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SERIE D'ETE 1/4. Inaugurée en 1967 sur la côte languedocienne, cette célèbre station balnéaire, longtemps décriée, a de nouveau la cote, et suscite un regard nouveau sur son art de vivre et son architecture.
Au début, en arrivant face à cet horizon de béton pyramidal, c’est un peu violent. Il faut s’acclimater. S’adapter. Trouver l’angle. Car l’histoire de La Grande-Motte a été chaotique.
Celle d’une station balnéaire attendue avec espoir avant son édification, regardée avec curiosité durant sa construction, inaugurée avec circonspection, puis vilipendée, moquée, érigée en cliché de verrue bétonnée sur les côtes françaises et de plages surpeuplées. Ah… Sarcelles-sur-Mer la surnomme-t-on encore !
Pourtant, depuis sa labellisation en 2010 au patrimoine du XXe siècle, tout a changé. La ville, investie par une nouvelle génération de touristes et de créatifs, connaît un regain d’intérêt. Voire une forme de consécration.
Ou comment, après cinquante ans d’existence, pour reprendre la géniale expression de l’écrivain-architecte Philippe Trétiack, “La Grande-Motte, après la Grande Moche, a succombé à la Grande Mode”.
La construction de la tour Fenestrel en 1969 (Bob ter Schiphorst/OT La Grande-Motte)
La construction de la tour Fenestrel en 1969 (Bob ter Schiphorst/OT La Grande-Motte)

Acapulco, Le Fidji, La Grande Pyramide, Les Dunes du soleil, Le Viking, L'Eden... Des noms de résidences aux promesses exotiques, d'évasion lointaine et de dépaysement !
Bien sûr, il y a la mer, les grandes plages, le port, les palmiers, les voiliers... Mais quiconque débarque à La Grande-Motte ne voit d'abord qu'eux : ces centaines d'immeubles de béton blanc en forme de pyramides tronquées.
C'est avant tout l'œuvre d'un homme. D'une vie. D'une utopie. Celle de l'architecte Jean Balladur (cousin d'Edouard), qui imagina dès 1963 cette cité surgie du sable et des marécages infestés de moustiques, sur une côte sauvage où il n'y avait rien.
Un chantier pharaonique sur plus de trois décennies, voulu par de Gaulle qui décida, au sein d'une vaste opération d'aménagement du territoire appelée "mission Racine", de construire six stations balnéaires sur les 180 kilomètres de côte languedocienne.
Epoque bénie des Trente Glorieuses, dont La Grande-Motte sera la station pilote, terre d'accueil des vacances pour tous, visant à contrecarrer l'influence de la Costa Brava espagnole... La feuille est blanche, Balladur a de nouvelles idées pour la remplir.
Cet humaniste pétri de philosophie, marqué par l'existentialisme de Sartre dont il fut l'élève en khâgne à Paris, va imaginer un projet d'avant-garde en totale rupture avec la doctrine fonctionnaliste de l'époque.
Héritier de l'architecture moderne, il va pourtant brûler cet héritage et poser les bases d'un postmodernisme aux formes bien plus libres. Il l'écrira lui-même, en 1976, dans "La Grande-Motte, l'architecture en fête ou la naissance d'une ville" (éd. Espace Sud) :
De 1976 à 2010, La Grande-Motte était accusée d'être une verrue de béton populaire (Martine Franck/Magnum Photos)
De 1976 à 2010, La Grande-Motte était accusée d'être "une verrue de béton populaire" (Martine Franck / Magnum Photos)
Pourquoi des bâtiments en forme de pyramides ? Parce que sa visite du site précolombien de Teotihuacan, au Mexique, en 1964 l'a fortement marqué. Parce que La Grande-Motte sera "un lieu saint où les hommes et les femmes vien[dront] y adorer le soleil", qu'elle aura un quartier masculin baptisé Le Levant avec des immeubles pyramidaux élevés et protecteurs derrière lesquels un jardin d'Eden s'épanouira et, en contrepoint, un quartier féminin, Le Couchant, aux lignes courbes et douces en forme de "bonnet d'évêques" et de "conques de Vénus", avec piscines et terrasses.
Une architecture sculpture s'inspirant à la fois des méandres antiques et des cités utopiques déjà construites, depuis les courbes de béton blanc de Brasilia d'Oscar Niemeyer à Chandigarh de Le Corbusier, en Inde. Tout un poème.
Un coup d'œil aux photos de l'époque permet de mesurer l'ampleur du chantier. Il n'y a pas encore de verdure mais, dès 1967, les premières pyramides sortent de terre.
L'architecte en chef Balladur va alors exhiber tout le pouvoir décoratif du béton, en utilisant une modénature faite de triangles, de cercles tronqués et de trapèzes, habillant les façades "comme une voilette".
