Dans une lettre adressée à André Breton en 1935, et mise au jour il y a quelques semaines, le peintre catalan décrit son projet de religion raciste, avec des idées nazies. Un délire dalinien ?
C’est un article paru il y a quelques semaines dans le quotidien espagnol El Pais, titré "Le jour où Dali inventa une religion raciste" qui a secoué le monde de l’art et agité les réseaux sociaux, toujours prompts aux sentences expéditives. "Dali était nazi", s’insurgent les uns ; le peintre n’était qu’un "fou", un "provocateur" contestent les autres.
Pour tenter de comprendre cette polémique, il faut remonter à 1935, date à laquelle Salvador Dali envoie à André Breton, chef de file du mouvement surréaliste, une longue lettre dans laquelle il décrit son rêve d’une religion sadique, masochiste, raciste qui reprendrait des éléments nazis.
C’est cette missive qu’a décryptée Josep Massot dans son article. "En tant que journalistes, nous avons l’obligation éthique de faire connaître les parts de lumière et d’ombre des personnages historiques. Cette lettre, qui est dans le catalogue d’archives d’André Breton, est connue depuis 2003 et appartient aujourd’hui à la fondation Dali de Figueres."
L’année où il écrit cette lettre, Dali est porté par le succès et Gala est sa "muse surréaliste" depuis trois ans. La gare de Perpignan n’est pas encore le centre du monde et Picasso et Miro le détestent déjà. En cette année 1935, Hitler fait voter les lois racistes de Nuremberg et Salvador ne fait plus trop "mumuse" avec les Dadas.
Son anticommunisme creuse une distance avec le mouvement. Sa relation avec les surréalistes se résume à des échanges épistolaires. Comme cette fameuse lettre adressée à Breton aujourd’hui polémique.
Le peintre rédige d’une écriture serrée sur six pages ses "projets urgents" qui sont "d’inventer une religion essentiellement antichrétienne et matérialiste". Il veut "l’anéantissement de l’inflation scandaleuse de l’altruisme chrétien. On ne veut pas le bonheur de tous les hommes mais le bonheur de certains au détriment de certains autres." Dali rêve d’"une nouvelle religion fanatique dans le rationnel, délirante et hitlérienne dans l’affectivité", "une religion sadique, masochiste […] et paranoïaque."
Eric Vilagordo, professeur en arts plastiques et sociologue de l’art à l’université Paul-Valéry de Montpellier, ne juge pas "cette lettre si surprenante que cela, car Dali avait à cette époque une fascination esthétique pour les dictateurs et les grandes figures de la propagande politique". À cette époque, n’avait-il pas déclaré à ses amis surréalistes, provocateur, qu’il était fasciné par "le dos tendre et dodu d’Hitler, toujours si bien sanglé dans son uniforme" ?
Dali était fasciné par une esthétique du chaos
"Dali aimait tout ce qui était grandiloquent, il était fasciné par une esthétique du chaos. Je ne crois pas à un antisémitisme de Dali mais plutôt au rêve d’un régime qui aurait eu la folie des grandeurs", analyse l’universitaire.
Que pensez-vous de cet article dans “El Pais” ?
Ce sujet sur Dali demanderait une étude exhaustive et profonde, qu’un article de presse ne peut réaliser entièrement. Car il s’agit d’un thème complexe avec des contradictions, qu’il faut contextualiser dans une époque et un environnement particulier.
La lettre de Dali à Breton est-elle un délire surréaliste ?
Dali, postérieurement à cette lettre, en 1952, se souvient et écrit : "Je n’ai jamais renoncé à mon imagination féconde et élastique, ni à mes procédés de recherche très rigoureux. Chaque jour, je m’ingéniais à accepter une idée ou une image en complète contradiction avec le groupe surréaliste. Ainsi, face à l’automatisme pur et passif, j’opposais la pensée agitatrice de ma fameuse méthose d’analyse paranoico-critique." Je crois que c’est avec cela que nous devons réinterpréter la polémique. Dali se hisse contre un Breton qu’il considère comme l’autorité paternelle devant laquelle il doit se venger ou comme le dogme qu’il doit questionner.
Peut-on dire qu’il avait une fascination pour le decorum nazi ?
Dali ressentait une fascination pour les figures de l’autorité, en commmençant par la figure paternelle. Le mythe de Guillaume Tell présent dans son œuvre va dans ce sens. Car il doit se rebeller, comme Dali, contre le père.
Dali préférait aussi le mythe à l’histoire. Pour lui, la politique et l’histoire, de façon générale, sont des endroits où il interprète la réalité avec ses méthodes de délire paranoïco-critique. A vouloir analyser Dali, je crois que nous devrions nous éloigner de la présupposition, contextualiser les choses et approfondir son idéologie, néanmoins ambivalente.
 
