Le récent achèvement à Reims d'un programme de cinq maisons individuelles témoigne que la maîtrise de l'impression 3D béton a franchi un cap en France. Les initiatives se multiplient et la concurrence s'anime chez les fournisseurs de cellules d'impression et/ou de matières.
Par Christophe Palierse
Multiplication de projets, lancement de nouvelles gammes de béton, déploiement d'unités de production : l'impression 3D béton suscite la mobilisation de la filière BTP et matériaux de construction en France.
« Les choses bougent. Nous avons des projets dans le tertiaire comme dans l'habitat », lance Michèle Duval, la directrice du pôle béton pour la France du groupe suisse de matériaux de construction Sika. « La technologie fonctionne. On sait imprimer correctement des encres courantes. C'est maîtrisé au niveau de la robotique et du logiciel », ajoute son directeur de l'innovation pour la France, Fabrice Decroix.
En clair, l'impression 3D béton, qui a lentement pris son essor au cours de la dernière décennie après une invention dans les années 1980, change de dimension. La technique consiste en une robotisation du processus de fabrication : le bras articulé d'un robot éjecte la matière – on parle d'« encre » par analogie avec une imprimante – et trace progressivement une sorte de boudin dont les circonvolutions et l'empilement des couches ont été programmés sur ordinateur avec l'élaboration, au préalable, d'une maquette numérique. Des murs de maisons individuelles ont été réalisés de cette manière, en particulier en France, où un cap vient d'être passé dans ce domaine.
Plurial Novilia, une société du groupe Action Logement implantée dans le Grand Est et en Ile-de-France, vient d'inaugurer à Reims, dans un nouvel écoquartier (Réma'Vert), les cinq premières maisons entièrement réalisées en combinant l'impression 3D béton et des éléments préfabriqués hors site. Ces maisons (du T3 au T5), qui doivent toutes être occupées d'ici début juillet, sont l'aboutissement de quatre ans de recherche et d'expérimentations.
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Ce projet, baptisé « Viliaprint », a associé, entre autres, XtreeE , jeune entreprise francilienne en pointe dans l'impression 3D (les groupes Vinci et Holcim en sont actionnaires), le cabinet Coste Architectures, le cimentier Vicat, et l'entreprise de construction Demathieu Bard. Il a confirmé trois intérêts cruciaux de l'impression 3D : la réduction du temps de construction ; la diminution significative de la consommation de matière pour dresser des murs ; et enfin, la possibilité d'une bien plus grande créativité architecturale.
« Sur les cinq maisons, on a gagné trois à quatre mois de construction, mais on gagne surtout en matière », indique Romain Duballet, le pilote du projet du côté de XtreeE. « L'économie de matière a été de l'ordre de 50 % », précise le directeur général de Plurial Novilia, Alain Nicole.
Impression 3D d'un mur par la société spécialisée XtreeE dans le cadre du programme de maisons individuelles mené à Reims par le bailleur social Plurial Novilia.Plurial Novilia
La fabrication des murs témoigne du progrès technologique accompli par rapport à Yhnova, la première maison au monde destinée à être habitée, qui avait été réalisée en 2017-2018 à Nantes pour le compte du bailleur social Nantes Métropole Habitat. La trentaine de murs produits par XtreeE sur son site de Rungis l'a été sans coffrage, alors que ceux de la maison de Nantes ont fait l'objet d'un coffrage en polyuréthane à l'intérieur duquel le béton avait été ensuite déposé. Pour autant, la fabrication de murs porteurs n'était pas encore maîtrisée pour Viliaprint – puisqu'il a fallu couler du béton armé à la jonction des murs afin de renforcer la structure des maisons.
La réalisation de bâtiments à étages reste un grand défi. « Nous allons travailler sur un projet de R + 2 (bâtiment à deux étages). C'est plus compliqué pour le R + 3 et 4, confie le directeur général de Plurial Novilia. Nous sommes en train de constituer une équipe avec Lafarge. L'idée est d'utiliser un robot sur site comme le font les Allemands. La réalisation de ce bâtiment destiné à du logement collectif doit être lancée en 2023 pour une livraison en 2024. »
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Le surcoût lié à l'usage de la 3D est une autre question sans réponse à ce stade. Pour Viliaprint, il est évalué à 25 %. « Le modèle économique n'y est pas, parce que nous ne faisons pas de grandes séries », juge Alain Nicole. Mais, pour les professionnels de la construction et du logement, le vrai sujet demeure l'élaboration de normes lesquelles permettraient de déployer la 3D de façon plus fluide.
A ce stade, les projets de type Viliaprint impliquent en France l'obtention d'une appréciation technique d'expérimentation (Atex), une procédure d'évaluation menée par un groupe d'experts du Centre scientifique et technique du bâtiment (CSTB). « Les normes ne permettent pas de construire avec l'impression 3D, mais c'est une technologie de rupture, et oui, il y a une ébullition générale », commente le directeur général France de l'activité produits & solutions du géant suisse du ciment Holcim, Noël Le Floch. Signe des temps, Lafarge prépare pour septembre une marque dédiée à l'impression 3D sur le marché français.
De son côté, Vicat, le dernier cimentier français indépendant, vient tout juste de lancer sa marque spécifique, Lithosys. Au-delà d'une gamme d'encres béton, Vicat compte imprimer pour le compte de tiers et même vendre des unités de production ayant développé sa propre technologie.
De fait, la vente de cellules d'impression est amorcée dans le BTP. Spie Batignolles, qui avait déjà acquis une première unité auprès d'XtreeE, envisage de se doter d'une ou deux « têtes » supplémentaires afin d'étendre son maillage en France, sa première imprimante étant installée, depuis fin 2021, sur sa plateforme matériel d'Ollainville, en Ile-de-France.
Pour le groupe de travaux publics, la 3D permet, entre autres, d'optimiser la réalisation de coffrages, de boîtes de réservation (le passage des gaines et des tuyaux dans les dalles en béton), de voussoirs de passerelle.
Les Jeux Olympiques de 2024 se dérouleront sans l'une de leurs vitrines technologiques annoncées. La réalisation de la passerelle de 40 mètres de long et de 5 mètres de large devant passer au-dessus du canal Saint-Denis, à Aubervilliers, se fera finalement sans recours à l'impression 3D. Cette première mondiale, eu égard à la longueur du pont, consistait en l'impression de sa structure en « nid d'abeille », d'où l'économie de béton estimée jusqu'à 60 %. Cette option a été abandonnée, le calendrier de livraison de l'ouvrage ne pouvant plus être respecté, compte tenu du retard pris. La passerelle sera dotée d'un tablier métallique avec une structure secondaire en bois, précise la Société de livraison des ouvrages olympiques (Solideo).
Christophe Palierse
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