Le tout, avec fantaisie et humour : "Faire une balade architecturale à La Grande-Motte, c'est un peu comme déchiffrer le 'Da Vinci Code'. Balladur a truffé la ville de symboles, de références, il faut avoir les clés pour comprendre tous les signes", explique Jérôme Arnaud, l'actuel directeur de la station. Des moustaches stylisées, des vagues, des silhouettes humaines et animales et même la forme du nez de De Gaulle sur les pyramides du front de mer !
Vue aérienne de la plage du Couchant (Olivier Maynard / OT La Grande-Motte)
Vue aérienne de la plage du Couchant (Olivier Maynard / OT La Grande-Motte)
Durant vingt ans, plus de 60 architectes, sous la houlette de Balladur, participeront à l'édification de la ville : port de plaisance, hôtels, centres commerciaux, place des Trois-Pouvoirs (en hommage à celle du même nom à Brasilia) avec la mairie, église Saint-Augustin, salle polyvalente et théâtre en plein air... Sans oublier la capitainerie, le centre de loisirs, le pavillon central en forme de pieuvre de la piscine Neptune, le village vacances, les campings, le collège, le golf et le mobilier urbain.
Une ville entière, "une œuvre totale", comme l'exprime Gilles Ragot, historien de l'art contemporain, et auteur de "La Grande-Motte, patrimoine du XXe siècle" (éd. Somogy, éditions d'Art).
Mais la "fille du soleil" prend rapidement l'ombre. Si elle attire tout de suite les foules (jusqu'à 100.000 visiteurs l'été !), elle subit les foudres de millions de personnes, horrifiées d'emblée, sans même y avoir mis les pieds, par sa physionomie.
Dès 1967, lorsque de Gaulle se rend à l'inauguration du port et visualise les maquettes, il dit à l'architecte :
Pas franchement emballé, le président.
Des immeubles très... sixties (Robert Deyrail / Gamma-Rapho)
Des immeubles très... sixties (Robert Deyrail / Gamma-Rapho)
En 1969, "Paris-Match" accuse : "Cette nouvelle Floride avec des pyramides 'égyptiennes' est d'une invasion obscène", tandis que le critique d'art Yvan Christ mentionne "un monstre créé ex nihilo à partir de rien". Quant à la revue "Jour de France", elle décrit la station avec ironie :
Le cliché est posé, prélude à cinquante ans de débat controversé où la cité paie les rumeurs et les préjugés. Jusqu'à Jean Balladur lui-même, dont l'approche radicale lui est violemment reprochée par ses pairs, au point d'être exclu de l'influente revue "l'Architecture d'aujourd'hui".
Complexée pendant des années, La Grande-Motte osera à peine montrer le bout d'un balcon. "Durant trente ans, toutes les brochures de promotion n'ont dévoilé que le ciel, le soleil et la mer, tournant ostensiblement le dos aux immeubles", rappelle Jérôme Arnaud.
Un sondage Ifop réalisé en 2011 estimait encore que près de 40% des Français interrogés avaient une image négative du lieu. Mais, ajoute l'actuel directeur, "il montrait aussi que 77% de la population locale du Languedoc-Roussillon l'appréciait. Ce qui signifie que plus on connaît la Grande-Motte, plus on l'aime".
Création de la photographe Maia Flore, réinterprétant La Grande-Motte (Maia Flore/Art dans l'air/OT La Grande-Motte)
Création de Maia Flore, réinterprétant La Grande-Motte (Maia Flore/Art dans l'air/OT La Grande-Motte)
Aujourd'hui, un vent de branchitude souffle aussi fort que la tramontane sur la station languedocienne. Les journalistes la redécouvrent. Les créatifs aussi. Ainsi qu'une nouvelle génération de touristes.
Tout a changé en 2010, lorsque la station est labellisée par le ministère de la Culture "patrimoine du XXe siècle". "Nous avons d'abord cru à une blague", avoue Ricardo Felices, ancien directeur du palais des congrès, "puis nous avons pensé qu'ils allaient labelliser juste un ou deux bâtiments, mais ça a été finalement toute la ville."
Très vite, la commune a compris l'enjeu qu'elle pouvait en tirer : "On a assumé notre patrimoine et notre identité", ajoute Jérôme Arnaud. "On a enfin fait se retourner le photographe."
La municipalité se plonge dans ses archives, publie un guide des "balades architecturales" et se construit une nouvelle image de marque. De nouveaux convertis s'y aventurent, découvrent les allées et passerelles piétonnières, les 25 kilomètres de pistes cyclables, l'étang devenu sanctuaire écologique des tortues marines. De quoi humaniser l'ensemble.
Des étudiants en arts viennent s'imprégner de son architecture cinétique, de "ses façades en nid d'abeille où la lumière du soleil et l'ombre jouent de l'aube au crépuscule", résume Alice, graphiste pour une revue de design.
