LES DÉPOSSÉDÉS
CHRISTOPHE GUILLUY
Flammarion, 2022, 196 pages, 19 €
Chaque nouveau livre de Christophe Guilluy est attendu avec impatience, tant le géographe propose une analyse incontournable de la situation de notre pays. Avec Les dépossédés, il poursuit le travail inauguré avec Fractures françaises (2010) et La France périphérique (2014), sans doute avec des redites, mais toujours aussi avec des angles nouveaux. Bien sûr, les « dépossédés » s’identifient largement aux Français qui peuplent la « France périphérique », bien que le concept soit ici plus large et englobe de fait une majorité de la population (les « classes moyennes »), celle qui est évincée des centres-villes et même des littoraux, devenus inaccessibles en raison de l’acquisition de résidences secondaires en bord de mer par les citadins aisés, ce qui fait grimper le prix de l’immobilier, trop élevé pour les locaux.
Guilluy fustige sans ménagement les classes supérieures qui gagnent sur tous les tableaux, surjouant la posture progressiste et niant ainsi leur position sociale dominante. « Tous les sujets relèvent en fait de la même ambivalence : imposer un modèle inégalitaire en s’offusquant de la richesse des ultra-riches, imposer la société multiculturelle en se protégeant de la diversité (un modèle auquel elle [la bourgeoisie] ne croit absolument pas, comme le montre sa recherche d’évitement résidentiel et scolaire), mettre en avant un écologisme radical (mais continuer à favoriser la métropolisation et un libre-échange mondialisé destructeur) » (p. 66).
Mais pour Guilluy les choses changent, car les dépossédés – ou « gens ordinaires » – sont en train de faire émerger une vague de fond (dont les Gilets jaunes ont été les prémices) qui s’affranchit de plus en plus des discours dominants et de la peur orchestrée qui les accompagne ; elle rejette le fameux triptyque thatchérien : « There’s no alternative », « There’s no society », « There’s no majority ». Au contraire, ce grand mouvement social a vocation à être majoritaire. Il est inédit : il n’est pas porté par des revendications de droits nouveaux (il se moque des emballements idéologiques hors sol comme le wokisme), mais par la volonté de ne pas disparaître, de préserver un statut social et culturel, bref, « il transcende la “lutte des classes” en y apportant une dimension existentielle, celle de vouloir préserver un sens à la société » (p. 151). Proposant de retrouver notre souveraineté, Guilluy conclut : « There is an alternative » !
Christophe Geffroy
QUESTIONNEMENTS DE GENRE CHEZ LES ENFANTS ET LES ADOLESCENTS
Analyses, enjeux… les spécialistes répondent
AUDE MIRKOVIC ET CLAIRE DE GATELLIER
Artège, 2022, 216 pages, 17,90 €
La question de la trans-identité est devenue importante dans le débat public. Ce volume qui réunit de nombreux spécialistes dans les domaines du droit, de l’éducation et de la médecine s’interroge spécifiquement sur le cas des enfants considérant que leur genre, c’est-à-dire leur identité comme garçon ou comme fille, n’est pas la même que leur sexe biologique. L’ouvrage analyse de manière fine un certain nombre de faits ne pouvant qu’interroger, notamment la finalité du discours poussant à considérer les enfants comme des adultes en miniature pouvant prendre très tôt des décisions irréversibles. Il note de manière très intéressante que changer la définition du sexe dans le sens d’une auto-affirmation par l’individu est un bouleversement majeur affectant la vie sociale en général. Une des hypothèses rapidement effleurée qui se révèle très intéressante est d’analyser la manière dont se développent des questionnements de genre chez les enfants et les adolescents, peut être liés à un discours reposant au fond sur des conceptions rigides de ce que doit être une fille ou un garçon. Par exemple, dans un tel discours, une fille qui avant était considérée comme un « garçon manqué » sera désormais vue comme étant un garçon.
Enfin, les conseils donnés aux familles ayant des enfants et des adolescents se voyant comme transgenre sont extrêmement utiles. Pour citer l’ouvrage, « expliquer que c’est très enrichissant d’avoir des qualités de l’autre sexe : une fille combative avec une voix rauque peut être très charmante, un garçon doux et sensible peut être très séduisant. On peut expliquer que la diversité est une grande richesse, l’idée étant de l’aider à assumer sa différence… et de l’aider à accepter de remettre à l’âge adulte des décisions qu’il pourrait regretter plus tard ». Les témoignages de parents concernés sur l’importance de garder un contact et un lien parental fort sont touchants et peuvent servir de modèle de conduite.
