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Rose de Vallavieille fut mise au tombeau de manière précipitée. Elle était enceinte. Revenue à la vie, elle mit un fils au monde.
L’ histoire que voici se situe dans l’ambiance galante du XVIIIe siècle. Après l’austérité du Grand Siècle de Louis XIV, le XVIIIe est un siècle amoureux où fleurissent des romans comme Manon Lescaut et où le peintre grassois Fragonard peint ses tableaux charmants.
Toulon, à cette époque, est en plein renouveau. Les souvenirs funestes de la peste, qui, en 1720, avait causé 13 000 morts, s’estompent. L’arsenal connaît un essor considérable, conséquence des besoins en armement maritime dans une Europe politique instable. Le bagne a été créé en 1748, attirant sur la ville de Toulon renommée et curiosité. Des édifices monumentaux sortent de terre comme la porte de l’arsenal ou la tour de l’Horloge. On trace de nouvelles voies, on donne un nom aux rues, un numéro aux maisons, on éclaire la ville la nuit, on multiplie les fontaines pour favoriser l’hygiène publique. De beaux espaces sont créés, dominant la rade, représentés dans ses tableaux par le peintre Horace Vernet. Les promeneurs élégants et les amoureux s’y donnent rendez-vous.
Laurent Bernardy de Pézenas, 32 ans, et Rose de Vallavieille, 20 ans, font partie de l’aristocratie toulonnaise.
Le premier a une belle carrière de militaire derrière lui. Fils d’un officier de la marine royale, embarqué à l’âge de 17 ans à Toulon aux côtés de Claret de Fleurieu, il s’est battu contre les Anglais dans la rade des Sablettes en 1759. Onze ans plus tard, devenu capitaine de la flotte royale, il a participé au bombardement de Bizerte et de Sousse en Tunisie aux côtés du comte varois Rafélis de Brovès. Ces faits d’armes ont installé sa notoriété.
Rose de Vallavieille, elle, est née à Toulon en 1754. Elle est la fille du procureur de la ville. On n’a conservé de portrait ni de Laurent ni de Rose.
Nous sommes à l’été 1774. Les deux jeunes gens sont mariés depuis le 26 avril. Ce soir-là, ils ont décidé de dîner en tête-à-tête dans leur maison de la rue Salvator (aujourd’hui rue des Bonnetières), non loin du port. La jeune femme est enceinte.
On imagine la discussion, à la chandelle, autour du prénom du futur arrivant. Sera-ce un garçon ? Sera-ce une fille ? Si c’est un garçon, il fera certainement carrière dans la marine ou l’armée royale comme ses ancêtres. Le comte de Pézenas est aux petits soins pour son épouse. Il a fait préparer le meilleur des repas. Désireux de satisfaire ses moindres désirs de femme enceinte, il a commandé des abricots pour le dessert.
C’est lui-même qui porte l’un de ces fruits d’amour aux lèvres de son épouse. Beau tableau qui aurait pu inspirer le peintre Antoine Watteau ! Rose mord dans la chair, savoure le jus du fruit, écarte les quartiers et, maladroitement, avale le noyau. Au bout de quelques instants, le comte s’aperçoit que Rose ne respire plus. Elle est en train de s’étouffer. Il prend peur, la secoue, frappe dans son dos, tire sur ses bras, rien n’y fait. Rose s’effondre, s’écroule à terre. Rose est morte.
Le jeune comte est désemparé, effondré. Les domestiques accourent, impuissants. Lorsque le médecin arrive, il ne peut que constater le décès.
L’horreur d’un destin qui, en un instant, a basculé du bonheur au drame ! La femme a disparu en même temps que l’enfant à venir.
Le jeune comte s’accuse d’être l’auteur du drame. Il est anéanti, devient fou. Sa famille se charge d’organiser les obsèques. Les funérailles ont lieu en la cathédrale de Toulon, là où s’était déroulé le mariage quatre mois plus tôt.
