besoins des personnes handicapées ? La question peut se poser…
Après un reportage de la RTBF (#Investigation), sur le (dys)fonctionnement de certaines ASBL provinciales, diffusé…
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