Jacques Rovaris habite un immeuble du quartier du Mirail à Toulouse depuis 40 ans. Et il ne veut pas quitter son quartier et ses amis alors que Toulouse Métropole veut détruire et reconstruire plusieurs bâtiments. Il nous raconte avec émotion et un brin de poésie ces pans de vie qu’il ne se résout pas à voir effacés.
5 bâtiments, représentant un millier de logements doivent être détruits dans le cadre d’un projet de renouvellement urbain qui touche les quartiers de la Reynerie et de Bellefontaine à Toulouse. Les habitants mais aussi des architectes se mobilisent pour sauver le Mirail de Candilis en péril. Nous avons rencontré l’un de ses meilleurs ambassadeurs qui y réside depuis 40 ans : Jacques Rovaris. 
Jacques vous invite bien volontiers chez lui. Ce retraité a quitté le cœur historique de Toulouse. “Il y a une quarantaine d’année, j’habitait rue de la Fonderie, une vieille petite rue magnifique. J’avais écrit aux services d’hygiène car j’avais remarqué dans les murs des interstices, des fissures. Était-ce dangereux ? Les pompiers sont venus me chercher pour me reloger car le mur s’est effondré.”
En mars 1961, une nouvelle ville commence à poindre dans le quartier du Mirail à Toulouse. Le maire de l’époque Louis Bazerque lance un concours national d’architecture avec un programme prévoyant une mixité architecturale et sociale très en avance pour l’époque. Ce sont 3 élèves de Le Corbusier qui vont dessiner cette aventure : Georges Candilis, Alexis Josic et Shadrach Woods
“Je sortais de l’obscurité de la rue de la Fonderie. Quand ils m’ont relogé ici et que j’ai vu ça, je n’en revenais pas ! Ce qui m’a plu ? C’est ça : le soleil ! Je me suis approché j’ai regardé autour. Une vue pareille, ans mon ancien appartement, j’ai jamais j’ai eu ça.”
Dans son appartement lumineux et traversant, Jacques pourrait vous illuminer d’images poétiques pendant des heures. Entre son piano quoi sonne faux et son vélo toujours dispo, il y a là plus de 40 ans de vie de quartier et son regard, toujours émerveillé. 
Quand j’ai vu un rayon de lumière traverser la pièce de part et d’autres je me suis dit : c’est Versailles, on dirait de l’or !

Le pas alerte, Jacques arpente les coursives jalonnées de piliers en béton qui lui font donc penser à un monastère. Nous sommes sur le cheminement Vincent d’Indy à Toulouse. Des barres d’immeubles pas franchement gênantes pour lui. “Certes il y a du béton mais on m’a expliqué que ça ressemble à une portée de musique. D’ailleurs ici il y a beaucoup de noms de musiciens pour les rues comme Erik Satie par exemple”.
Depuis des décennies, la nature et la poésie se sont invitées. Quand on vient ici, on est entre 2 immeubles mais on voit les Pyrénées quand le temps change. “Et maintenant j’ai ce platane avec 2 nids de pie. Quand je suis arrivé, il y avait des arbustes en bas de l’immeuble, j’y prêtais pas attention. Quand j’ai vu un de ces arbres arriver à hauteur de balcon, j’ai été agréablement surpris.”
Sur le cheminement Vincent d’Indy, la diversité se partage au quotidien : “des Espagnols, Portugais, Algériens, Tunisiens c’est formidable.”  Et pas de conflit de générations. “Ici, il y a des souvenirs poignants. En 2005, les révoltes urbaines et ces 2 petits jeunes Zyed et Bouna poursuivis par la police et morts devant un compteur électrique. Pendant trois semaines, 100 villes se sont embrasées. Ici, le long de la rue Kiev, les CRS d’un côté envoyaient des grenades lacrymo et les jeunes des cailloux. Un copain Joao me disait que sa famille le suppliait de rentrer au Portugal car c’était la guerre civile. On a discuté avec les jeunes, on a organisé un rassemblement, ils nous ont expliqué toutes les frustrations de ne pas pouvoir travailler alors que si on traverse le parking, il y a les plus belles entreprises mais auxquelles ils ne peuvent accéder.”
Aujourd’hui comme le souligne Jacques “les garçons font du rodéo avec les voitures mais ils n’ont pas le permis. Les filles ont toutes le permis et ne font pas de rodéo.” Il nous raconte aussi que lui et d’autres ont amené ces enfants parfois désorientés prendre l’air des Pyrénées du côté de l’Ariège. “On dormait dans les refuges, ils étaient contents et nous encore plus. On est trop bien, ici avec toutes ces relations, ces souvenirs, je ne peux pas partir.”

Michel Retbi architecte honoraire est venu lui aussi sauver ces immeubles en péril à Toulouse. Il est membre d’un collectif constitué en 2021 pour défendre l’architecture de Candilis, Josic et Woods au Mirail, contre la démolition programmée. Ils ont le soutien du conseil régional de l’ordre des architectes mais aussi de la présidente de région Carole Delga et du député François Piquemal. Des architectes de renom comme Jean-Philippe Vassal, Anne Lacaton, Frédéric Borel eux aussi ne comprennent pas pourquoi détruire un tel patrimoine architectural et de liens sociaux.
“Nous voulons obtenir un moratoire sur les démolitions et lancer un concours d’architecture et d’urbanisme pour la requalification urbaine et la réhabilitation du quartier de La Reynerie et de Bellefontaine sans démolition. Les appartements sont spacieux, ventilés et éclairés de part et d’autres des façades, bien distribués et insonorisés. Il y a des arbres qui ont plus de 60 ans pour faire baisser la température. C’est le quartier le mieux étudié sur un plan environnemental à Toulouse”, déclare l’architecte Michel Retbi.

Jacques Rovaris ne dira pas le contraire. Il souhaite juste une chose : continuer de voir grandir les arbres du quartier et le soleil, illuminer de dorures sa modeste vie. 

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