En ces temps de chasse à la prostitution et de législation hésitante, Midi Libre a rencontré Sylvie, professionnelle depuis quarante ans. Audiard aurait pu faire un personnage de cinéma de cette fille de joie installée sur la route de Narbonne depuis plus de vingt ans. 
Dans le fourgon blanc de la route de Narbonne, deux bougies brûlent en permanence. Juste à côté d’une sainte vierge en plastique glissée dans le vide-poches. “En souvenir des deux motards fauchés par une voiture. Ce jour-là, je n’étais pas là, mais tout le monde a cru que c’était pour moi que le conducteur a traversé la chaussée. Je suis prostituée et croyante, ce n’est pas incompatible.”
Sylvie, 60 ans, 40 ans de tapin dont vingt sur ce chemin de terre à l’aplomb de la nationale 613. Grande gueule, bouche et seins XXL et cœur encore plus gros. Mais qui voit d’un sale œil les Roumaines piétiner son territoire. “Elles sont arrivées il y a quatre ans. Tout le monde a besoin de manger, mais elles cassent les prix. C’est le discount de la prostitution ! Je suis obligée de me solder, à mon âge !”
L’amour sans risque 
Un monde les sépare. Celui des réseaux de proxénètes venus de l’est et des filles qu’on met de force sur le bitume, la faim au ventre. “Une fois, j’ai aidé une petite, enceinte d’un client. Elle voulait me vendre son gnaro ! Je ne supporte pas les maquereaux ni les salopards qui veulent faire ça sans protection et plombent leurs femmes.”
Chez elle, c’est l’amour sans risque
“Ici, tu as la poubelle à enfants (traduction, les préservatifs), là le gel pour les mains, pour le sexe, le brumisateur quand ils transpirent, la petite bombe pour assainir l’atmosphère. J’ai même les masques en cas de grippe pour qu’ils ne me postillonnent pas leurs microbes”. Quand le rideau de la cabine est tiré, c’est que madame est occupée. “Aujourd’hui, j’ai un peu bricolé mais on est loin des 800 tickets par jour que je pouvais faire avant.”
De l’abattage à Düsseldorf à la route de Narbonne
Sylvie a bien, très bien gagné sa vie. “J’avais acheté une villa, une Porsche et le fisc m’est tombé dessus.”
Elle pourrait se retirer dans son jardin secret, un appartement dans une résidence privée du Cap-d’Agde. Se contenter d’accrocher de jeunes amants à son bras de cougar naturiste. Se ficher du regard des autres et ne se soucier que de ses amis, “des gens normaux”. Mais voilà, elle aime définitivement son métier.
“C’est comme si j’allais au théâtre. Et puis, c’est agréable de plaire. Je m’apprête et j’y vais. J’ai horreur des chichis. L’abattage, c’est mon truc, je l’ai fait en Belgique ou à Düsseldorf dans des éros-centers. De toute manière, je n’aime pas faire l’amour.”
Elle débute à 17 ans
Elle débute à 17 ans. À cause de Paulette. “Elle tapinait en bas de chez nous. Je la trouvais belle. Elle avait du cœur. Elle regardait les gens dans les yeux, elle était franche, j’ai pris exemple sur elle et elle m’avait prise en affection.” Lors d’un repas de famille, on fait un tour de table pour sonder l’avenir des huit enfants. “Je veux être prostituée comme Paulette , j’ai lancé. J’ai pris une taloche”, se souvient Sylvie. 
Elle a 14 ans, un caractère forgé dans les pensionnats depuis l’âge de 5 ans. Les bonnes sœurs l’avaient prise en grippe et un curé l’aimait trop. À 16 ans, cette enfant d’un écart, reconnue par un beau-père gendarme pour le qu’en-dira-t-on, se fait émanciper. “J’étais la brebis galeuse. En fait, ma vie a commencé quand j’ai fait le tapin. Je n’ai eu qu’un julot. Il me tabassait, me prenait ma fraîche, je l’ai balancé. J’ai décidé que plus personne ne me frapperait ! Depuis, j’ai toujours travaillé à mon compte”.
Après l’Allemagne, elle ouvre une bonbonnière, à Montpellier, à côté d’un commissariat. “La première maison close de Montpellier . Puis j’ai travaillé route de Mèze.”
Jamais plus de Julot mais un Jules, rencontré dans un bar. Le coup de foudre. Il ressemblait à Yul Brüner. Il était marié. L’argent manquait dans son ménage. “Il ne s’entendait plus avec sa femme. Je l’entretenais. Je turbinais comme une folle, mais j’étais heureuse. Ça a duré trois ans. Je lui ai offert deux BMW. Comme j’étais panier percé, il m’a proposé de faire fructifier mes économies.” Il les place dans la construction d’une maison… celle de sa propre famille. Sylvie n’aimera plus jamais.
“Avant, on était la mère, la sœur, la psy, on n’était pas là que pour les fantasmes !”
Un jour, elle arrêtera le métier. Quand on ne voudra plus d’elle. Quand elle n’aura plus envie. “Les mentalités ont changé. Avant on était la mère, la sœur, la psychologue, l’amante, sans les contraintes de la maîtresse. J’ai des clients depuis 20 ans, je connais leur vie. Je ne suis pas là que pour les fantasmes.”
Avant, c’était les petites bouffes entre copines, la caisse commune pour payer les médicaments des marmots. “J’ai fait la grève en 1975, dans les églises et à La Sorbonne quand Giscard voulait nous cacher dans les maisons closes. On était solidaire. Oui, les prostituées avaient du cœur. Moi, quand j’aime je donne tout, je suis pure. Chez moi, je suis à nu. Quand je sors, je mets ma carapace, j’ai peur de la méchanceté des gens.”
Vite mais bien vécu
Au temps des rois, elle aurait été courtisane, la favorite évidemment. “Aujourd’hui, j’ai l’impression d’être la Cosette de la route de Narbonne, remisée derrière mon talus”, rit – jaune – Sylvie.Elle se serait bien vue en politique aussi, mais son caractère entier s’accommoderait si peu des compromis.Et puis, il y a sa passion pour les chevaux et les éléphants qui peuplent son appartement. Va savoir pourquoi.
Sylvie le dit, elle disparaîtra avant de trop vieillir : “J’ai vécu vite, mais j’ai bien vécu. Si demain je pars, je n’aurai rien à regretter.”
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