C’est un patio discret, caché derrière la porte cochère du 3, rue Sainte-Croix-de-la-Bretonnerie, en plein Marais parisien. Quelques bambous, une jolie verrière, une salle aux murs de pierres nues… Voici Jaja, une adresse qui fait le plein de Parisiens branchés et de touristes anglophones. Au menu ce jour-là : merlu sauvage, mousseline de céleri-rave, sucrine grillée. Et au dessert, pannacotta à la fève de tonka, et sa poire pochée. Honnête, à 19 euros la formule. Mais pour certains clients, l’intérêt n’est pas dans l’assiette : ils pensent manger ici à la table de Marion Cotillard. «Tout le monde croit que c’est le resto de Marion, mais elle n’y est plus associée !», glisse la manageuse. L’actrice, amie de l’entrepreneur Ludovic Dardenay, aussi producteur de cinéma, a juste mis un billet pour aider au démarrage. Mais ce vernis showbiz fait toujours son petit effet.
Pour les VIP, avoir son restaurant, c’est un fantasme éternel. «Ça fait rêver ! C’est plus sympa que d’investir dans une mine de plomb en Asie», constate un chef d’entreprise du secteur. Dénicher un bel emplacement, penser la déco et la carte, et surtout improviser des soirées mémorables : l’idée est séduisante sur le papier. Chez les acteurs ou les footballeurs, ce genre d’aventure était du dernier chic au tournant des années 2000. Mais la plupart n’ont pas tenu la distance. Le comédien Gilles Lellouche, par exemple, a lancé avec des amis sa cantine, Le Schmuck, à Odéon, dans le VIe arrondissement de Paris, aujourd’hui fermée.
Edouard Baer, lui, a ouvert en 2008 Les Parisiennes, un bistro dans le XIe. Il l’a reconnu en interview : «J’y ai perdu ma chemise ! Je déconseille à toute personne qui n’est pas restaurateur de se lancer. On s’est bien marrés… et puis à un moment je ne pouvais plus payer.» Le métier ne s’improvise pas plus aujourd’hui. A l’époque des réseaux sociaux et de TripAdvisor, il est même plus risqué que jamais. Alors, ceux qui se lancent appartiennent à une nouvelle génération d’entrepreneurs, plus sérieux, mieux conseillés, et surtout discrets.
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Qui sait par exemple que le chanteur Garou est devenu un gérant de cabaret à succès ? Il se cache derrière Manko, un restaurant péruvien décoré d’or, sur l’avenue Montaigne (Paris VIIIe). L’endroit se transforme le week-end en haut lieu des nuits parisiennes, avec numéros de strip-tease burlesques et DJ. Ce mélange des genres, qui séduit aussi bien Pamela Anderson que la top Natalia Vodianova, fonctionne tellement bien qu’il été répliqué à Doha (Qatar) et va l’être au Luxembourg.
Passionné de gastronomie, le Québécois n’agit pas en novice. Il gère déjà à Montréal l’Auberge Saint-Gabriel, rachetée avec Guy Laliberté, le fondateur du Cirque du Soleil. Pour Manko, Garou s’est associé, à 50-50, avec Benjamin Patou. Ce quarantenaire, arrière-petit-neveu du fameux parfumeur, est devenu en quelques années un spécialiste du genre : il sait comme personne trouver un ambassadeur célèbre pour ses établissements. Manko est pour lui un cas d’école. «Garou avait un projet de cabaret, j’avais aussi cette envie : on a fait ce lieu ensemble. Il vient souvent, et apporte son regard d’artiste. C’est lui qui trouvé le nom, celui du premier empereur inca.»