Un ouvrage utile pour les familles afin de comprendre ce qui se passe actuellement et comment agir au mieux.
Rainer Leonhardt
MARIE-DOMINIQUE PEYRAMALE
Le curé de Lourdes
YVES CHIRON
Cerf, 2022, 308 pages, 24 €
PADRE GIACOMO
L’humble confesseur pèlerin de Lourdes
YVES CHIRON
Artège, 2022, 180 pages, 14,90 €
Cette belle biographie de l’abbé Peyramale prolonge l’histoire du sanctuaire de Lourdes dans les années qui suivirent les apparitions de la Vierge Marie jusqu’à sa mort. Né dans une famille nombreuse des Hautes-Pyrénées, Marie-Dominique Peyramale devint prêtre du diocèse de Tarbes en 1835. Aumônier d’hôpital, ce n’est qu’en 1854 qu’il fut nommé curé de Lourdes, pasteur rude et aimé. En 1858, il fut l’un des premiers à recevoir de Bernadette le nom de la belle dame de la grotte de Massabielle, réponse à sa propre demande et révélation qui fit taire toutes ses réticences à l’égard de la jeune voyante. Il devint une figure inséparable des récits des apparitions de Lourdes. Protégeant et guidant Bernadette jusqu’à son entrée au couvent de Nevers, il s’attache à répondre aux demandes de la Sainte Vierge, supervise la construction de la basilique et l’aménagement de la grotte, ordonnance le sanctuaire : il est d’ailleurs émouvant de constater que de nombreux lieux de la cité mariale portent encore la trace de son zèle infatigable de bâtisseur. Toujours présent pour répondre aux nombreuses sollicitations des journalistes, écrivains, personnalités de l’époque touchés par ce miracle et les conversions qui suivirent, il propagea la dévotion à Notre Dame de Lourdes, organisa les premiers pèlerinages nationaux et, bien sûr, dut gérer les inévitables conflits de personnes et d’argent autour de cet évènement inédit. Sa dernière entreprise fut la reconstruction de l’église paroissiale de Lourdes : tâche rendue compliquée par manque de moyens. Il s’éteignit en 1877 sans en voir l’achèvement. À travers cette belle figure de prêtre, Yves Chiron nous fait découvrir ici une facette inédite et passionnante de l’histoire de cet extraordinaire lieu de pèlerinages.
Une tombe dans le cimetière de Lourdes semble être encore de nos jours un lieu de pèlerinage discret et vivant : celle du Padre Giacomo de Balduina, capucin italien né en 1900, auquel Yves Chiron consacre le second livre. Malgré les premiers signes d’une maladie neurologique, il fut ordonné prêtre en 1929 et consacra son ministère aux confessions en offrant ses souffrances pour la sanctification des prêtres. Malgré une vie humble et cachée, sa réputation de sainteté ne cessa de grandir. Sentant sa fin proche, il participa en 1948 à un pèlerinage à Lourdes où, à peine arrivé, il mourut. Il fut proclamé vénérable en juin 2017 par le pape François.
Anne-François Thès
QUAND SAINT THOMAS PARLE DU CHRIST
JEAN-PIERRE TORRELL
Cerf, 2021, 300 pages, 24 €
Dominicain, spécialiste de théologie médiévale, Jean-Pierre Torrell recueille dans ce livre tous les passages de la Somme théologique qui parlent du Christ. Dans cette immense cathédrale complexe et mécanique qu’est l’œuvre du Doctor Angelicus, Jésus-Christ est au centre de tout. Le Père Torrell retrace de chapitre en chapitre la vie du Christ, de sa conception à sa montée au ciel, au fil de la Somme. Le texte de saint Thomas est enrobé dans un commentaire efficace. Le Père Torrell met la passion du Christ au centre de la Somme et au centre de son livre. La croix est un trône, la passion une preuve absolue d’amour, le contraire du dolorisme poitrinaire, une sorte de synthèse de l’amour et de la souffrance.
