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LA TRIBUNE – Vous venez d’être nommé au poste de directeur de l’énergie et des transitions du Crédit agricole d’Aquitaine. Quel est le périmètre de cette direction, créée pour l’occasion ?
Ludovic CHARBONNIER – Elle réunit une nouvelle activité dans les métiers de l’énergie et nos activités existantes qui ont un lien direct avec l’énergie ou la RSE (responsabilité sociétale des entreprises). On y retrouve donc la logistique, c’est-à-dire tout l’immobilier qui appartient à la Caisse d’Aquitaine (1). Il y a toutes les équipes en charge de la RSE, des achats et des appels d’offres, du numérique et du parc informatique, et du marketing et de la communication. C’est donc un périmètre volontairement très large avec l’énergie comme moteur.
Sur cette nouvelle activité de l’énergie, quel est le positionnement du Crédit agricole d’Aquitaine ?
Nous voulons être un acteur de la production d’énergies renouvelables en visant prioritairement le solaire parce que notre territoire s’y prête bien et que c’est une technologie mature et simple à déployer. Cela passera par le développement de quatre métiers complémentaires : financeur, investisseur, conseiller et producteur.
Le métier de financeur des ENR (énergies renouvelables) ont le fait depuis 20 ans et on va continuer. Sur le volet investissement, nous allons lancer le fonds Caap Energies. Ils est doté de 90 millions d’euros de fonds propres à investir d’ici 2028 pour soutenir des infrastructures d’énergies renouvelables, telles que du solaire, un méthaniseur, etc. C’est un montant très conséquent puisque le résultat annuel du Crédit agricole d’Aquitaine c’est environ 120 millions d’euros.
Qu’en est-il sur le volet conseil aux clients ?
Nous ciblons notre clientèle professionnelle entreprises, agriculteurs, viticulteurs et collectivités territoriales. Pour être pertinent nous allons recruter des ingénieurs en ENR capables de réaliser des études d’implantation d’installations photovoltaïques, notamment en toitures. On sait qu’il y a beaucoup d’installateurs, plus ou moins sérieux, qui défilent dans les cours de fermes et nos clients nous demandent de les conseiller voire même de les accompagner directement. Et afin de démarrer rapidement, nous allons coopérer avec le Crédit agricole Pyrénées Gascogne qui dispose déjà d’une équipe constituée de huit ingénieurs en ENR.
À l’issue de ces rendez-vous, si le modèle économique est viable, on peut intervenir classiquement comme financeur. Mais, si le client n’a pas la capacité financière et choisit d’abandonner le projet, alors la nouveauté c’est qu’on pourra devenir producteur parce que nous sommes convaincus qu’il n’est plus possible aujourd’hui d’abandonner un projet d’énergie renouvelable !
Pourtant beaucoup d’agriculteurs et, singulièrement de viticulteurs bordelais, sont dans une situation financière tellement dégradée qu’il est inenvisageable d’investir dans du solaire…
Oui, vous avez raison. Et c’est aussi pour cela que nous développons une activité de production en propre. On propose à l’exploitant de signer un bail sur 30 ans au cours duquel on lui versera un loyer supplémentaire en échange de la mise à disposition, par exemple, de sa toiture où nous installons des panneaux solaires qui nous appartiennent. Nous avons alors un rôle de tiers de confiance entre l’agriculteur et l’installateur des panneaux photovoltaïques, en portant l’endettement. Mais la centrale de production nous appartiendra en propre. Avec ce modèle, nous visons la mise en production de 15 MW par an de panneaux solaires. C’est ce qu’arrive à faire le Crédit Pyrénées Gascogne depuis une dizaine d’années.
J’ajoute que, pour les exploitants qui le souhaitent, on peut payer une soulte dès le départ au lieu de verser les loyers sur 30 ans. Cela implique une minoration d’environ 30 % du montant mais ça peut permettre d’apporter de l’argent frais à des exploitations qui en ont besoin. Au-delà des vignerons, ce modèle a séduit des producteurs de canards qui, avec du solaire en toiture et le concours de la Région Nouvelle-Aquitaine, ont pu ainsi financer des nouveaux bâtiments pour mettre à l’abri leurs canards et se mettre aux normes de biosécurité sans endettement supplémentaire.
