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Elle était devant le kiosque à bonbons avec sa petite de 4 ans quand le camion a foncé sur elles. Elle s’est dit: « Dessous, il y a de la place, c’est notre seule chance. » Elle raconte.
Elle témoigne. C’est un filet de voix. Un filet de vie. Comme un miracle. H., 32 ans, Niçoise, raconte. Ce 14 Juillet sanglant, elle était allée voir le feu d’artifice avec son père, sa mère, sa sœur, sa nièce. Et sa fille de 4 ans. Elles ont frôlé la mort. Et survécu grâce à son sang froid.
H. ne veut pas qu’on écrive son nom “parce qu’elle n’a aucune gloire à tirer de tout ça”. Elle raconte “parce que c’est un peu d’espoir dans tant de souffrances”.
(Photo Patrice Lapoirie)
“J’ai vu le camion arriver. Ma fille. La protéger. Sauver ma fille. C’est la seule chose à laquelle j’ai pensé. Et je me suis jetée sous le camion…
À la fin du feu d’artifice, on était au kiosque à bonbons. Ma fille avait cinq bonbons dans son petit sac. On faisait la queue pour les peser. Du coin de l’œil, j’ai aperçu un camion un peu de guingois. Au début, j’ai pensé qu’il allait se garer.
Puis, j’ai entendu les cris. Et j’ai compris.
J’ai dit à ma fille : “Cours chérie !” Puis, j’ai eu un flash: c’est trop tard, il faut que je me mette entre les deux roues. Dessous, il y a de la place, je peux… C’est notre seule chance. C’est ma seule chance de la sauver.
J’ai pris ma fille: “Jette-toi par terre” Et je me suis jetée sur elle. J’ai mis son doudou sous sa tête. Et j’ai senti un truc sur moi. Le pare-chocs. Après j’ai su que c’était la calandre qui est tombée à ce moment-là.
Je me disais que j’allais crever, que ma fille survivrait. Mais, c’est elle qui m’a sauvée: peut-être que sans ma fille, j’aurais couru…
On était sous le camion. Je ne me rappelle que du noir. Je ne voyais que du noir. Du noir. Du noir.
Après, la première chose que j’ai vue, c’était une dame. Elle était en train de mourir. Elle avait une jupe bleue avec des motifs. Elle me regardait. Ses yeux me disaient: “Pourquoi ? Pourquoi ?”
Ma fille était en dessous de moi. Elle ne bougeait plus. Puis, elle m’a dit: “Maman, tu saignes.” Je me suis relevée. Je tenais sur mes jambes. J’ai regardé ma fille. Je lui ai dit: “Ça va?” Elle m’a répondu : “Oui maman, moi ça va, mais toi, tu saignes…” Je touchais ses jambes, ses bras. Elle était vivante. Elle n’avait rien. Ma fille. Ma vie.
Puis, j’ai entendu les coups de feu. C’était pas fini. J’ai dit: “Cours chérie, cours ,je ne peux pas te porter.” J’avais trop mal au bras. Je savais juste que je pouvais marcher, courir. Je savais juste qu’il fallait qu’on courre. Que je sauve ma fille.
J’ai téléphoné à mon mari. Je lui criais : “Viens nous chercher, on est devant l’hôtel West End…” Ça a coupé. Les gens partaient dans tous les sens.
Je n’arrivais plus à courir. Je tirais ma fille. On se noyait dans la foule folle. J’ai vu passer un vélo rouge. Je l’ai supplié : “Prenez-nous, je n’arrive plus à courir…” Il a pris ma fille sur ses genoux, m’a aidée à monter…
Après je sais plus… Je ne voyais plus personne, plus mon père, plus ma mère… Juste des cadavres.
Les deux filles qui m’avaient laissé passer devant elles au kiosque à bonbons, deux touristes, des ados de 16 -17 ans, étaient mortes. Percutées. Elles n’avaient même pas eu le temps de comprendre ce qui leur arrivait.
Je me suis mise à hurler: “Pourquoi il n’y a que moi qui n’ai rien eu ? Pourquoi ?”
Je serrais ma fille contre moi. Je me disais: “Elle est vivante, vivante… Et moi aussi, pourquoi moi ?”
Mon mari nous a ramenées à la maison.
J’ai été trois fois à la cellule d’aide psychologique du CUM. Ma fille a vu deux pédo-psys.
Je suis retournée sur la Prom’. Deux jours après. C’était 2h30 du matin. Je n’arrivais pas à dormir. J’ai dit à ma fille:“Viens! ” Il fallait que j’y aille. J’ai retrouvé le garçon et son vélo rouge. Et toutes les nuits, j’y retourne. Là où ça s’est passé. Je revois le camion…
Au début je ne comprenais pas pourquoi j’avais survécu. Aujourd’hui, je pense qu’on a eu une deuxième chance et qu’il faut l’apprécier.
Je pense surtout à ma fille. A l’aider à surmonter tout ça. Elle m’a demandé : “Maman, ils vont où tous les enfants morts?” Elle voulait leur laisser son doudou sur la Promenade. Je lui ai dit: “T’inquiète pas, ils sont au ciel avec tous les papas et les mamans morts. Le bon Dieu veille sur eux…”
Elle a repris son doudou et elle m’a dit: “Nous, on est pas mortes, tu te souviens, maman, quand tu m’as remise dans ton ventre comme quand j’étais bébé pour me sauver du camion méchant qui m’a pris mes bonbons”.
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