Le jeune comte de Pézenas exige une chose : que Rose soit la plus belle possible dans la mort, et soit enterrée avec ses plus riches bijoux. Un collier de diamants sera attaché à son cou. La richesse de la parure n’échappe pas à l’employé des services funéraires.
Lors des obsèques, tout Toulon s’est massé dans la nef sombre de la cathédrale Notre-Dame-de-la-Seds. La population est bouleversée par l’histoire de ce destin si stupidement brisé. Rose est enterrée au cimetière Saint-Lazare. Une longue procession l’a suivie jusqu’à sa dernière demeure. Le jeune comte a perdu conscience.
Une fois la nuit venue et le cimetière vidé de sa foule, une silhouette se glisse vers le caveau de la famille Villavieille. Il fait noir. Personne à l’horizon.
S’assurant qu’il est seul, l’employé des services funèbres retient son souffle et, s’y prenant à plusieurs reprises, fait sauter les fermetures du couvercle du cercueil. Tout semble. A la lueur de la lune, il voit scintiller les diamants. Cette fortune est à lui ! Avidement, il essaie de détacher le collier du cou de la morte. Mais celui-ci résiste. Le fermoir du bijou ne veut pas céder. Le voleur insiste. Rien ne vient. Il décide alors d’asseoir le corps pour passer les mains derrière le cou.
Étonné, le croque-mort constate que le corps n’a pas la rigidité habituelle des cadavres. Il arrive à l’asseoir, glisse son bras derrière et donne une secousse pour faire céder le fermoir. Soudain, la morte a un hoquet. Son corps est agité d’un spasme. Elle se réveille en sursaut. Le noyau d’abricot qui avait obstrué sa trachée venait d’être expulsé.
Terreur du croque-mort. Un miracle vient de se produire. Dieu et diable s’étaient prêté main-forte.
“- Je suis la comtesse de Pézenas, murmure la jeune femme. Où suis-je ?
– Au… au… cimetière !
– Qui êtes-vous ? Où est mon mari ?
– Je vais vous conduire à lui !
– Vous êtes bien bon, je vous remercie, Monsieur!”
On ne sait comment, cette nuit-là, la jeune comtesse de Villavieille, enceinte, à bout de force, regagna son domicile, et quelle part prit le croque-mort dans ce retour au domicile, mais Rose se retrouva chez elle.
Les domestiques qui ouvrirent la porte, scandalisés par le tapage qui était fait devant la porte d’une maison en deuil, faillirent défaillir.
“Monsieur le comte ! Monsieur le comte ! Madame la comtesse est revenue !…”
Il fallut bien du temps à la maison pour retrouver le cours normal de sa vie.
Le 12 février 1775, Rose de Vallavieille accoucha. Un fils vint au monde. Ils l’appelèrent Joseph-François-Xavier. Lors de son baptême, toute la ville de Toulon était à nouveau là dans la cathédrale. “Vaqui moussu de Pézenas, que fuge anterra avans que d’estre na” (“Voici Monsieur de Pézenas, qui fut enterré avant que de naître!”)
Comme dans les contes pour enfants, les parents s’aimèrent et eurent beaucoup d’enfants. La comtesse de Vallavieille en mit… dix autres au monde, quatre garçons et six filles. Deux fils furent officiers de marine – dont le premier, Joseph-François-Xavier, l’”enterré pré-natal”, qui resta célibataire et mourut en 1853 – deux filles épousèrent chacune un contre-amiral. La suite de la vie de Rose ne fut pas un long fleuve tranquille.
On arrivait en effet à l’époque de la Révolution. Cette période fut impitoyable pour la noblesse.
Le comte Laurent de Pézenas et sa famille se réfugièrent dans la propriété familiale de Pernes-les-Fontaines dans le Vaucluse. Mais ils y furent retrouvés. Arrêté, Laurent de Pézenas fut fusillé en 1793, à l’âge de 54 ans. Lui qui avait subi la double épreuve de la mort de sa femme puis de sa « résurrection » ne survécut pas à la Terreur.
