Les boulangeries subissent de plein fouet la hausse du prix de l’énergie. Près de Vichy, Bernard songe à mettre la clef sous la porte car sa facture d’électricité sera prochainement multipliée par 10. Mais il ne baisse pas les bras.
Depuis mercredi 16 novembre, pour tout client qui franchit le seuil de la boulangerie-pâtisserie Chapouly de Cusset, près de Vichy, impossible de passer à côté. L’affichette est bien en vue. On peut y lire : « Chers clients. Suite à la flambée des prix de l’énergie, nous avons reçu hier notre nouveau contrat EDF. Les nouveaux prix annoncés étant multipliés par 10, nous ne serons plus en mesure de payer nos factures, sauf si le gouvernement fait un geste pour nous et toutes les petites entreprises artisanales. Sans cela, nous nous verrons contraints de fermer définitivement notre boutique, avec beaucoup de regrets, avant le 31 décembre 2022. Merci à vous ».
Ce message, c’est la mort dans l’âme que Catherine Chapouly l’a affiché. Avec son mari Bernard, ils sont les propriétaires de ce commerce de Cusset depuis 14 ans. Auparavant, ils ont tenu une boulangerie à Vichy puis une autre à Clermont-Ferrand. Ils sont boulangers-pâtissiers depuis 34 ans. Bernard Chapouly a ce qu’on appelle l’amour du métier et ne compte pas ses heures : « C’est un métier que j’exerce avec passion. Je me lève de bonne heure pour faire plaisir aux clients. C’est ma première motivation. On voit que les gens sont heureux. Ils ont leur petite boulangerie de quartier. Pendant la période du COVID, c’est moi qui apportais le pain aux personnes âgées pour qu’elles ne prennent pas de risques. Je me lève à 11h30 et je travaille jusqu’à 19 heures. Puis je me lève à 1 heure et je travaille jusqu’à 8 ou 9 heures ». Il poursuit : « On est ouverts 6 jours sur 7 mais on travaille quand même lors de notre jour de repos le lundi. On n’arrête pas. On travaille tout le temps. Tout est frais chez nous et cela demande beaucoup de fabrication ». Bernard et Catherine ont acheté ce commerce en pensant avant tout à leur retraite : « On a décidé de ne pas prendre d’employé mais d’acheter les murs pour avoir quelque chose pour la retraite. Pour les affaires de Clermont-Ferrand et de Vichy, nous étions locataires. Là, on a eu la possibilité d’acheter les murs donc on s’est dit qu’on ferait un peu plus de travail pour payer les murs ».
Mais pour Bernard,  le coup de massue est tombé il y a une semaine. Le boulanger raconte : « Mardi 15 novembre, on a reçu le nouveau contrat EDF. Quand on a vu ce qu’on nous proposait, on a complètement halluciné. L’année dernière, en janvier, j’ai payé un peu plus de 1 200 euros d’électricité. Si on se réfère à ce qu’on nous propose, je vais me retrouver à devoir payer 13 000 euros d’électricité pour le mois de janvier. C’est fois 10. On est une petite entreprise. Ces 13 000 euros représentent tout le chiffre d’affaires qu’on va faire au mois de janvier, avec les galettes. C’est impossible à tenir. Il faut que je paie le meunier, le comptable, le RSI, les prêts…La totalité des mes recettes servira à payer l’électricité. On va devoir arrêter car on ne peut pas s’endetter pour travailler. On n’aura pas le choix ». Il a immédiatement reçu des soutiens : « Certains voulaient faire une cagnotte mais je leur ai dit que ça ne servait à rien. Vu l’ampleur de l’augmentation, il faudrait que l’on vende le pain 10 fois plus cher. On ne va pas vendre une baguette à 10 euros ! Si on dépose le bilan, ce sera la mort dans l’âme. On a acheté les murs parce qu’on sait très bien qu’on aura des petites retraites. On se retrouvera à la rue ».