Et puis, pour les branchés rétro, La Grande-Motte garde une ambiance délicieusement vintage avec ses scènes de vie balnéaire rappelant les séries du photographe britannique Martin Parr : les paillottes, les jeux, les terrains de boules, les marchands de glace, les tournois de volley, les petits vieux, les caniches, les campeurs... Tout y est !
Les accessoires de plage de 5.5 Designers inspirés par La Grande-Motte (JulesLangeard/5.5 Designers)
Les accessoires de plage inspirés par La Grande-Motte (Jules Langeard/5.5 Designers)
Une forme d'esthétique, de symboles populo qui inspirent les créateurs. Le très en vogue styliste Simon Porte Jacquemus imagine dès 2014 une collection colorée, à l'image "d'une fille qui part en vacances à La Grande-Motte et vend des glaces" ; en 2015, la photographe de l'agence Vu, Maia Flore, réinterprète l'imaginaire de la cité des sables au travers de sa série "Playground", tandis que la maison d'édition parisienne Oxyo a sorti une collection de meubles contemporains, des fameuses lampes fées (de la mairie) aux banquettes, tapis et chauffeuses résille, directement inspirés de l'œuvre de Jean Balladur.
Dernière en date, l'agence 5.5 Designers, qui vient de créer une nouvelle ligne d'accessoires de plage en hommage au patrimoine de la ville : tente, serviettes, seaux pour enfants en forme de pyramides, matelas et mini-table reprenant la forme des bâtiments Le Poséidon ou Le Grand Mottois...
Effet boomerang de cette nouvelle cote d'amour, la cité est aussi devenue plus chère. "Dorénavant, certains appartements se vendent autour de 10.000 euros du mètre carré, 70% des chambres se situent dans des 4-étoiles et nous ouvrons le premier 5-étoiles de la station en ce début de mois d'août", ajoute Jérôme Arnaud.
La Grande-Motte s'embourgeoise-t-elle ? Avec sa montée en gamme et sa nouvelle clientèle, certains habitants osent même parler de nouveau "Saint-Tropez de l'Hérault". D'autres rêvent encore plus haut : et pourquoi pas un label au patrimoine mondial de l'Unesco ?
Dorane Vignando
 
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L'ancien hôtel La Plage, construit par Gilles Balladur (fils de Jean) en 1980, est depuis le 3 août le premier 5-étoiles de la station. Posé les pieds dans l'eau dans le quartier du Levant, il a été entièrement repensé par le couple Angélique et Guillaume Ruiz qui l'ont rebaptisé un peu pompeusement "La Plage, Art et Emotions". Piscine, spa Payot, suites et chambres décorées de mobilier sur mesure, jardin aromatique et restaurant gastronomique sous la houlette du chef Samuel Tingaud (passé chez Robuchon et Ducasse) posent le décor face à la Grande Bleue.
A partir de 180 euros la nuit.
Rens. : 04.67.29.93.00 et sur laplage-artetemotions.com


 
Infos
L’office de tourisme propose des visites guidées architecturales (à vélo) 6€ (gratuit pour les moins de 12 ans) rens 04 67 56 42 00 et www.lagrandemotte.com et infos@lagrandemotte-accueil.com
16 et 17 septembre prochain : Journées européennes du Patrimoine, au programme visites guidées et expos en hommage à Jean Balladur
L'hôtel : le Mercure, le seul bâtiment de La Grande-Motte qui n'est pas en forme de pyramide (à l'époque les promoteurs ont refusé), mais tout de même de style balladurien avec ses façades modénature. Sans doute la plus belle vue du front de mer. Rens. au 04.67.56.90.81
Le resto de poissons : le Clipper's, 107, quai Charles-de-Gaulle.
Le bar à l'apéro : le Café Jules, 115, allée de l'Epi.
Le bar où faire la fête : The Rooftop by Gus, route des plages du Grand Travers.
Les petites boutiques sympas : Naj, 108, rue du Port, et Atmospheres, 39, rue du Port.
Les paillottes de plage : le White Beach, avenue du Grand Travers, et la Paillote Bambou pour l'ambiance "bazar chic".
Le loueur de vélos : Loc'N'Roll, 282, quai Georges-Pompidou.
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Tant mieux pour la Grande Motte.....
De près, c'est sympa, mais vu de loin c'est une sacrée abomination. La forme de la pyramide optimise bien l'ensoleillement des appartements, techniquement c'est plutôt bien foutu mais comme le paysage est plat sans le moindre arbre, on voit que ça. Ce qui est gênant aussi, c'est que ça ressemble pas à des immeubles ou à des tours. L'oeil est habitué à ce genre de monolithe, là ça ressemble plus à des monuments surdimensionnés.
La pire des abominations, comme c'est le cas de la Grande Motte, finit toujours, avec le temps, par accéder au rang de kitch ou de monument historique...

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