Nicolas Kinosky
RÉÉDUCATION NATIONALE
PATRICE JEAN
Rue Fromentin, 2022, 144 pages, 17 €
Patrice Jean bénéficierait-il d’un régime de faveur, pour qu’on lui consacre une nouvelle chronique, six mois après l’éloge du Parti d’Edgar Winger ? En l’espèce, le favorisé est plutôt le lecteur qui n’a pas eu à attendre trop longtemps un nouveau roman. Merci aux renaissantes Éditions Rue Fromentin.
À la source de l’écriture, une certitude : « Les livres qui confortent l’esprit du temps sont de l’anti-littérature. » C’est pourquoi notre époque rêve de se débarrasser de l’art romanesque. Avec Rééducation nationale, Jean va au cœur du système de destruction massive des Lettres que peut être un lycée, quand l’indigent et stupidifiant Matin brun est promu chef-d’œuvre indépassable.
Pour évoquer le traitement de la langue dans l’Éducation Nationale, Richard Millet recourait à la mystique et parlait de Golgotha. Moins sensible au vide laissé par l’effacement du christianisme, et en cela plus flaubertien que balzacien, Patrice Jean attaque plutôt la modernité sous l’angle de la haine du Beau. Bruno Giboire, son héros, est un illuminé de la didactique, un ravi de la séquence ludique et de l’apprenant-acteur-de-son-savoir-être. Le roman est l’itinéraire de ce Candide, déniaisé non pas tant par les élèves, quasi absents du récit, que par les petitesses, lâchetés et haines des professeurs du camp du Bien. Dans cette lutte contre toute forme de passé, l’inspecteur prêche qu’« on ne combat pas les inégalités sociales en étudiant Boileau ! » Farce ? Oui, si ce n’est que la charge féroce est à peine exagérée.
Ce roman ne peut, en outre, être réduit à une satire, très réussie, des nuisances du pédagogisme et du sectarisme vigilant des champions de la « littérature » citoyenne. Une fugitive histoire d’amour inspire à Patrice Jean quelques pages magnifiques, comme un souffle fugace qui porte très loin des couloirs d’un lycée. De l’héroïne qui offre au récit son moment de grâce, l’auteur écrit qu’elle exècre « les clans, les cliques, les guildes, les partis, les rassemblements, les groupes, les troupes, les comités, fussent-ils de deux membres, eussent-ils raison ». Autant dire que, à rebours de ceux qui prétendent enseigner la littérature, cette femme insaisissable l’incarne.
Henri Quantin
DIEU EXISTE-T-IL ENCORE
ANDRE COMTE-SPONVILLE ET PHILIPPE CAPELLE-DUMONT
Philosophie/Lexio, 2022, 110 pages, 6 €
« Dieu existe-t-il encore ? » C’est la question un brin provocatrice que l’association « Disputatio » posait le 22 mai 2004, en la cathédrale de Rouen, à deux rétheurs de renom, l’un croyant, le théologien Philippe Capelle-Dumont, l’autre athée, le philosophe André Comte-Sponville. Et renouant avec la tradition médiévale de la « disputatio », ils y répondirent avec autant de brio que d’audace, dans une stimulante controverse, récemment republiée en poche. Mais avant d’entrer dans le vif du débat, un temps leur était imparti pour développer leur propos, ce qu’ils ciselèrent de main de maître, pensant, pesant, scrutant chaque mot, chaque argument, chaque référence.
« Ce qui provoque habituellement le rejet de la “preuve” de l’existence de Dieu s’enracine dans la confusion des méthodes par laquelle l’objet “Dieu” est assimilé à tout autre objet mondain », prévient le théologien sans convaincre le philosophe qui se déclare résolument « athée non dogmatique » : « Je n’ai pas de bonnes raisons de croire, […] je veux rester fidèle au mystère, face à l’être, face à l’horreur et à la compassion, face au mal… », ce que l’on peut entendre sans y souscrire, Comte-Sponville étant ouvert au mystère mais fermé à son intelligibilité.
« C’est l’équation entre mystère et existence qu’il faudrait réévaluer dans notre culture qui ne sait se rassurer, admettons-le, qu’à l’aune de ce qu’elle maîtrise. Et c’est peut-être ce qui nous oppose cordialement », répond le Père Capelle-Dumont avant de reprendre point par point les objections de son adversaire.
