Il devient désormais de plus en plus compliqué d'obtenir un taux d'intérêt inférieur à 2% sur 20 ans ou plus.
afp.com/Boris Horvat
Merci pour votre inscription
Le mécanisme a pour but de protéger les particuliers de conditions d’emprunt abusives. Mais, pour de plus en plus d’acheteurs d’un bien immobilier, le taux d’usure se mue un piège. Ce taux maximum légal du crédit immobilier a augmenté le 1er octobre 2022 : il est passé de 2,57% à 3,05% pour un emprunt de 20 ans et plus, comme l’avait annoncé la Banque de France le 28 septembre.  
A première vue, cette hausse aurait pu être bénéfique pour les acheteurs. Mais, comme le pressentaient les courtiers, l’effet positif a été de (très) courte durée. Lors de la première semaine d’octobre, soit quelques jours seulement après l’annonce de la remontée des taux d’usure, les banques ont en effet procédé à des hausses significatives de leurs taux : de l’ordre de “0,30 à 0,35 point pour environ 80% des banques”, dévoile à L’Express Ilan Rainier, directeur associé de Vousfinancer.  
“Le problème, c’est qu’entre le 1er et le 7 octobre, nous avons constaté une hausse des barèmes bancaires, entre 0,20 et 0,40 point”, confirme auprès de L’Express Maël Bernier. “Les banques ont augmenté leurs barèmes car elles-mêmes empruntent à des taux qui augmentent de jour en jour”, rappelle la porte-parole du courtier Meilleurtaux. “Après le 1er octobre, nous avons eu une bouffée d’oxygène, certains dossiers de crédit ont été débloqués. Mais ça a été de très courte durée. Une semaine après, nous avons constaté que les banques avaient augmenté de nouveau les taux”, souffle également un agent immobilier basé à Asnières-sur-Seine (Hauts-de-Seine).  
Il devient désormais de plus en plus compliqué d’obtenir un taux d’intérêt inférieur à 2% sur 20 ans ou plus. “Les banques affichent des taux de 2 ou 2,10% sur 20 ans pour les bons dossiers et 2,30% pour les autres dossiers, et certaines vont jusqu’à afficher 2,95%”, relate Maël Bernier. De son côté, le courtier Empruntis évoque un taux de 1,95% sur 20 ans pour les crédits souscrits en octobre. La remontée des taux d’intérêt des nouveaux crédits immobiliers est sensible depuis le printemps, les banques répercutant le resserrement de la politique monétaire de la Banque centrale européenne (BCE), via une hausse de son taux directeur, afin de combattre l’inflation.  
La machine à sélectionner les emprunteurs est donc de plus en plus exigeante, avec des apports qui ne cessent de grimper. Comme le relate BFMTV, en septembre dernier, l’apport moyen lors d’un achat immobilier représentait 62 176 euros, d’après les données du courtier Finance Conseil. Un montant en léger repli par rapport au premier semestre (-7%) mais qui a doublé sur un an : il était de seulement 29 405 euros en 2021 à la même époque. 
“Les emprunteurs doivent disposer de revenus 40% plus élevés aujourd’hui, d’un apport personnel qui a plus que doublé, et enfin ils ont deux ans de plus en moyenne d’âge, passant de 37 à 39 ans”, pointe le courtier dans un communiqué. “Les taux ont certes augmenté mais restent les plus bas d’Europe. La qualité du crédit est donc très bonne et l’engagement des banques reste fort”, relativise de son côté ce jeudi, Laurent Mignon, président du directoire de BPCE, dans un entretien aux Echos
La hausse des taux d’intérêt des crédits immobiliers, combinée à l’augmentation plus lente du taux d’usure et au taux d’endettement strictement fixé à 35% des revenus des ménages, risque de continuer à compromettre les projets d’achat des Français, particulièrement les ménages plus modestes et les primo-accédants. “Nous sommes passés d’une offre assez vaste et complète de crédits, qui répondait à tous les profils ces deux ou trois dernières années, à une offre désormais extrêmement restreinte, regrette Maël Bernier. Les profils qui passent encore aujourd’hui, c’est un ménage âgé d’environ 35 ans, en bonne santé, qui gagne bien sa vie.” 
Selon les informations recueillies par le courtier en ligne Pretto, 220 000 ménages qui auraient obtenu un financement en 2021 se retrouvent aujourd’hui exclus du crédit immobilier : près de 60 000 dossiers n’auraient plus été finançables car dépassant le taux d’usure et près de 160 000 dossiers n’auraient plus été finançables en l’état car dépassant le taux d’endettement maximum de 35%. 
Afin de remédier à cette situation, les professionnels continuent de réclamer une refonte du mode de calcul. Jusqu’à présent, chaque trimestre, pour chaque type de prêts, la Banque de France calculait la moyenne des taux pratiqués les trois mois précédents et ajoutait un tiers. Comme le déplore Maël Bernier, le taux d’usure ne se base donc pas sur les taux d’emprunt pratiqués à l’instant T mais sur ceux du trimestre précédent. “Le taux d’usure actuel est donc parfaitement corrélé à la situation de cet été lorsque l’on pouvait encore proposer des financements inférieurs à 2%, mais pas à la situation en octobre, explique la porte-parole de Meilleurtaux, regrettant ce “décalage” dans le temps.  
Afin de gagner en dynamique, la Banque de France a cependant fait un premier pas. Pour calculer le taux d’usure, elle se base désormais sur les taux de crédits réalisés pendant le dernier mois du trimestre, et non plus sur la moyenne des trois derniers mois. Pour tenter d’obtenir une hausse encore plus rapide de ce taux maximum auquel une banque a le droit de prêter, les établissements de crédit poussent une nouvelle idée, selon les informations des Echos : ne plus baser le calcul de ce plafond sur les crédits signés mais sur les offres de crédit faites aux ménages par les banques. En calculant le taux d’usure sur la base des taux indiqués au moment de l’émission de l’offre de prêt, et non sur les taux enregistrés au moment de la signature irrévocable du crédit, alors qu’il se passe environ 10 à 30 jours entre les deux, on collerait davantage à l’évolution du marché, plaident les professionnels.  
Cette mesure, si elle était prise, irait dans le bon sens, assurent Maël Bernier et Ilan Rainier. “Tout le monde sait que les taux des crédits évoluent beaucoup trop vite. Un calcul ajusté tous les mois est plus cohérent qu’un calcul effectué tous les trois mois”, estime le directeur associé de Vousfinancer. Maël Bernier préconise en outre une autre solution : les banques livreraient leurs barèmes au début de mois, et à la fin du mois, une commission fixerait un taux d’usure dans la foulée. 
“Il ne faut pas que le calcul soit trop décalé dans le temps. Il faut que le taux d’usure reflète la réalité du marché”, concède Laurent Mignon. Mais, selon lui, “dans les mois à venir, le mécanisme classique va continuer à fonctionner” et “la hausse récente, et celle qu’on peut attendre en janvier, font que le phénomène de retard devrait s’atténuer”. Ilan Rainier, lui, ne voit pas d’amélioration avant plusieurs mois. “Certaines personnes, optimistes, disent que la situation va s’améliorer à partir de janvier, au moment de l’annonce de la nouvelle hausse du taux d’usure. Mais pour ma part, je rajouterais un trimestre de plus, donc je pense que la situation sera meilleure à partir d’avril, quand les banques pourront à nouveau gagner de l’argent sur les prêts”, prédit le courtier. 
Les services de L’Express
Nos partenaires
© L’Express

source

Catégorisé: