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Grand Format Mondial au Qatar
Introduction
En marge du Mondial de football, la RTS a fait le voyage au Qatar avant l’arrivée de la Nati et de ses supporters pour prendre la mesure de ce qui se joue pour ce petit pays. Des problèmes de logements aux enjeux climatiques, en passant par une immersion dans la vie des Qataris, les défis du richissime émirat sont nombreux pour convaincre le monde du foot.
En kilomètres carrés, il est à peine plus grand que la Suisse romande. Ce tout petit pays collé à l’Arabie saoudite dans le Golfe Persique est resté longtemps sous protectorat britannique. Il était alors peuplé de bédouins, qui vivaient essentiellement de la pêche et de culture de perles.
En 1939, la découverte du premier gisement de pétrole, puis du gaz dans les années 70, vont transformer radicalement l’économie du pays.
L’Etat désertique gagne son indépendance en 1971. A peine deux générations plus tard, il devient l’un des Etats les plus prospères au monde. Il dispose de la troisième réserve de gaz au monde et se classe parmi les 20 premières puissances pétrolières. Son PIB par habitant, 93’521 francs, est l’un des plus élevé du globe.
Fort de son succès économique, le petit Emirat cherche à se construire une stature et une influence mondiale. Une volonté née déjà avec l’ex-émir Cheikh Hamad (1995-2013), père de l’actuel émir, qui a d’abord investi à l’intérieur du pays: un budget illimité à travers la puissante Qatar Foundation a été alloué pour des investissements massifs dans les infrastructures de l’Etat, mais aussi dans l’éducation et l’art. L’objectif était de donner au pays une profondeur historique et culturelle.
Les placements du Fonds souverain qatari se sont ensuite répandus à l’étranger. L’équivalent de 460 milliards de francs ont été investis dans le monde entier, notamment dans les secteurs de la finance, de l’immobilier, l’hôtellerie, l’industrie ou le sport, avec par exemple le rachat du club de foot Paris Saint-Germain (PSG).
L’attribution de la Coupe du monde de football a été entachée de nombreux soupçons de corruption et les conditions de travail des immigrés embauchés pour construire l’infrastructure nécessaire à la manifestation ont été décriées par plusieurs ONG. Aujourd’hui, l’enjeu est donc immense pour inverser son image, et pour que la fête soit réussie.
De retour du Qatar, notre journaliste Delphine Gianora décrit même une inquiétude palpable au sein de la population, qui craint que les stades ne se remplissent pas.
“Ces derniers jours, les règles se sont assouplies. Auparavant, il fallait posséder un billet de match pour entrer dans le pays. Ce n’est plus le cas. Toutes les restrictions liées au Covid ont disparu. Et des billets pour assister à la compétition commencent même à être distribués gratuitement dans les entreprises du pays. Les stades seront remplis à n’importe quel prix”, relate la journaliste.
Vêtus de blancs pour les hommes et de noir pour les femmes, les Qataris sont immédiatement reconnaissables. Ici, ils sont une minorité dans leur propre pays. Les citoyens qataris ne sont que quelque 300’000 sur une population totale de moins de 3 millions d’habitants. Soit environ 10%. Le reste est composé d’Indiens, Népalais, Bangladais ou encore d’Egyptiens.
Tout le pouvoir économique et politique se concentre donc dans les mains de quelques familles. Ces privilégiés bénéficient de bonnes prestations sociales. Les études sont financées par le gouvernement et leur assurent un travail bien rémunéré. Les retraites sont avantageuses et une prime de mariage de près de 100’000 francs est accordée, afin d’encourager une croissance de la population et de remédier au déséquilibre démographique.
Partisans de l’interprétation wahhabite de l’islam sunnite, les Qataris sont généralement conservateurs. Parmi eux, Saoud Al Hadad, un jeune trentenaire, que l’on retrouve dans une majlis, sorte de salon réservé aux hommes, où l’on se réunit plusieurs fois par semaine.
Lui ne craint pas la déferlante annoncée de supporters étrangers: “Mon père m’a appris à respecter les autres. Donc si un étranger vient ici et boit de l’alcool au stade ou autour du stade, mon père m’a appris à ne pas le regarder méchamment. Je le respecte mais je ne veux pas faire comme lui.”
>> Voir le reportage diffusé au 19h30:
Dans ce lieu, qui signifie littéralement “endroit pour s’asseoir”, ils sont tous fans de foot et très fiers d’organiser la Coupe du monde. “On a tous travaillé ensemble pour arriver à cet événement, à ce moment d’histoire de notre pays qu’est cette Coupe du monde”, affirme de son côté Khalid Al Saegh.
Et peu importe les accusations à l’encontre de l’Emirat: “Comme le Qatar est un petit pays, on a reçu beaucoup de critiques depuis l’attribution de la Coupe du monde. En plus le Qatar est le premier pays musulman à organiser cet événement. On sait tous que c’est très dur d’arriver au sommet et qu’on peut tomber facilement”, estime Abdallah Al Mahfoud, également présent dans cette assemblée.
En attendant le lancement dimanche, les habitants se réjouissent déjà de découvrir les nouveaux quartiers, construits spécialement pour le Mondial.
Le Qatar attend environ 1,2 million de supporters de la Coupe du monde à Doha. Pour cette petite péninsule de 3 millions d’habitants, les loger représente un véritable défi.
Les autorités ont parfois dû trouver des solutions de fortune pour héberger un tel afflux de visiteurs.
Parmi elles, des villages de supporters formés de containers. La RTS a pu visiter l’un d’entre eux. Un village de 6600 containers, pouvant accueillir plus de 13’000 personnes.
Le prix pour ce logement plutôt modeste n’est pas donné: 200 francs la nuit. Côté ambiance, les nuits devraient être plutôt calmes, puisque l’alcool y est interdit. Il faudra se rendre dans la fan zone de la Fifa pour consommer ce type de boissons, dès 18h30.
“Nous essayons d’être un peu conservateurs avec les règles, spécialement avec les règles culturelles et la loi en la matière. Nous préférons donc nous en tenir éloignés”, souligne Jassim M. Alemadi, vice-président de l’agence immobilière Al Emadi Enterprises, qui gère ce projet.
Au total, le Qatar a dressé 30’000 containers, pour une capacité de 60’000 supporters.
Outre les containers, de nombreux hôtels ont été construits pour l’occasion. Quand la Coupe du monde leur a été attribuée, il n’y avait que quelques hôtels dans le quartier prestigieux de West Bay.
La capitale s’est rapidement transformée en chantier et de nombreux bâtiments sont sortis de terre. En quelques années, le paysage a radicalement changé.
Pourtant, ces constructions sont restées insuffisantes pour loger tous les acteurs qui font une Coupe du monde de football.
D’autres solutions inventives ont encore été trouvées, telles que des villages de tentes traditionnelles, à près de 330 francs la nuit, ou encore des cabines dans l’un des trois bateaux de croisière amarrés au port, pour un total de 15’000 cabines.
Autre possibilité de logement, la location d’appartement. Mais pas question de laisser la place à Airbnb ou à d’autres plateformes étrangères. C’est le gouvernement qatari qui les a construits et le système de réservation est confié à la société française Accor, très présente dans le pays.
“Nous sommes prêts et nous avons encore beaucoup de chambres disponibles. Les supporters peuvent donc encore décider de venir à la dernière minute”, dit Omar al jaber, le directeur du logement au Comité suprême.
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A l’heure actuelle, il est impossible de savoir si les visiteurs attendus seront présents. Les autorités ne donnent pas de chiffres sur le taux de remplissage.
D’autant que certains supporters ne logeront même pas dans la péninsule, mais à Dubaï, Oman ou Ryad. Plus de 160 vols quotidiens supplémentaires ont été dépêchés pour relier Doha à ses pays voisins, permettant aux supporters de voir un match et de repartir après.
Ali Al Ali, le directeur général adjoint des opérations au Comité suprême, ne voit pas cette concurrence d’un mauvais oeil: “Nous avons tellement d’offres et d’options. Nous pensons que c’est bien que les spectateurs aient un maximum de choix possibles.”
Qu’adviendra-t-il des constructions édifiées pour le Mondial une fois la compétition terminée? Les containers seront démontés juste après la Coupe du monde. Mais personne n’a pu nous dire ce qui attend les dizaines d’hôtels et les milliers d’appartements érigés pour l’occasion.
L’attribution en 2010 du Qatar comme pays hôte marquait une première pour un pays arabe. Mais surtout, selon la Fifa et le Qatar, la compétition serait la première “complètement neutre en carbone”.
A l’arrivée à Doha, nous visitons un éco-quartier flambant neuf avec des panneaux solaires, des zones ombragées et un tram qui les traverse.
Mais derrière cette image du Qatar version Coupe du monde 2022, se cache une réalité accablante: selon la Banque mondiale, les émissions de CO2 par habitant au Qatar sont les plus élevées au monde. Dans ce climat désertique, on roule plutôt en grosse cylindrée pour se rendre dans un lieu climatisé.
Malgré ce très mauvais bilan pour le climat, l’Emirat a osé la promesse dans un rapport très détaillé. L’argument principal était que les différents matchs se tiendraient dans un mouchoir de poche, et qu’il n’y aurait donc pas besoin de prendre l’avion entre deux rencontres.
Douze ans plus tard, le pays se targue d’avoir fait construire trois lignes de métro et des navettes électriques pour relier les huit stades entre eux. Pour alimenter le réseau, un parc de 1,8 million de panneaux solaires a été conçu au milieu du désert.
Malgré ces efforts, la compétition devrait rejeter l’équivalent de 3,6 millions de tonnes de CO2 dans l’atmosphère, selon un rapport de la Fifa publié l’an dernier. Soit davantage que la précédente Coupe du monde en Russie (2,2 MtCO2eq) ou celle de 2014 au Brésil (2,7 MtCO2eq).
Le chiffre de 3,6 millions donné par la Fifa, déjà démesuré pour un événement ponctuel, serait même sous-estimé, selon Carbon Market Watch. Pour l’ONG, l’impact de la construction des six nouveaux stades érigés en plein désert n’a pas été comptabilisé correctement.
Gilles Dufrasne, spécialiste des marchés carbone chez Carbon market watch, explique que la Fifa a calculé le bilan total de la construction des stades et a émis ensuite l’hypothèse qu’ils seraient utilisés pendant 60 ans. Or, la Coupe du monde ne dure que 2 mois. “Donc la Fifa considère que la compétition ne serait responsable que de cette toute petite période de 2 mois, divisée par 60 ans. Pour nous, c’est tout à fait trompeur”, juge-t-il.
Selon l’ONG, les quelques jours que dure la compétition ne représentent donc que 0,3% des émissions liées à la construction des stades.
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Constructions, déplacements, hébergement… Le Qatar assure que ces sources d’émissions de CO2 seront compensées, à travers des projets appelés crédits carbone. Pour atteindre la neutralité, le Qatar finance des projets de réduction des émissions au Qatar et à l’étranger.
L’autre problème que relève le rapport de Carbon Market Watch est que les projets pour lesquels le Qatar paie des crédits ne figurent pas dans les différents registres établis par les organismes indépendants. Le Qatar a créé son propre registre et les projets qui y figurent sont viables économiquement, sans avoir besoin de vendre des crédits carbone. Ils ne rempliraient donc pas les critères habituels des crédits carbone, selon l’ONG.
Devant ces accusations de Greenwashing, la RTS a voulu entendre la réaction du comité d’organisation. Mais le rendez-vous fixé au Qatar avec un responsable a été annulé au dernier moment. C’est donc par écrit qu’un porte-parole du comité nous répond: “Tous nos stades ont reçu les meilleures certifications de durabilité. La durabilité a défini l’ensemble de notre planification et de nos opérations. Elle est au coeur de notre vision à long terme.”
Dans sa réponse, le comité d’organisation évoque également les compensations en crédits carbone, ainsi que les pépinières d’arbres plantés dans le pays.
Des arbres plantés au milieu du désert, pour lesquels des camions citernes remplis d’eau défilent sans cesse.
Une enquête publiée en 2021 par le quotidien britannique The Guardian a jeté un pavé dans la marre. Quelque 2 millions de travailleurs étrangers ont été recrutés par le Qatar pour travailler sur les chantiers de la Coupe du monde. Parmi ces ouvriers venus essentiellement d’Asie et d’Afrique, 6500 seraient morts après avoir oeuvré sur les chantiers dans des conditions insoutenables.
Parmi eux, un important contingent de travailleurs indiens, laissant derrière eux des familles sans ressources.
Dans le sud de l’Inde, Pavani Surukanti pleure encore son mari, parti travailler comme plombier au Qatar. Il a travaillé durant trois ans sur les chantiers de la Coupe du monde, avant de décéder subitement, il y a un an.
Alors qu’il installait des canalisations près du stade qui accueillera la finale du Mondial, il est mort par asphyxie après un éboulement. Il avait 32 ans.
“Mon mari se plaignait beaucoup, il n’a jamais aimé ce travail. J’ai tout de suite compris que ces chantiers, qu’il méprisait tant, lui avaient coûté la vie. Il me disait qu’il craignait son travail et que c’était très dangereux”, confie-t-elle à la RTS.
Depuis son décès, sa famille assure n’avoir reçu aucune compensation de son employeur, l’une des plus grandes entreprises du Qatar.
Raja Gangu, la mère de la victime, ne décolère pas: “Là-bas ils vivent dans le luxe et nous on vit dans la douleur. Qu’est-ce qu’ils ont fait pour nous ? Ils vont faire une grande fête qui coûte des millions et nous, qu’est-ce qu’on a?”
D’après les autorités indiennes, plus de 3300 travailleurs indiens seraient morts au Qatar ces onze dernières années.
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A plusieurs kilomètres de là, nous rencontrons Ram Singh. Il a travaillé durant 12 ans au Qatar, avant de rentrer en 2020. Les chantiers du petit émirat, il les connaît bien. L’ancien ouvrier assure avoir été témoin de nombreux accidents et avoir appris la mort de beaucoup d’ouvriers.
“Les entreprises ne disent rien concernant les décès, car elles savent que si elles parlent, elles auront des problèmes avec l’émir. Elles ne révéleront jamais ces horreurs”, soutient Ram Singh.
Son témoignage, ainsi que le bilan officiel indien, détonne avec la version officielle des organisateurs du Mondial au Qatar. D’après la Fifa, il n’y aurait eu que 37 morts parmi les salariés ayant travaillé sur les stades du Mondial, dont seulement trois directement liés à leur travail.
>> Voir les explications de Delphine Gianora:
A Doha, la petite communauté suisse de 260 expatriés se prépare à accueillir la Nati. La RTS a retrouvé certains d’entre eux dans un hôtel tenu par un Suisse.
L’organisateur de ces rencontres mensuelles se nomme Fariborz Samadian, dit “Dr Sam”. Il est le directeur du Swiss business council Qatar.
Quand la Coupe du monde a été attribuée au Qatar en 2010, il a pris immédiatement un aller simple de Zurich à Doha: “Il y a 12 ans, j’ai pensé que le Qatar allait avoir une croissance incroyable jusqu’à la Coupe du monde. C’est pour cela que je me suis installé ici”, raconte-t-il.
Plusieurs entreprises suisses profitent des opportunités de ce chantier géant qu’est devenu le Qatar. Environ 200 personnes travaillent pour un entrepreneur originaire de Zurich sur l’artère principale de Doha, qui sera le lieu central de la fan zone.
“Là, nous sommes en train d’installer une scène pour des concerts. Nous avons fait tout l’éclairage depuis le Sheraton jusqu’au musée. Cela fait 6 km d’éclairage. C’est un énorme contrat!”, souligne Farzin Samadian, le directeur de SwissOpenAir.
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Dans l’un des nouveaux quartiers créé expressément pour la Coupe du monde, un club suisse s’apprête à accueillir les supporters du monde entier.
L’ambassadeur de Suisse au Qatar Edgar Dörig nous y retrouve. Pour lui, au-delà de la fête qui s’annonce, c’est surtout l’opportunité pour la Suisse de faire passer des messages politiques:
“Si vous voyez la situation des droits de l’homme dans ce pays, la liberté d’expression est précaire; il y a encore des progrès à faire sur le respect de l’Etat de droit et au niveau des travailleurs. On attend du Qatar que ces progrès vont être maintenus, vont être peaufinés, et que la mise en oeuvre va aussi suivre”, souligne l’ambassadeur.
La Suisse est l’un des pays qui comptent pour le Qatar. Les deux Etats fêteront l’an prochain les 50 ans de leurs relations diplomatiques.
Delphine Gianora et Antoine Védeilhé
Feriel Mestiri