Pour les stars qui veulent se lancer, Benjamin Patou est devenu incontournable. Il est à la tête de Moma Group, soit une quinzaine de restaurants chics (dont le Noto, à Paris, où s’est récemment illustré le ministre Christophe Castaner). L’ensemble vient de dépasser les 100 millions d’euros de chiffre d’affaires et les 800 salariés. Dans le QG haussmannien de l’homme d’affaires, les photos en compagnie de ses clients et amis stars s’étalent le long du mur. Il leur propose de se lancer dans la restauration uniquement si le projet est cohérent. Lui s’assure de trouver les meilleurs lieux, chefs et décorateurs, et eux apportent leur touche de créativité et servent de tête d’affiche. A la rentrée prochaine, il relancera ainsi avec Patrick Bruel Le Bœuf sur le toit, une mythique brasserie festive parisienne, un peu endormie – c’est là qu’est née l’expression «faire le bœuf». Patou est ravi : «Le nom de Patrick est un label de qualité sur le spectacle, ça a du sens. C’est la plus grande star française !»
Ton sur ton, aussi, son association avec Antoine Arnault (le fils de Bernard, propriétaire de LVMH) pour racheter et rénover Lapérouse, restaurant des bords de Seine tout droit sorti du XVIIIe siècle, connu pour ses salons privés où les hommes d’affaires tiennent des conciliabules…
Les temps changent, et l’époque des stars gastronomes, qui ne regardaient pas à la dépense, semble révolue. Un signe ne trompe pas : Benjamin Patou (encore lui) s’apprête à racheter, selon nos informations, le restaurant d’un bon vivant par excellence : La Fontaine Gaillon, qui a longtemps appartenu à Gérard Depardieu. L’acteur avait installé en 2003 dans un hôtel particulier du centre de Paris cette table gastronomique, dont il avait confié les clés à son ami le chef Laurent Audiot, qui y préparait de fameux fruits de mer et poissons. Après d’innombrables gueuletons, le statut de propriétaire de restaurant l’a lassé : Depardieu liquide un à un ses fonds de commerce de la capitale, même s’il est pour l’instant toujours propriétaire du Bien-Décidé, un bar à vins situé dans sa chère rue du Cherche-Midi (Paris VIe).
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Dans la famille des amateurs de bonne chère, Laurent Gerra fait encore de la résistance : il a misé par goût sur des adresses lyonnaises, Léon de Lyon, Le Fer à cheval, Pléthore & Balthazar. Mais, prudent, il ne s’implique pas dans les affaires. L’imitateur bressan détient une participation minoritaire dans ces établissements, gérés par des amis proches, Julien Géliot et Fabien Chalard, à la tête du groupe Les Gastronomistes.
D’autres VIP qui se lancent dans ce business y vont franchement, en se retroussant les manches. C’est le cas l’ex-footballeur Fabrice Fiorèse. Ancien joueur du PSG et de l’OM, il s’est reconverti depuis 2015 en patron de restaurant savoyard, avec un associé célèbre : le chanteur Matt Pokora, son ami de longue date. Ils ont chacun investi environ 250.000 euros dans L’Alpin, un 66 couverts en centre-ville d’Annecy, qui sert des raclettes et fondues au charbon de bois et des viandes choisies, comme la blonde de Galice. En trois ans, l’affaire a doublé son chiffre d’affaires, dépassant le million d’euros en 2018.
Le chanteur passe de temps à autre, mais le footeux reste très présent, et prend plaisir à faire lui-même le service en salle : «Dans ce business, si vous déléguez trop, vous êtes mort.» Il se remémore ainsi des débuts très artisanaux. «Je me suis posté dans le centre-ville, en comptant les passants… Puis j’ai démarché le restaurateur situé sur un bon emplacement, et il était vendeur !»
Fabrice Fiorèse l’assure : sa notoriété comme celle de son associé n’ont au départ pas été des atouts. «Les banquiers nous ont ri au nez, sur le thème : “Restaurateur, c’est un métier difficile, ils se prennent pour qui ?”» En revanche, il reconnaît que le vernis people et paillettes assure une publicité non négligeable. «En termes de notoriété, on a gagné dix ans. Au début, 80% des gens venaient par curiosité. Mais attention, le bad buzz aurait lui aussi été démultiplié si ça avait raté.» Signe du vrai succès : aujourd’hui, les fans ne représentent plus que 20% de la clientèle.