Un dialogue de sourd ? Nenni. La tradition de la « disputatio » suppose une estime mutuelle, une grande humilité et une élégance d’esprit qui consiste à adopter le point de vue de l’autre, au moins un instant, pour lui répondre de la façon la plus appropriée. Et il est donc heureux que cette noble tradition revienne sur le devant de la scène.
Maryvonne Gasse
CATHOLIQUES D’UKRAINE
Un pays, une Église, un message
DIDIER RANCE
Artège, 2022, 290 pages 17,90 €
Alors que la guerre en Ukraine, déclenchée par le président russe, Vladimir Poutine, en février 2022, occupe l’attention d’une grande partie du monde, la lecture de cet ouvrage s’avère très utile pour comprendre d’abord ce qu’est l’Ukraine, pays dont l’identité reste floue aux yeux de nombreux Européens de l’Ouest. Pour répondre à ce besoin, nul n’était mieux placé que Didier Rance. Ayant découvert l’Ukraine en 1988, alors qu’il dirigeait la branche française de l’Aide à l’Église en détresse (AED), l’auteur est devenu diacre bi-rituel latin et byzantin puis enseignant à l’Université catholique de Lviv.
L’auteur offre au lecteur une plongée dans une histoire complexe et tourmentée, où la question chrétienne occupe une place constante. Le christianisme s’est consolidé sur ce territoire en 988 grâce au baptême du prince Vladimir, qui a entraîné à sa suite le peuple de Kiev. L’Église qui en émane est byzantino-slave, en lien avec Rome et Byzance (à partir du XVIe siècle, on l’appelle « uniate », terme rejeté aujourd’hui), mais elle sera vite et longtemps déstabilisée par une série inouïe d’événements géopolitiques, tous plus tragiques les uns que les autres, parmi lesquels le grand schisme de 1054. À partir de 1721, les régimes tsaristes de Moscou, devenus maîtres de l’Ukraine, lui imposent la russification par la langue et l’orthodoxie.
Le XXe siècle est surtout marqué par la persécution des gréco-catholiques organisée par le pouvoir communiste puis, à partir de 1945, la mise en œuvre par Staline du plan visant à la « solution finale du problème uniate » en URSS et dans les pays satellites. Si une partie de la hiérarchie ukrainienne consent à s’auto-dissoudre pour rattacher l’Église gréco-catholique au patriarcat orthodoxe de Moscou, se conformant ainsi à un pseudo-synode (1946), qui sera qualifié d’invalide par Rome (1991), beaucoup d’ecclésiastiques et de fidèles laïcs entrent en résistance, prenant le risque de la déportation, ou bien s’organisent dans la clandestinité. En 1990-91, le gouvernement de Kiev proclame l’indépendance du pays, puis, grâce à l’action de Jean-Paul II, l’Église gréco-catholique d’Ukraine est légalisée, mais le patriarcat de Moscou persiste à lui refuser le statut d’Église, déniant aussi à l’Église orthodoxe d’Ukraine l’autocéphalie que lui a reconnue le patriarche œcuménique de Constantinople en 2019.
L’ouvrage, très documenté et précis, présente, données chiffrées à l’appui, la situation actuelle du christianisme ukrainien. Il est aussi illustré de portraits de confesseurs de la foi et de martyrs (de diverses confessions chrétiennes) qui ont jalonné toute l’histoire de ce pays. L’auteur voit dans leur capacité de résilience une aptitude à œuvrer en faveur de l’unité des Églises et un message pour une Europe spirituellement affaiblie.
Annie Laurent
LES MYTHES DE LA GRANDE ARMÉE
THIERRY LENTZ et JEAN LOPEZ (dir.)
Perrin, 2022, 444 pages, 23 €
Pourquoi, lisant ce volume, nous sommes-nous reporté à Jean Jaurès ? Parce qu’il a beaucoup parlé de la guerre, « dont le rôle dans l’histoire humaine fut terriblement ambigu, à la fois funeste et fécond », mais sans nul doute devenue, avec le monde moderne, « absurde et criminelle » ; parce que, abordant le cas de Napoléon, et disant que « l’intérêt de son pouvoir éphémère servait de mesure à toutes ses pensées, d’âme à toutes ses créations », il considérait l’époque impériale « comme un hautain glacier d’égoïsme, empourpré d’un reflet de liberté mourante et d’une prodigieuse lueur d’orgueil ». Inversement, « le plus grand de tous les hommes » pour Léon Bloy admiratif, et qui avait « éteint le soleil de Louis XIV ».
