Avec « Catarina et la beauté de tuer des fascistes », le maître portugais a conçu une pièce hybride, dérangeante, qui partant du conte nous ramène à la réalité de la montée de l'extrême droite en Europe. Un des chocs du Festival d'automne à découvrir aux Bouffes du Nord.
Par Philippe Chevilley
Après « Dans la mesure de l'impossible » consacré aux travailleurs humanitaires, le nouveau directeur du Festival d'Avignon, Tiago Rodrigues, provoque la deuxième déflagration du Festival d'automne avec « Catarina et la beauté de tuer des fascistes », fable cauchemardesque sur la montée de l'extrême droite. Tandis que le premier spectacle, toujours à l'affiche de l'Odéon, entretient l'espoir en la solidarité humaine, le second, présenté aux Bouffes du Nord, laisse le spectateur sonné, désarmé.
Dans un futur proche, alors que l'extrême droite vient d'arriver au pouvoir, la famille de Catarina se retrouve pour une cérémonie macabre. Comme chaque année depuis plus de soixante-dix ans, un fasciste va être exécuté dans leur maison de campagne située au sud du Portugal. Une tradition inaugurée en 1954 par la matriarche qui avait tué son propre mari, complice de l'assassinat de sa meilleure amie par la police de Salazar.
« Dans la mesure de l'impossible » : l'odyssée humanitaire de Tiago Rodrigues
Le chant magnétique d'Antoine et Cléopâtre
Le jour est venu pour l'une des jeunes filles de la famille d'abattre un fasciste, l'homme qui écrit des discours enflammés pour le nouveau Premier ministre. Mais Catarina est incapable de passer à l'acte, rongée par le doute. Doit-on user de la violence pour défendre la démocratie ? Quelle beauté y a-t-il dans ce rituel mortifère qui n'a pas empêché les fascistes d'accéder au pouvoir ? Ses questionnements vont finir par faire imploser la cellule familiale. Noyés dans leurs contradictions, ils vont s'entretuer et laisser s'échapper l'otage, métamorphosé en héros de la dictature en gestation.
Plus que jamais l'écriture du maître portugais impressionne. Parce qu'il a conçu un texte hybride, qui partant du conte, de la métaphore, nous ramène à la terrifiante réalité dans la dernière demi-heure : le discours que prononce le fasciste libéré est un concentré saisissant des poncifs assénés par l'extrême droite en Europe. Et parce que son propos est tout sauf manichéen : Tiago Rodrigues ne donne pas de leçons, il laisse les questions en suspens, cultive l'ambiguïté jusqu'à créer des moments de théâtre inouïs (quand un des membres de la famille donne l'impression de négocier avec l'otage).
Dans un décor de quasi-conte de fées, dominé par une maison de bois amovible, la troupe portugaise fait merveille, alternant exaltation, désespoir, mais aussi drôlerie et tendresse. De la jeune Beatriz Maia (Catarina) à Romeu Costa (impressionnant « fasciste »), les huit comédiens épousent toutes les nuances, les silences et les malaises volontaires d'une pièce coup de poing. Un coup de poing qui nous propulse au bord du gouffre dans lequel beaucoup sont déjà tombés.
Texte et mise en scène de Tiago Rodrigues.
Festival d'automne, Bouffes du Nord, jusqu'au 30 octobre.
Puis tournée en France.
2 h 30
www.festival-automne.com
www.bouffesdunord.com
En prélude à sa fable politique extrême « Catarina et la beauté de tuer des fascistes », Tiago Rodrigues nous propose en début de soirée aux Bouffes du Nord un beau conte de mort et de vie. « Choeur des amants » raconte comment un couple surmonte une crise mortelle (la femme, victime de problèmes respiratoires, échappe de peu au trépas), apprend à s'accommoder des hauts et des bas de l'amour, à dompter le temps et à défier l'éternité. L'auteur et metteur en scène a repris en 2020 ce texte de 2007, sa première pièce, pour lui offrir une fin bucolique et métaphysique. La mort des amants après une longue vie de théâtre n'est qu'un passage. L'une après l'autre, leurs deux âmes vont se fondre dans la forêt qui leur servait de refuge.
David Geselson (*) et Alma Palacios font vibrer avec une infinie délicatesse toutes les notes de ce choeur amoureux. Leurs voix se répondent et se confondent en un chant pressé et précieux – une forme polyphonique que Tiago Rodrigues approfondira dans son adaptation d'« Antoine et Cléopâtre ». Alternant angoisse, humour, ironie et tendresse, convoquant la poésie et la chanson (Brel) pour évoquer l'indicible amour, ce « Choeur » vibrant de deux comédiens-poètes nous fait surfer sur le temps qui passe et l'amour qui ne passe pas. Un vrai bonheur en 50 minutes chrono.
Ph. C.
(*) en alternance avec Grégoire Monsaingeon
« Choeur des amants », de Tiago Rodrigues, aux Bouffes du Nord, jusqu'au 29 octobre, du mercredi au samedi à 18 heures, matinée le samedi à 15 heures.
Philippe Chevilley
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