Le nageur Florent Manaudou a aussi eu bonne presse quand il s’est lancé, à Marseille. Lui qui vient d’annoncer son retour aux bassins a découvert, pendant sa parenthèse handball, la vie de restaurateur. Ou plutôt, de barman : quand il passe à La Piscine, son resto situé sur le Vieux-Port, il prépare les cocktails. En bon directeur général, il a délégué la cuisine à une chef de confiance, Georgiana Viou (ancienne finaliste de l’émission «MasterChef»).
Le secteur attire également les grands fauves de la finance. Mais eux se lancent dans le métier de cuistot par calcul, plus que pour s’encanailler. Le fondateur de Free, Xavier Niel, par exemple. En misant sur les restaurants à l’italienne branchés Big Mamma, en pleine phase de croissance champignon, il a agi comme pour n’importe quel placement, jaugeant le potentiel du groupe de la même façon que pour une start-up classique. Et, en investisseur qui sait faire fructifier ses mises, il a accordé à la chaîne la concession du restaurant géant abrité à Station F, son méga-incubateur parisien. La Felicita sert jusqu’à 3.000 couverts par jour, ce qui fait de ce resto XXL le plus grand d’Europe !
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Cette ouverture a boosté le chiffre d’affaires du groupe, que ses fondateurs assurent très rentable. Un autre actionnaire de Big Mamma n’est autre que le producteur de télévision Stéphane Courbit (groupe Banijay). Lequel est en train de bâtir un petit empire dans l’hôtellerie de luxe (avec notamment La Bastide de Gordes) et la gastronomie étoilée, transformant au fil des années une diversification de patrimoine en vrai business florissant.
Autre cas de figure, plus opportuniste, avec le très chic restaurant Market, installé depuis 2001 sur l’avenue Matignon, à deux pas des Champs-Elysées. Il se loge en bas des locaux de Christie’s, propriété de l’homme d’affaires François Pinault. Ce vaste rez-de-chaussée aménagé selon les principes feng shui propose la cuisine franco-asiatique du chef Jean-Georges Vongerichten, un Français très réputé aux Etats-Unis, et multipropriétaire. L’établissement lui appartient à 75%, le reste étant partagé entre le réalisateur producteur Luc Besson et l’empereur du luxe. «Luc Besson voulait s’associer à Jean-Georges, François Pinault disposait de cet emplacement… ça s’est fait comme ça», raconte le directeur général, Rajoo Etwar.
L’adresse assume son côté bling bling. Quand ce n’est pas Besson qui y déjeune d’une soupe poulet coco (il vient très souvent), les joueurs du PSG y organisent des anniversaires, le rappeur Booba ou le chanteur américain Pharrell Williams s’invitent jusque dans les cuisines. Brigitte et Emmanuel Macron y sont même venus dîner, juste avant le second tour… Seulement voilà, les pizzas aux truffes à 34 euros ne se vendent plus aussi bien qu’avant. Les attentats ont fait un temps fuir la clientèle américaine. En 2017, l’établissement a perdu 372.500 euros, sur 3,5 millions de chiffre d’affaires. Et depuis, les Gilets jaunes n’ont rien arrangé, amputant la recette chaque samedi. Comme si le métier n’était pas assez dur…
Le petit-neveu du célèbre couturier sait comme personne mêler de grands noms à ses projets parisiens : Le Club 13 avec Claude Lelouch, Manko avec Garou, Le Boeuf sur le toit avec Patrick Bruel… Moma Group, qu’il dirige, pèse plus de 100 millions d’euros. Outre ses gros établissements (Froufrou, La Gare, Victoria, Noto, Le Bus Palladium), il produit des opéras en plein air et fait dans l’événementiel.
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