Publié le 16/07/2017 à 08h00
Blandine Hutin-Mercier
Le catalpa sous lequel, étudiante studieuse, elle s’asseyait pour préparer son agrégation, est encore là ; un peu mal en point, mais ragaillardi par un rejet plus jeune. La table en fer sur laquelle, gamine, elle faisait ses « devoirs de vacances » est là aussi ; on croirait presque sentir les effluves de chocolat chaud qui s’écoulaient, gourmandes, de la cuisine toute proche.

Là, la cheminée et l’évier sont toujours en place, comme le buffet en bois blond ; on n’y trouve plus la casserolerie en cuivre, mais des albums photos par dizaines, des coupures de presse et des livres… Ceux, de théâtre, que son père, Georges, travaillait pour sa troupe d’amateurs. Ceux qu’elle a publiés et qu’elle envoyait, chaque fois dédicacés, à sa chère cousine Jeanne.
Elle a découvert la vie ici ; c’était tellement différent de ce qu’elle vivait dans son milieu familial. Ici, c’était  la liberté !
Dans la salle à manger attenante, la bibliothèque est inchangée, avec sa collection complète des Voltaire reliés. Et dans le petit salon, les deux tableaux qui effrayaient tant les petites filles invitées à monter, seules, dans leurs chambres, sont encore au mur.

À Meyrignac (près d’Uzerche, en Corrèze), le parc et sa maison, propriétés de son grand-père Ernest, Simone de Beauvoir a passé un mois chaque été de son enfance et de sa jeunesse, jusqu’à sa rencontre avec Jean-Paul Sartre et la mort de ce bonhomme adoré, aux favoris blancs et à la gaîté chantonnante. On est en 1929, elle ne reviendra plus en Limousin. Enfin si, trois fois ; avec des amis, et Sartre, mais elle restera au portail, effrayée de ne plus retrouver « son » Meyrignac, gênée par tous les cousins qui s’y ébattent.

Martial Dauriac est l’un d’eux. Propriétaire actuel de Meyrignac, il se souvient… « La liberté, Simone l’a découverte chez son grand-père. Elle, sa sœur et leurs deux cousines, il leur laissait faire tout ce qu’elles voulaient. Elle a découvert la vie ici ; c’était tellement différent de ce qu’elle vivait dans son milieu familial. Ici, c’était la liberté ! »
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Enfant, Simone de Beauvoir se promène des heures dans le parc et la campagne environnante ; elle fait la leçon aux petits fermiers voisins ; elle lit, beaucoup, assiste aux conversations, volontiers politiques et enflammées, qui opposent Ernest et ses deux fils, l’oncle Gaston et son père Georges. Au déclenchement de la Première Guerre mondiale, elle invente avec Poupette et Jeanne un jeu : chacune sa part de la pelouse, l’une est le tsar, l’autre le roi anglais, les arbres seront les soldats allemands qu’elles piquaient abondamment ; elle sera Poincaré et l’emportera évidemment !

Son dernier été à Meyrignac, en 1929, elle y voit Sartre en secret. Lui est logé à Saint-Germain-le-Bel, elle le rejoint dans la journée. Elle a une vingtaine d’années, sa mère ouvre encore son courrier avant de le lui remettre. Au bout de trois jours, le rapport est éventé ; Georges exige de Sartre qu’il ne « déshonore pas sa fille », qui choisit de rentrer avec son amoureux à Paris. Elle ne reviendra plus à Meyrignac.

La mère de Simone, Françoise, continue, elle, de passer un mois l’été à Meyrignac. « Simone était très reconnaissante à ses nièces de s’occuper de sa mère. Elle savait ainsi qu’elle ne resterait pas seule dans son appartement parisien. Mais elle, elle s’est sentie dépossédée de Meyrignac à l’instant de la mort de son grand-père », pose Martial Dauriac.

C’est à Meyrignac que, petit garçon, il apprend l’attribution du Goncourt aux Mandarins, en 1954. « On ne savait même pas ce que c’était, sourit Martial Dauriac. mais on était fier d’avoir une tante pareille ! »
Blandine Hutin-Mercier
Meyrignac dans le texte
« Nous passions l’été en Limousin, dans la famille de papa […]. Des paons faisaient la roue devant la maison couverte de glycines et de bignonias ; dans la volière, j’admirais les cardinaux à la tête rouge et les faisans dorés. Barrée de cascades artificielles, fleurie de nénuphars, la “rivière anglaise”, où nageaient des poissons rouges, enserrait de ses eaux une île minuscule que deux ponts de rondins reliaient à la terre. […] Le parc, entouré de barrières blanches, n’était pas grand, mais si divers que je n’avais jamais fini de l’explorer. »
La maison d’enfance de Simone de Beauvoir à Meyrignac.

« Le premier de mes bonheurs, c’était, au petit matin, de surprendre le réveil des prairies ; un livre à la main, je quittais la maison endormie, je poussais la barrière […] ; je lisais, à petits pas, et je sentais contre ma peau la fraîcheur de l’air s’attendrir […]. Après les effusions familiales et le petit-déjeuner, je m’asseyais sous le catalpa, devant une table en fer, et je faisais mes “devoirs de vacances” ; […] Chaque chose et moi-même nous avions notre place juste ici, maintenant, à jamais. »
Dans Mémoires d’une jeune fille rangée.
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