Ici, grâce au savoir de dix contributeurs fort experts en la matière, revoilà, appréciés à contre-courant de pas mal de fables et discutés avec clairvoyance, les principaux « monuments » d’une mémoire militaire sans pareille. Où l’on s’arrête, entre autres, sur le Blocus continental, sur la campagne de Russie en 1812 et celle de France en 1814, sur la bataille de Waterloo, aussi sur diverses questions touchant les « choses de la mer », la conscription, l’artillerie, etc. Résultat : ce que l’on connaissait (plus ou moins bien), on le connaîtra mieux. Ce que l’on ignorait, on saisira cette bonne occasion de l’apprendre.
Michel Toda
VOYAGE AU CENTRE DU MALAISE FRANÇAIS
L’antiracisme et le roman national
PAUL YONNET
Préface de Marcel Gauchet et postface d’Éric Conan, L’Artilleur, 2022, 370 pages, 20 €
Cet ouvrage de Paul Yonnet, décédé en 2011, fut publié en 1993 et avait à l’époque fait scandale, un intellectuel de gauche osant remettre en cause le credo antiraciste élaboré dans l’ombre de Mitterrand en 1983-1984. La Nef avait alors consacré un grand article à ce livre (n°53 de septembre 1995). Pourquoi le republier aujourd’hui ? Parce qu’il n’a pas vieilli et demeure un témoignage incontournable de l’imposture de la gauche qui a inventé « l’antiracisme » pour maintenir son hégémonie « morale » sur le monde intellectuel et disqualifier tout adversaire politique. Le démontage imparable de cette imposture est magistral et mérite d’être lu encore aujourd’hui près de trente ans plus tard, car, comme le souligne Marcel Gauchet, « l’interdit dont Paul Yonnet a fait les frais, l’un des premiers, s’est consolidé, généralisé, systématisé ». Raison de plus pour en prendre connaissance.
Être antiraciste, en effet, note Yonnet, « c’est tenter de faire échec à toute mesure visant à prévenir l’arrivée massive et incontrôlée d’étrangers en France… et à l’inverse, définir le racisme au critère de la volonté affirmée d’une maîtrise des flux migratoires ». Rien n’a changé ! Yonnet fournit trois causes à l’origine de cet antiracisme : d’abord « la décomposition de l’espérantisme ouvrier, qui prend forme avec l’échec révolutionnaire de Mai 1968 », la gauche substituant alors l’antiracisme à la lutte des classes, l’immigré remplaçant l’ouvrier comme victime du capitalisme ; ensuite « l’effondrement de l’épine dorsale – catholique – de la société française » avec le ralliement, à l’époque, de l’Église de France à l’antiracisme ; enfin « le laboratoire de la dépréciation et de la déconsidération de la conscience de nation que les Français ont d’eux-mêmes », autrement dit la haine de soi et la détestation de notre passé noirci à dessein, en insistant tout particulièrement sur l’épisode de Vichy.
Laissons Marcel Gauchet conclure : « Le livre de Paul Yonnet nous fait remonter au choc initial de cette interpellation par la mondialisation humaine qui double la mondialisation économique. Il a discerné prémonitoirement les enjeux qu’elle allait revêtir pour la société française […]. Aussi est-ce toujours, hélas, faut-il dire, le moment de lire un livre qui a eu l’audace d’ouvrir un débat capital qui ne peut toujours pas avoir lieu. »
Christophe Geffroy
L’ÉCOLE DES CHEFS
GASTON COURTOIS
Éditions Sainte-Madeleine, 2022, 110 pages, 9 €
Le Père Gaston Courtois (1897-1970), membre de la congrégation des Fils de la Charité, fut un éducateur et un animateur hors pair. Il fut secrétaire puis directeur de l’Union des Œuvres catholiques de France. En 1929, il participa à la création du journal Cœurs Vaillants, destiné aux garçons de 8 à 15 ans, puis en 1936 il fonda le mouvement du même nom. En 1945, il publia L’Art d’être chef et en 1951 L’École des chefs, deux ouvrages qui eurent de nombreuses rééditions et furent lus par de nombreux « chefs » ou futurs chefs (dans le scoutisme, dans les mouvements de jeunesse, dans l’armée et dans d’autres milieux). Les Éditions Sainte-Madeleine qui ont réédité le premier titre en 2020, proposent une nouvelle édition de L’École des chefs. C’est un manuel pratique qui se divise en quinze leçons. Elles portent sur les qualités et les vertus que le « chef » doit posséder et cultiver : compétence, désintéressement, discipline, autorité, équité, etc. Chaque leçon se compose d’un exposé sur la qualité ou la vertu à acquérir, d’une liste de « réflexions personnelles » à faire, d’un « exercice » à faire, d’un sujet de conversation à avoir avec d’autres chefs ou futurs chefs, d’un conseil de livre à lire et d’une pensée à retenir. Un livre très didactique.
