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Dans un mandat d’arrêt international délivré le 3 mai dernier, le Ministère public du canton de Saint-Gall précise ses griefs à l’encontre de Daniel B., 63 ans, homme d’affaires marié récemment à une jeune ressortissante ukrainienne. Dans ce document que la RTS a pu consulter, le promoteur se voit reprocher toutes sortes de délits économiques, qui vont des détournements de fonds aux faillites frauduleuses, en passant par le blanchiment d’argent.
Daniel B. a été arrêté récemment à Kiev, alors qu’il revenait de son voyage de noces aux Maldives. Il dort désormais en prison dans l’attente de son extradition demandée par la Suisse. Selon un de ses avocats, le Saint-Gallois “nie toutes les allégations qui font l’objet d’une enquête du Ministère public du canton de Saint-Gall (…). Il est convaincu qu’il sera en mesure de réfuter les allégations formulées à son encontre dans le cadre de ladite enquête”.
Son arrestation et ses déboires avec la justice ont été révélés ce mois par le syndicat Unia et le journal local, le St. Galler Tagblatt, qui ont commencé à s’intéresser dès 2019 au réseau de sociétés écrans, aux faillites, aux salaires trop bas ou impayés d’employés de l’empire de Daniel B. “Au début, nous chassions un fantôme, il n’y avait même pas de photo de lui à disposition”, raconte Lukas Auer, secrétaire syndical d’Unia.
Pendant longtemps, le promoteur a effectivement mené une discrète vie de millionnaire, avec villa de grand luxe, yacht à Ibiza, voyages en jet privé. Et surtout, bien caché derrière de multiples sociétés et des administrateurs à ses ordres, Daniel B. n’est jamais apparu dans une affaire immobilière qui a très mal fini et qui a choqué dernièrement l’ensemble de la Suisse romande.
>> Les explications de Ludovic Rocchi dans Forum:
C’est l’histoire de cette barre de sept immeubles de la rue du Bois Noir à La Chaux-de-Fonds, déclarés insalubres pour cause de risque d’effondrement par les autorités au mois d’avril dernier. Les locataires – une quarantaine de familles modestes et des personnes âgées – ont reçu un ordre d’expulsion et ont été aidés à retrouver à se reloger dans l’urgence. On en est arrivé là car la société propriétaire de cette barre d’immeubles – Bellevue Immobilien Zwei AG – fait partie de l’empire de Daniel B.
>> Lire: Des immeubles qui s’affaissent vont être évacués à La Chaux-de-Fonds
Le nom de la société figure d’ailleurs dans le mandat d’arrestation dirigé contre lui. Bellevue Immobilien Zwei a acquis le lot du Bois Noir en 2012 en sachant que le terrain était instable et que les bâtiments se lézardaient. Les autorités de La Chaux-de-Fonds ont demandé en vain que des travaux d’assainissement soient entrepris. Mais comme l’a confirmé à la RTS le conseiller communal en charge de l’urbanisme Théo Huguenin-Elie, ni lui ni ses services n’ont jamais su que Daniel B. se cachait derrière ce dossier et que la justice était à ses trousses en fait depuis plusieurs années.
“Dans notre esprit, c’était simplement des spéculateurs qui achetaient un bien, ne plantaient pas un clou, et cherchaient à le vendre le plus rapidement possible en tirant un maximum de rendement et en faisant un gain maximum, et visiblement on est dans quelque chose de beaucoup plus complexe, de beaucoup plus sale, j’ai envie de dire”, réagit Théo Huguenin Elie.
>> L’interview de Théo Huguenin-Elie dans Forum:
Les immeubles du Bois Noir font en effet partie d’un très gros paquet d’hypothèques que Daniel B. a réussi à négocier avec un fonds immobilier alimenté par l’argent d’une centaine de caisses de pension. Ce fonds baptisé Hypotheka a explosé en 2013, sur fond d’expertises truquées, d’hypothèques surfaites et d’enquêtes pénales lancées contre plusieurs promoteurs et des complices internes à Hypotheka. Le Ministère public genevois a confirmé à la RTS qu’une instruction est toujours ouverte à l’encontre notamment de Daniel B.
Il s’était engagé à renflouer les caisses de pension en revendant son paquet d’immeubles pour un prix fixé à 188 millions de francs. Mais entretemps, rien n’a été entrepris pour assainir les immeubles de La Chaux-de-Fonds, les intérêts n’étaient même plus payés et les liquidateurs d’Hypotheka ont fini par exiger la vente forcée du lot du Bois Noir. La date de la vente aux enchères est fixée au 25 juin.
Mais les ennuis de Daniel B. ne s’arrêtent pas au dossier du Bois Noir. Il a été condamné une première fois par la justice saint-galloise à deux ans de prison avec sursis en 2014 pour des délits en lien avec l’immobilier. Et désormais, une nouvelle instruction l’attend, y compris pour des soupçons d’abus aux crédits Covid. Il risque jusqu’à 7 ans et demi de prison, sa villa est sous scellés de l’Office des poursuites saint-gallois et il affronte une faillite personnelle pour plus de 100 millions de francs.
Le syndicaliste Lukas Auer estime qu’il était plus que temps de sévir. “Je suis étonné que quelqu’un en Suisse puisse faire de telles choses pendant si longtemps sans que des mesures légales ne soient prises”. A La Chaux-de-Fonds, on découvre maintenant seulement qu’il aurait davantage fallu se méfier du promoteur qui se cachait derrière les immeubles en train de s’affaisser.
Ludovic Rocchi, Théo Jeannet

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