Quant à Rose de Villavieille, elle fut ramenée à Toulon. On l’incarcéra avec ses enfants dans la prison Sainte-Ursule, située sur l’actuel cours Lafayette. Mais une fois de plus le destin fut miraculeux avec elle. Faisant savoir qu’elle était à nouveau enceinte, elle fut libérée.
L’incroyable histoire de Rose de Vallavieille a été racontée à la fin du XIXe siècle, dans un ouvrage publié à Paris en 1896, par un historien médecin de la marine toulonnaise, Laurent Béranger-Féraud, lequel avait interrogé les descendants des deux familles ainsi que les enfants des témoins. La comtesse Rose de Pézenas finit sa vie à La Seyne-sur-Mer, dans le quartier de l’Evescat, au-dessus de Tamaris, vers les Sablettes. On sait peu de choses sur la fin de sa vie, si ce n’est qu’elle fit œuvre de charité à l’égard des pauvres de la ville.
Elle mourut en 1829 à l’âge de 75 ans. Elle avait traversé la Révolution, le Premier et le Second Empire, avait connu une république et le retour de la royauté.
On l’enterra dans l’ancien cimetière de la ville. Cette fois-ci, elle était bien morte ! Mais ce ne fut pas sa dernière sépulture. En 1838, en effet, un nouveau cimetière fut construit à La Seyne et ses restes y furent transférés. C’est ainsi que la comtesse Rose de Pézenas fut enterrée trois fois.
On peut voir aujourd’hui sa tombe à l’abandon, près du mur du cimetière de La Seyne. Sur une plaque en pierre, les inscriptions se sont effacées avec le temps. On peut encore y lire: “Modèle des épouses et des mères, elle fut toujours l’appui des malheureux.” Mais aucune allusion n’est faite à son destin hors du commun. Qui s’imagine aujourd’hui, en visitant le cimetière de La Seyne, dans la forêt des tombes qui datent de plusieurs siècles, que se trouvent là, sous une dalle presque anonyme, les restes d’un aussi romanesque destin ? Peu à peu, le temps efface les souvenirs comme les inscriptions sur les monuments funéraires.
Et c’est ainsi qu’aujourd’hui, plus personne ou presque ne raconte l’incroyable histoire de Rose de Vallavieille…
La peur d’être enterré vivant porte un nom: la taphophobie. Elle s’est largement répandue à partir de la Renaissance. Dans sa comédie L‘Étourdi, Molière fait dire à un de ses personnages, Anselme: “Qui tôt ensevelit bien souvent assassine / Et tel est cru défunt qui n’en a que la mine.”
Cette peur s’est accrue au XIXe siècle par la prolifération de récits d’épouvante rédigés par des écrivains adeptes du romantisme noir tel Edgar Allan Poe, et par la relation
de cas réels rapportés dans les journaux ou encore des tableaux comme L’Inhumation précipitée d’Antoine Wiertz (photo ci-contre). De nombreux médecins d’alors admettent leurs difficultés à diagnostiquer, avec certitude, un décès dans des cas de catalepsie, léthargie, coma, etc.
Guy de Maupassant, qui a fréquenté notre région, à bord de son voilier le Bel-Ami, avait-il entendu parler de l’histoire de Rose de Vallavieille lorsqu’il écrivit en 1884, sa nouvelle Le Tic ? L’histoire est celle d’une fille qui a été enterrée vivante à la suite d’une maladie qui l’a fait passer pour morte.
La nuit qui suit l’enterrement, la fille se présente à la maison, assurant qu’elle va bien, racontant qu’un pilleur de tombeaux voulant lui voler ses bijoux la réveilla en lui coupant le doigt. Le voleur était un domestique de la famille. Voyant la fille revenir, il croit être en présence d’un fantôme et tombe raide mort.
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