Yves Chiron
VIVRE ET MOURIR AVEC GEORGES BERNANOS
SÉBASTIEN LAPAQUE
Éditions L’Escargot, 2022, 196 pages, 18 €
Bernanos a été un intellectuel et un romancier catholique central de la première moitié du XXe siècle. Son œuvre prophétique résonne encore aujourd’hui. Dans ce livre alerte et érudit, Sébastien Lapaque nous promène à travers la vie et l’œuvre de Georges Bernanos. Il étudie certains thèmes importants pour le comprendre, notamment son rapport à la technique et à la politique. Il montre également comment la pensée de Bernanos et une partie du gaullisme social ont pu se rejoindre, il décrypte aussi les figures du médecin, du prêtre et des femmes dans son œuvre. Il analyse comment, au cours d’un itinéraire souvent tourmenté, Bernanos a été toute sa vie guidé par trois idées : un catholicisme fervent, une volonté d’être dans le camp de la dignité du peuple et une lutte contre une civilisation mécanique étouffant toute vie intérieure. Ce sont ces boussoles qui ont permis à Bernanos de sortir de l’antisémitisme et qui lui ont permis de dénoncer tous les totalitarismes. Le chapitre sur la guerre et la bombe atomique intitulé « Un démon ne peut pas chasser un autre démon » montre l’aspect prophétique de certaines lignes de Bernanos.
Pour dire l’essentiel, il faut citer la fin de cet ouvrage qui après avoir détaillé comment la société moderne s’épuise dans une logique techno-marchande, explique que « l’écrivain attendait cette prise de conscience et n’a jamais douté de la jeunesse du monde. Mais il savait également que le moment de vérité serait sonore : “L’heure viendra cependant où dans un monde organisé pour le désespoir, prêcher l’espérance équivaudra tout juste à jeter un charbon enflammé au milieu d’un baril de poudre.” Lisez, diffusez Georges Bernanos ».
Rainer Leonhardt
UN TRAGIQUE MALENTENDU
AXEL TISSERAND
Éditions de Flore, 2022, 140 pages, 10 €
L’occasion de ce petit livre, c’est un dossier de la Revue des Deux Mondes intitulé « Contre nos renoncements et nos lâchetés, la colère de Bernanos » qui l’a fournie. Et, parmi les articles dudit dossier, très précisément l’un d’eux : « Georges Bernanos, l’antidote à Charles Maurras ». Bien peu satisfaisant. Si peu même qu’il allait déterminer notre historien, qu’on sait ferré sur le sujet, à reprendre l’enquête et à « revisiter » l’âpre querelle entretenue jusqu’à plus soif par Bernanos contre son ancien maître. Sans doute, de tous les griefs ressassés certains n’étaient pas dépourvus d’à-propos, mais qualifier d’« antidote » à Maurras l’admirateur jamais contrit d’Édouard Drumont (encore dans Les grands cimetières sous la lune de 1938) ou l’homme qui reconnaissait l’inégalité des races, « aussi évidente que celle des individus » (à l’exacte ressemblance de Maurras, lequel, adversaire proclamé de la doctrine gobinienne, n’en appelait pas moins erreurs – dans Gaulois, Germains, Latins – l’égalité des individus et l’égalité des races), croit-on, disant cela, se concilier les bonnes grâces des gens supposés estimables et fléchir la doxa ambiante ?