Cette lettre ne serait donc pas l’expression d’une adhésion idéologique. Est-elle pour autant un délire surréaliste ? "Non. Il n’y a aucun délire dans ce qu’écrit Dali, commente le journaliste Josep Massot. Dali combattait la moralité imposée depuis des siècles de religion chrétienne… Il voulait libérer et conquérir l’irrationnel."
Mais que dire lorsqu’il écrit qu’il souhaite "l’asservissement de toutes les races de couleur" par les Blancs, "sources d’immenses enthousiasmes immédiats" ? Ce qui ressemble à une démonstration de racisme évident serait, selon l’analyse de Josep Massot, "sa façon de dire que la gauche se trompait, et qu’au lieu de s’interrroger sur la lutte des classes, elle devait se pencher sur la lutte des races. Il n’était pas nazi… Ses toiles étaient considérées comme de l’art de dégénéré par le régime d’Hitler."
Les Dali quittent d’ailleurs la France en 1940 quand les Allemands débarquent à Paris pour un exil de huit ans aux États-Unis. Un départ d’autant plus inévitable que le peintre catalan est devenu persona non grata chez les Dadas, le mouvement l’exclut définitivement en 1939.
Si Dali s’en tient à des rêves dans sa lettre adressée à Breton, ses liens avec le franquisme sont bien réels à son retour d’exil. Il est même reçu par le caudillo au palais du Bardo. "Dali se voyait comme le sauveur de l’art moderne et Franco comme celui de l’Espagne", commente Josep Massot. Mais, paradoxe dalinien, il déclare : "L’histoire ne me concerne pas. Elle me fait aussi peur que les sauterelles" et mène une vie de narcisse hédoniste aux antipodes du Franquisme.
Dali a préféré les tenues impériales blanches à la marinière. Le génie catalan n’a pas laissé de Guernica mais des chefs- d’œuvre et cette lettre, illogique, absurde, irrationnelle. Surréaliste.
Silhouette de bronze, moustache exclamative et sourcils circonflexes. Ainsi découvre-t-on Dali quand on arrive pour la première fois à Cadaqués. Sur le front de mer, sa statue rappelle aux touristes que le peintre catalan qui vivait dans l’anse de Port Lligat, a fait la renommée de la petite station balnéaire du cap de Creus. Ici, tout le monde ou presque a assisté aux sorties folklorico-surréalistes du peintre dans les années 70. Comme lorsqu’il descendait de sa Cadillac accompagné de sa panthère, d’une certaine Amanda Lear et d’une nuée de hippies, pour dîner à l’Hostal. Beaucoup ont côtoyé de près ou de loin l’artiste dont la réputation est aujourd’hui mise à mal. Et chacun a un avis sur la question. Marie-Christine, une Française dont le père, Henri Duclos, médecin et écrivain, possédait une maison en bord de plage, raconte : "Dans les années 60 et 70, Dali venait dîner chez mes parents. J’étais ado mais je me souviens qu’il était un peu beaucoup allumé. Il avait un grain." Elle affirme sans hésiter que le peintre était fasciné par Hitler. "Ça donnait lieu à de grosses disputes entre lui et mon père qui avait été résistant et déporté en Allemagne." Pour Pere, ce sujet est "une histoire compliquée", sur laquelle il ne souhaite pas s’étendre. Cet habitant de Cadaqués qui l’a croisé quelquefois, décrit "un homme gentil. Les habitants qui n’avaient pas d’argent et qui devaient aller voir le médecin allaient chez lui. Dali leur faisait un croquis ou une dédicace qu’ils donnaient ensuite à leur docteur en guise de paiement." Quant à Yvo, qui vit à Cadaqués depuis les années 60, il se souvient que le peintre ne faisait pas l’unanimité dans le village. Quant à sa fascination du nazisme, il n’y croit pas une seconde mais rappelle sa sympathie sans équivoque pour le Caudillo.
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Comme d'habitude, une interprétation contemporaine de propos datés d'un provocateur mégalo totalement déjanté, génial certes, mais aussi proche de Franco que de l'asile … Je crois qu'il faut prendre cette lettre pour ce qu'elle est, une provocation comme il en a commis toute son existence, adressée à son ancien complice surréaliste André Breton communiste convaincu, alors que cette ligne politique est abhorrée par Dali …
Il reste quand même un des plus grands artistes du siècle passé. Excentrique certes,mais c'était sans doute calculé car il cultivait un personnage.Comme dit dans l'article,un délire Dalinien.

avant d'être un artiste, c'était un vrai facho.
Rien d'étonnant, si malgré la guerre civile espagnole, les décennies de franco (a l'image de l'Italie)… L'Espagne d'aujourd'hui, quand on y vit, est en train de refaire les mêmes erreurs et le fachisme franquiste sera bientôt de retour

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