« Ça valait le coup quand même ! » Bruno a bien transpiré dans la cheminée (1). Sujets au vertige, s’abstenir. Les mains et les pieds sur les rochers, il a fallu appuyer fort sur les cuisses et faire de l’escalade dans les 50 derniers mètres de l’ascension du Canigó. Oui, Canigó et pas Canigou. N’écrivez plus le nom de la montagne sacrée des Catalans comme celui de cette pâtée pour chien. Depuis 2012, année où le massif a été labellisé Grand site de France, le pic porte officiellement son nom catalan.
En haut, pas de chance. La brume a grimpé plus vite que nous. Mer de nuages à 360 degrés alors que la randonnée avait démarré sous un grand ciel bleu, la mer Méditerranée en toile de fond, en bas dans la plaine. À peine quelques pics émergent au-dessus de cette nappe de coton. Un autre marcheur arrive, essoufflé. « Vous pouvez me prendre en photo, là devant la…
« Ça valait le coup quand même ! » Bruno a bien transpiré dans la cheminée (1). Sujets au vertige, s’abstenir. Les mains et les pieds sur les rochers, il a fallu appuyer fort sur les cuisses et faire de l’escalade dans les 50 derniers mètres de l’ascension du Canigó. Oui, Canigó et pas Canigou. N’écrivez plus le nom de la montagne sacrée des Catalans comme celui de cette pâtée pour chien. Depuis 2012, année où le massif a été labellisé Grand site de France, le pic porte officiellement son nom catalan.
En haut, pas de chance. La brume a grimpé plus vite que nous. Mer de nuages à 360 degrés alors que la randonnée avait démarré sous un grand ciel bleu, la mer Méditerranée en toile de fond, en bas dans la plaine. À peine quelques pics émergent au-dessus de cette nappe de coton. Un autre marcheur arrive, essoufflé. « Vous pouvez me prendre en photo, là devant la croix ? » Il réajuste le col de son T-shirt trempé. « Ça fait quelque chose. J’étais monté ici il y a quarante ans. »
Devant le calvaire, décoré de grigris, les groupes défilent. Clic clac, souvenir immortel à 2 784 mètres. Et la fierté pour beaucoup de ces valeureux grimpeurs d’affirmer qu’ils sont de vrais Catalans. « N’est pas Catalan celui qui n’a pas fait le Canigó », dit le dicton. Ils sont entre 28 000 et 30 000 à pouvoir y prétendre chaque année.
Chaque ascension, qu’il s’agisse de la Rhune, de la petite colline en face de chez soi ou du Mont-Blanc, provoque une poussée d’adrénaline. Certains courent après les sommets et notent chacun de leur exploit dans de précieux carnets. Instagram et Facebook relatent ses expériences extraordinaires. Le Canigó, dans cette collection, a quelque chose de particulier.
Voici Guy, de Céret (66), avec son petit-fils, 5 ans, croisé au col des Millères, tout en bas, 24 heures avant d’atteindre le sommet. Le petit, qui crapahute dans la montagne « depuis qu’il sait marcher », a fait 2 000 mètres de dénivelé avec un dodo à mi-parcours au refuge des Cortalets. Le rite familial est sain et sauf : Lucas a gravi la montagne sacrée.
Pourtant, il n’y a pas tant de foule que ça en haut du pic. « Avant, on voyait des gens monter en tongs, c’était devenu n’importe quoi », raconte Isabelle, habitante de Vernet-les-Bains, commune thermale au pied du colosse. Avant, c’était quand il était encore possible d’emprunter en voiture les pistes qui conduisaient marcheurs de la ville et randonneurs expérimentés à plus de 2 000 mètres d’altitude. Il restait alors deux bonnes heures pour atteindre le toit des Pyrénées-Orientales.
« J’ai été un des premiers à militer pour la fermeture des pistes », se souvient Thomas Dulac, gardien du refuge des Cortalets. C’était au début des années 2010. Beaucoup d’élus locaux dont Jean Castex, alors maire de Prades, étaient sceptiques. Le dossier a semé la zizanie durant des mois autour du massif.
Depuis 2019, impossible pour un bonhomme normalement constitué de s’avaler 4 000 mètres de dénivelé dans une journée en partant d’un des huit chemins d’accès au sommet. Il faut d’abord rejoindre l’un des cinq refuges au pied du pic, y passer la nuit puis faire l’ascension le matin.
« Notre idée n’est pas de mettre la montagne sous cloche », explique Thomas Dulac. Sur la terrasse de la bâtisse qui peut faire dormir jusqu’à 100 randonneurs par nuit, des VTT électriques sont garés. « Certains ne monteraient pas s’ils n’avaient pas ce moyen de locomotion », souffle-t-il.
À l’heure du souper au refuge, Jordi, de Girona, Catalan et « surtout pas Espagnol », a pris place à notre table. Un accident de la vie lui a fait perdre ses deux jambes. Avec ses deux prothèses, il a pédalé depuis le col des Millères puis demain, il marchera le temps qu’il faudra pour atteindre le sommet. Une sacrée épreuve et une fierté. Ses deux filles vont venir fêter l’événement aux Cortalets le lendemain soir.
« La montagne est un bon apprentissage au respect de l’environnement. Venir la voir, c’est apprendre à la respecter. Donc ne restreignons pas son accès à ceux qui la connaissent déjà », poursuit le gardien. Pendant notre séjour, un groupe d’adolescents est venu s’essayer à l’escalade sur le flanc est du Canigó. Une expérience à sensations. Pour se mesurer aux autres et se surpasser.
Les ados ont dormi au refuge, avec deux prises seulement dans tout le bâtiment pour recharger les smartphones, sans Internet et presque pas de réseau cellulaire.
Depuis la crise sanitaire, les marcheurs affluent au Canigó. Les habitants des alentours comme les marcheurs sur les itinéraires de grande randonnée, GR 10, Haute Randonnée pyrénéenne ou encore ceux qui font le tour complet du massif. Certains partent gravir la montagne sacrée à 5 h 30 du matin, lampe torche vissée au front, pour voir là-haut le lever du soleil.
Tout cet été, le refuge des Cortalets est complet. Les restrictions d’accès ont contribué à son succès. Ne montent plus que le 4×4 de Thomas Dulac, son ancien camion de pompiers qui fait la navette avec la vallée pour faire le plein de nourriture une fois par semaine (produits bios et locaux s’il vous plaît), les chasseurs, les secours et l’hélicoptère qui vient de temps en temps chercher des blessés comme dans les refuges de haute montagne inaccessibles par la route. Les cinq refuges, conçus pour être ravitaillés à coups de camions-citernes remplis de fioul et venant vider les fosses septiques, ont besoin de travaux. Pour devenir totalement autonomes et en harmonie avec l’esprit des lieux.
Une harmonie qui sied à la nature. « On revoit des oiseaux qui avaient disparu », relève Charlotte Besombes, chargée de mission au syndicat mixte Grand site Canigó. Des bébés gypaètes sont nés ce printemps 2022 et ont survécu. Une première depuis des décennies.
(1) Suite à un éboulement dans le col de la cheminée, le syndicat mixte du Grand site du Canigó a conseillé le mercredi 24 août de ne plus emprunter cet itinéraire jusqu’à nouvel ordre pour rejoindre le sommet.

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