Colère de Bernanos, juste colère, selon le dossier plus haut cité. Dont firent les frais, gardons-nous de l’oublier, d’autres que Maurras. Par exemple Paul Claudel, personnifiant l’imposture du pharisien couvert d’honneurs, de titres et d’argent, et mentant à son œuvre comme à sa foi. Paul Claudel, aux yeux de qui l’abusif agresseur, « écrivain extrêmement médiocre », doté d’un « style pâteux », n’était qu’un « raté », exaspéré de n’avoir pas obtenu la place à laquelle il aspirait… Opinion sommaire assurément. Sentence imméritée. Et tout autant « l’aberrant Bernanos » décoché par Maurras. Reste qu’il lui arriva trop souvent, à cette grande âme, de s’apparenter à la « princesse du vieux conte qui, regrettait François Mauriac, ne pouvait ouvrir la bouche sans qu’il en sortît des crapauds ».
Michel Toda
L’ÉTOILE DE LA PROMESSE
Homélies pour le temps de l’Avent
PERE LUC DE BELLESCIZE
Préface de Fabrice Hadjadj, Mame, 2022, 144 pages, 14,90 €.
Nos lecteurs, qui connaissent le style et la profondeur du Père de Bellescize, ne pourront qu’apprécier ces belles homélies qui forment une excellente préparation à Noël. Treize textes, qui suivent la chronologie, à lire pendant l’Avent pour veiller et méditer sur ce si grand mystère de l’Incarnation.
LE GRAND BONHEUR
Vie des moines
NICOLAS DIAT
Préface inédite, Pluriel, 2022, 346 pages, 11 €.
Réédition en poche de ce magnifique récit sur la vie des moines de Fontgombault. Un livre touchant et profond.
TROIS JOURS ET TROIS NUITS
Le grand voyage des écrivains à l’abbaye de Lagrasse
Préface de Nicolas Diat, postface du Père Emmanuel-Marie, Pluriel, 2022, 360 pages, 12 €.
Le best-seller du récit de grands écrivains (Bruckner, Tesson, Rouart, Montaigu, etc.) enfin réédité en poche et facilement accessible.
Patrick Kervinec
LE CŒUR DE L’HIVER
CRAIG JOHNSON
Gallmeister, 2022, 380 pages, 34,40 €
Et voilà le retour du sympathique shérif Walt Longmire pour une nouvelle enquête et aussi pour notre plus grand plaisir. Nouvelle enquête ? Pas vraiment en fait, puisque ce quinzième opus détonne par rapport aux précédents sur au moins deux points : Longmire n’a pas d’énigme policière à résoudre, un meurtrier à appréhender, il cherche ici à sauver sa fille Cady qui a été enlevée par son pire ennemi, Tomas Bidarte, chef d’un des plus redoutables cartels mexicains ; il le fait seul, sans mandat, et toute l’action se passe au Mexique, loin des montagnes du Wyoming, dans des paysages désertiques et sous un soleil de plomb.
On retrouve dans ce roman l’immense talent de Craig Johnson qui nous offre là une histoire prenante avec des personnages toujours bien croqués. Mais avouera-t-on que le climat particulièrement dramatique et l’atmosphère chaude du Mexique nous ont fait regretter les enquêtes émaillées d’humour – notamment par la présence de Vic et Henry ici absents – dans ce bon vieux et sauvage Wyoming.
Christophe Geffroy
LES BOBOS SAPIENS
NATALIE SARACCO
Salvator, 2022, 228 pages, 19 €
La « bande à Jésus », bataillon de branquignols touchés par la grâce, est bien décidée à évangéliser ses prochains par tous les moyens y compris les plus délirants. Forts d’une expérience mystique qui leur fera rencontrer le Christ, ces ex-bobos hédonistes vont alors tenter de sauver des âmes dans un monde qui a oublié Dieu.
Le trait est forcé mais si le côté déjanté du roman et la rencontre de visiteurs célestes dans une myriade de jeux de mots et calembours ne vous inspirent aucune crainte, vous découvrirez l’esquisse d’un proche futur où toute ressemblance avec des personnages pouvant exister ne sera pas fortuite.
Anne-Françoise Thès
© LA NEF n°353 Décembre 2022