La chronique économique hebdomadaire de Bernard CHAUSSEGROS
« Je vous parle d’un temps que les moins de 20 ans ne peuvent pas connaître ». Vous connaissez la chanson… Et quand je dis « moins de 20 ans » c’est une façon de parler, car je vous renvoie à l’année 1965, plus précisément les 13, 14 et 15 décembre. Le général de Gaulle avait enregistré trois entretiens pour préparer le second tour de l’élection présidentielle. Celle du mardi 14 décembre avait été consacrée à la politique étrangère et notamment européenne, dans un contexte tendu où la France, faute d’un accord qui aurait pu satisfaire le chef de l’État, avait quitté la négociation sur le marché commun agricole. Ses opposants l’avaient immédiatement accusé d’être anti-européen, ce qui était loin d’être le cas. Le général estimait en effet indispensable de créer un marché commun entre les six pays fondateurs du traité de Rome, mais il estimait que cela ne devait pas se faire à n’importe quel prix.
C’est de ce soir-là que date cette scène anthologique conservée dans les mémoires de tous. Le général avait dit : « Bien entendu, on peut sauter sur sa chaise comme un cabri en disant : l’Europe ! L’Europe ! L’Europe ! Mais ça n’aboutit à rien et ça ne signifie rien ». Et il avait rajouté que chacun des pays européens avait leur histoire, leur langue, leur manière de vivre, et que c’était ces pays-là « … qu’il [fallait] habituer progressivement à vivre ensemble et à agir ensemble ! »
Deux ans plus tard, en 1967, l’Angleterre frappait une nouvelle fois à la porte de l’Europe, dans le cadre du processus de rapprochement qui remontait déjà à octobre 1961, et au cours duquel le général de Gaulle avait largement expliqué son opposition. En 1967, face à un Royaume-Uni qui renouvelait sa demande d’adhésion à l’Europe, le chef de l’État français, à l’occasion d’un « one man show » dont il avait le secret, avait exclu toute forme de négociation, en précisant : « Pour que les îles britanniques puissent réellement s’amarrer au continent, c’est encore d’une très vaste et très profonde mutation qu’il s’agit » et en rappelant les volte-face successives des britanniques face à la construction de l’Europe depuis la signature du Traité de Rome. Il insistait particulièrement sur le fait que le marché commun était incompatible avec l’état de la livre Sterling, sa dévaluation, ainsi que les emprunts qui l’avaient précédée et accompagnée, et les énormes créances extérieures qui pesaient sur elle. L’ensemble de ses arguments ne permettait pas qu’elle fasse partie, à ce moment-là, de la société solide, solidaire et assurée qui réunissait « le Franc, le Mark, la Lire, le Franc belge et le Florin » avait analysé le général de Gaulle lors de sa conférence.
L’histoire de l’adhésion du Royaume-Uni à la CEE avait été compliquée. Du fait de ses liens privilégiés avec le Commonwealth et les Etats-Unis, les britanniques n’appréciaient pas le caractère supranational du système européen, c’est à dire de se voir imposer par la CEE des règles rigoureuses. Par ailleurs, la France, en 1966, était sortie du commandement intégré de l’OTAN et le général de Gaulle insistait particulièrement sur le caractère insulaire de l’Angleterre qui ne possédait pas de continuum territorial avec la CEE, et surtout, sur le fait que le Royaume-Uni était un État « atlantiste », « cheval de Troie » des États-Unis.
Il faudra attendre six années et le départ du général pour que la Grande-Bretagne soit enfin admise au sein de la Communauté économique Européenne (CEE), et que lors d’un référendum de juin 1975, les Britanniques votent favorablement pour l’adhésion.