Est-ce que ce modèle est duplicable à la viticulture dont beaucoup d’exploitations sont au bord du gouffre et se plaignent justement des crédits qui se tarissent du côté du Crédit agricole ?
Il y a un sujet bien réel dans la viticulture et il faut regarder au cas par cas. La caisse porte 2,6 milliards d’euros d’encours dans la viticulture donc on suit cela de près. S’il n’y a plus de modèle économique, notre rôle c’est de dire stop aux investissements dans le matériel ou autre. Nous ne sommes pas là pour surendetter les exploitations et, à l’inverse, le solaire peut-être une solution dans ce type de situation.
Pour les exploitations agricoles et viticoles, il y a le solaire en toiture et il y a le sujet plus sensible de l’agrivoltaïsme, c’est-à-dire l’installation de panneaux photovoltaïques au milieu des élevages, des cultures ou des vignes. Comment l’appréhendez-vous ?
C’est une nécessité ! Si on veut respecter la programmation pluriannuelle de l’énergie, la couverture des toitures et parkings ne suffira pas, il faudra poser des panneaux au sol. Et qui a du foncier disponible dans la région ? Ce sont notamment les exploitations agricoles. En revanche, c’est un sujet émergent qui doit être encadré. Faut-il sacrifier des terres agricoles pour produire de l’énergie ? La réponse est évidemment non ! Il faut donc innover pour combiner ces deux activités ce qui n’est pas évident puisque plus on écarte ou élève les panneaux solaires, moins le modèle économique est viable. Il faut donc travailler sur des panneaux pivotants ou verticaux, sur les types de culture pertinents, la compatibilité avec les AOC, les enjeux paysagers, etc.
Revenons à votre propre parc immobilier, qu’est-ce qui est prévu en termes de production solaire ?
Sur notre siège départemental d’Aire-sur-l’Adour, nous allons déployer cette année 4.600 m2 de panneaux photovoltaïques en autoconsommation avec vente du surplus. Nous voulons ensuite couvrir nos agences et parkings là où c’est possible, notamment en zone rurale. On va aussi déployer des bornes de recharge pour véhicules électriques avec trois installations expérimentales depuis 2022 à Mérignac, Agen et Tarnos (Landes).
Il était question en juin 2022 de moduler les taux d’intérêt en fonction de la performance environnementale de vos clients voir d’arrêter de financer les projets polluants. Où en est cette stratégie ?
La priorité c’est d’abord de muscler la connaissance et le pilotage de nos activités. Ensuite, quand est-ce qu’on arrête le financement des activités fossiles ? La démarche doit être progressive et inclusive et nous voulons faire bouger nos 25 millions de clients en France dans leurs pratiques à travers la distribution de nos clients. Depuis 2022, chaque euro distribué par le Crédit agricole aux entreprises, viticulteurs et agriculteurs est conditionné à un questionnaire RSE simplifié qui concerne par exemple le bio, le HVE, le bien-être animal, l’intéressement, la formation, la qualité de vie au travail, etc. Cela donne une note sur 30 points qui détermine le taux du crédit : plus la note est bonne, plus on est prêt à abandonner de la marge jusqu’à un quart de la marge.
Alors, oui, c’est purement déclaratif et ça n’a pas de vocation scientifique mais c’est une première phase qui permet d’aborder tous ces sujets avec nos clients pour leur démontrer que ce sont des éléments importants et qu’ils doivent faire bouger les lignes. À terme, sans date fixée à ce stade, c’est l’accord même du crédit qui sera suspendu à l’obtention d’une note minimale.
(1) Cela correspond au siège de Bordeaux Bacalan, aux antennes d’Agen et d’Aire-sur-l’Adour et aux 200 agences bancaires réparties dans les trois départements.
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