Le Rassemblement National est arrivé en tête dans 2 départements bourguignons dimanche soir, la Nièvre et l’Yonne. Des résultats qui laissent à penser que le “plafond de verre” du vote RN a été dépassé. Analyse du politologue Vincent Holeindre.
Ce dimanche, la candidate du Rassemblement National a obtenu le meilleur score pour un parti d’extrême-droite à la présidentielle, avec plus de 13,2 millions de Français ayant voté pour elle. Un citoyen sur quatre inscrit sur les listes électorales (27,28%) a donc voté pour la candidate du Rassemblement national.
Le Rassemblement National (RN) effectue un score de 51,59 % dans l’Yonne (avec 24,18% d’abstention) et de 50,11 % dans la Nièvre (avec 25,2 % d’abstention). En 2017, aucun département n’avait réussi à placer Marine Le Pen en tête.

Selon le politologue bourguignon Jean-Vincent Holeindre, c’est le département de l’Yonne qui est à regarder de plus près : “Emmanuel Macron obtient des scores très importants dans les villes. À Sens, dans le nord du département qui est dans la circonscription où le RN fait les scores les plus élevés. À Joigny, il l’emporte aussi, c’est moins surprenant, car c’est une ville marquée à gauche. À Auxerre, une ville gouvernée par la droite républicaine. C’est donc dans les villages que Marine Le Pen fait le plein et compense son retard des villes.”
L’analyse du politologue se poursuit avec la Nièvre, qui est un département “à l’image de la France, coupée en deux : une France rurale et une France des villes”

Selon Jean-Vincent Holeindre, Marine Le Pen toucherait un électorat populaire qui a davantage tendance à vivre dans les villages loin des villes (à cause du coût de l’immobilier par exemple.) Ces mêmes personnes prennent souvent la voiture, avec une essence qui coûte de plus en plus cher : “Cette question du pouvoir d’achat que Marine Le Pen a investi, parle fortement sans doute à ces populations qui vivent dans les campagnes, qui ont le sentiment d’être abandonnées. C’est typiquement le vote Gilet Jaunes, qui s’est déporté sur la candidate du RN.”
Dans la Nièvre, on constate que la zone correspondant au Morvan a voté pour Marine Le Pen. Pour Jean-Vincent Holeindre, “c’est vraiment une terre de gauche au départ, c’est ce qu’on appelle le communisme rural dans la Nièvre, qui est bien connu. On voit qu’en réalité, sur cette terre autrefois communiste, les voix se sont déportées sur Marine Le Pen. “
Mais le politologue précise qu’il ne faut pas conclure hâtivement que ce sont des territoires d’extrême-droite. Il y a un autre élément qui intervient, c’est la présence d’un électorat qui a voulu exprimer une opposition nette à Emmanuel Macron, avec “des électeurs déçus, qui n’expriment pas une adhésion nécessairement forte à Marine Le Pen, mais un désaveu très profond du président sortant. Et inversement, ceux qui ont voté Emmanuel Macron n’expriment pas nécessairement une adhésion, mais une volonté farouche que Marine Le Pen ne soit pas présidente. C’est ce qui explique en partie que Mme Le Pen a refait son retard par rapport à 2017.”
L’analyse du vote se fait aussi au niveau des catégories socio-professionnelles. Une distinction qui se confirme au niveau territorial : les populations de cadres vivent pour l’essentiel dans les villes : “ces électeurs-là, qui s’en sortent plutôt mieux que les autres, vont voter Macron, c’est rassurant pour eux. Ils peuvent voter Macron, parce qu’ils ont voté Mélenchon au premier tour, et ils ne veulent pas voir Marine Le Pen présidente. De l’autre côté, la France de Marine Le Pen, c’est la France des ouvriers, des employés, des personnes qui ont du mal à joindre les deux bouts. On est au retour du vote de classe, c’est très frappant. 

Au regard de la progression de l’extrême-droite en cinq ans, on peut s’interroger sur la porosité des électeurs aux thématiques populistes. A cette interrogation, le politologue répond : “On sent dans le pays, à travers les différentes crises observées (gilets jaunes notamment) un sentiment anti-élite. Sentiment de la part de ce peuple qui vote Marine Le Pen d’être incompris, déconsidéré, déclassé. C’est un élément important, qui est sensible non seulement dans l’électorat habituel de Marine Le Pen, peut-être même au-delà. Ce qui va expliquer que même à droite, une partie des électeurs de droite vont être attirés par un discours beaucoup plus transgressif, comme c’est le cas d’Eric Zemmour.”
Les classes les moins favorisées vont voter Le Pen par adhésion, mais aussi par anti-macronisme
politologue
La Bourgogne en général présente l’avantage de mettre en évidence le contraste évoqué par le politologue sur les deux votes “anti” : “le vote anti-Le Pen dans les villes, de la part de gens qui n’ont pas voté nécessairement Macron au premier tour, mais qui vont voter pour lui. Par exemple à Auxerre, où Mélenchon avait fait un très bon score. Aujourd’hui, Emmanuel Macron fait un bon score par cet électorat mélenchoniste qui vote anti-Le Pen. C’est le vote des professions intellectuelles, des cadres, des gens qui ont fait des études. Et inversement, parmi les classes moins favorisées, les ouvriers, les petits employés, les gens qui ont des emplois précaires, eux, ils vont voter Le Pen soit par adhésion, mais aussi par anti-macronisme.”
Jean-Vincent Holeindre évoque la situation dans laquelle se retrouve à présent le chef de l’Etat : conscient d’avoir été réélu par des voix de contestation, mais pas par adhésion, “il fait face à une partie de la France qui est vraiment remontée contre lui, c’est pour cela que la célébration de la victoire était relativement sobre. On ne peut pas dire que ce soit une célébration habituelle. Il a bien compris que la porte était extrêmement étroite pour gouverner le pays dans les 5 prochaines années.” 
Le vote de contestation est assimilé à “une colère froide, selon l’analyste politique. “Cette colère est inquiétante, elle peut laisser à penser que le pays devient presque ingouvernable. Est-ce que les élections législatives vont redonner une majorité forte à Macron par le jeu du mode de scrutin, avec le risque d’avoir une crise amplifiée avec le sentiment des Français de ne pas être représentés, à l’image de ce que la présidentielle a indiqué. Ou alors est-ce qu’on va avoir un président de la République qui va redonner un peu plus de pluralisme, pour ménager cette critique qui nécessairement doit se sentir dans le pays ?..”
Les élections législatives se dérouleront les 12 et 19 juin prochains.

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