Bernard est démuni face à des machines énergivores : « Les fours électriques sont gourmands en énergie. On a aussi l’éclairage toute la journée au magasin. Au fournil, j’ai supprimé un néon sur deux pour éviter de trop consommer ». Mais le boulanger se veut combattif. Il indique : « EDF n’a pas respecté les délais car notre contrat finissait le 16 novembre et on a reçu le nouveau contrat le 15 novembre. On aurait dû le recevoir un mois à l’avance. On a jusqu’au 10 décembre, pour soit dénoncer le contrat soit l’accepter. On n’a pas le choix. On accepte le contrat et on sera mort début février. On refuse et on sera mort maintenant car ils vont nous couper l’électricité. C’est un suicide annoncé ». Bernard n’entend pas baisser les bras : « Je suis en mode guerre. Heureusement, on est très soutenus par le maire, la population. Quand on a reçu le contrat, on a essayé d’appeler EDF pour savoir pourquoi ils ont augmenté les prix de la sorte. Impossible de les joindre. J’ai contacté le médiateur de l’énergie et il nous a dit qu’il ne pouvait rien faire pour nous. J’ai publié un message sur les réseaux sociaux. Je veux me battre car ce n’est pas normal. Il faut que le gouvernement réagisse. Une augmentation des tarifs est normale. Je l’accepte. Mais pas dans ces proportions-là. Cela dépense nos capacités ».
L’artisan est fragilisé par cette situation : « Quand on se retrouve seul, il y a des moments où c’est compliqué. Seul dans mon lit, j’ai la tête qui ne va pas bien. Mais on assume, on résiste. On fait notre boulot. Je me battrai jusqu’au bout. C’est encore plus difficile pour ma femme car elle est au contact des clients. On nous parle de cela en permanence. On est épuisés. On a de longues journées. On dort peu ». Le boulanger pense à la suite, car il est âgé de 56 ans et sa femme a 60 ans : « Pour la suite, il faudra trouver un emploi ». Bernard n’est pas convaincu par les annonces de Bruno Le Maire, le ministre de l’Economie, qui met en place un guichet pour soutenir les entreprises. Bernard indique : « D’après ce que j’ai vu, l’Etat nous aiderait à partir de 25 % d’augmentation. A la limite, ils vont nous donner 2 000 euros mais sur 13 000 euros ça ne fera rien ».
Lundi 21 novembre, Bruno Le Maire était en déplacement en Bourgogne. Il a réaffirmé son soutien aux artisans : “Nous ne laisserons tomber aucune entreprise, aucune PME. Certainement pas les boulangeries, avec lesquelles nous avons beaucoup travaillé. Les boulangeries, c’est le pain quotidien, c’est le commerce de proximité. Les boulangers ont besoin de soutien, ils auront notre soutien.”


Lors de ce déplacement, le ministre de l’Économie a invité les entreprises ayant des inquiétudes sur le règlement de leurs factures 2022, “à déposer un dossier” sur le site des impôts. “Nous ferons le nécessaire pour apporter les aides à celles qui en ont besoin.
Jean-Sébastien Laloy est le maire (LR) de Cusset. Il a été alerté par plusieurs entrepreneurs, dont Bernard, le boulanger : « Cela fait quelques semaines que je croise des chefs d’entreprises qui sont dans un niveau d’angoisse voire de désespoir qui est immense. Depuis mi-octobre, ils reçoivent les révisions de leur contrat d’électricité, avec des augmentations d’échéanciers qui sont juste folles. C’est à peu près la même chose qu’on entend dans les collectivités. Je suis en train de bâtir le budget de l’année prochaine de la ville de Cusset. Il faut que je trouve 1,5 million d’euros pour payer la facture d’énergie ». Le maire est inquiet pour ses commerçants : « La semaine dernière, deux chefs d’entreprises sont venus me voir pour me dire qu’ils n’avaient pas de solutions et que leur entreprise ne passera sans doute pas l’hiver. A ce rythme-là, on va avoir des dépôts de bilan ». Sébastien Laloy espère une réaction du gouvernement : « J’attends des mesures fortes, pas nécessairement des chèques, car il n’y a pas d’argent magique. Le gouvernement pourrait faire ce qui a été fait en Espagne, décorreler le prix de l’électricité du prix du gaz. Toutes les strates sont touchées, du petit commerce type boulangerie aux TPE, en passant par les grosses entreprises ».
En attendant un geste du gouvernement, Bernard et Catherine sont toujours très inquiets. Seule trace d’espoir dans leur quotidien, les très nombreux messages de soutien de leurs clients, qui les invitent à ne pas baisser les bras.

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