Le retrait du Royaume-Uni de l’Union européenne, familièrement désigné sous le nom de « Brexit », a officiellement pris forme le 31 janvier 2020, après pratiquement quatre années de négociations, puisqu’il faisait suite au référendum britannique du 23 juin 2016, par lequel une courte majorité (51,89 %) des électeurs s’était prononcée pour un retrait de leur pays de l’Union européenne et de la Communauté européenne de l’énergie atomique. Il convient préciser que la dénonciation du traité sur l’union Européenne avait été précédemment repoussée quatre fois par le Parlement, pour finalement être entérinée par ce référendum de juin 2016, initié par le Premier ministre britannique de l’époque, David Cameron. Autant dire que le peuple britannique était partagé sur la question.
La période de négociation n’a pas été un parcours aisé et a donné lieu à différents accords qui ont permis de préciser les modalités de la période de transition et de régler trois points essentiels (droits des citoyens européens, frontière irlandaise et aspects financiers).
L’accord de retrait a été approuvé lors du Conseil européen du 25 novembre 2018 mais il a été rejeté trois fois par le Parlement britannique, courant 2019, ce qui est laissé planer des incertitudes notoires sur les modalités du retrait du Royaume-Uni de l’Union européenne, provoquant ainsi plusieurs reports de la date effective du Brexit. Il faut savoir toutefois, qu’après être sorti de l’Union européenne, le Royaume-Uni a bénéficié d’une période de transition de onze mois qui lui a permis de bénéficier de l’accès au marché européen le temps que les entreprises concernées se préparent aux règles post-Brexit applicables depuis le 1er janvier 2021.
Les difficultés que rencontre actuellement la majorité conservatrice au pouvoir à Londres, la valse de ses premiers ministres au cours des dernières semaines, sont les signes extérieurs que les Britanniques, y compris parmi les fervents partisans du Brexit, prennent conscience, à l’évidence, que le Brexit est un échec, ou à tout le moins que les promesses de prospérité retrouvée et de retour au plein emploi n’étaient qu’un leurre. Selon un récent sondage, 54 % d’entre eux estiment que cette sortie non contrôlée de l’Union européenne a été une erreur, qu’elle n’a pas été assez bien organisée, et que tout se passe mal. Il faut aussi intégrer une composante supplémentaire : celles des jeunes millenials, trop jeunes pour voter lors du référendum sur le Brexit, mais qui en subissent de plein fouet les conséquences délétères pour eux qui arrivent dans la vie active ou universitaire dans un marché et une société fracassée par une crise décuplée par la pandémie puis la guerre aux frontières de l’Europe. Ils sont nombreux à avoir l’impression d’avoir été sacrifiés par les baby-boomers… une fois de plus.
Outre le fait que cette décision de quitter l’union européenne n’était pas fondée sur une volonté tranchée de la population, sur une argumentation cohérente juridiquement fondée, les raisons de cet échec relèvent des difficultés économiques que connaissent tous les pays européens. La Grande-Bretagne doit faire face aux mêmes difficultés que la France que l’Allemagne, l’inflation, le ralentissement de la croissance lié à la guerre en Ukraine, les pénuries de main-d’œuvre et de produits. Mais ces difficultés ont été particulièrement douloureuses pour la Grande-Bretagne car, du fait du Brexit et de sa politique d’immigration très restrictive, des études ont permis de déterminer qu’un million de personnes avait quitté le Royaume-Uni, et que c’était autant de bras qui manquaient cruellement au pays. À titre d’exemple, on parle d’une pénurie d’environ 100.000 chauffeurs routiers, qui explique en grande partie les retards de livraison ou des absences de marchandises dans les rayons des supermarchés britanniques.
Alors que leur premier ministre, Boris Johnson, avait prédit que le Brexit permettrait une augmentation notable des salaires, cela n’a pas été le cas et parallèlement, les impôts ont été augmentés de manière conséquente.
 S’agissant de l’inflation, la Grande-Bretagne serait certainement un des pays les plus mal lotis du continent européen, avec un taux supérieur à 9 % et, par voie de conséquence, un pouvoir d’achat qui diminue de façon importante.
Il est, certes, difficile de démêler l’impact négatif du COVID de celui du Brexit, mais selon de récentes études, les Britanniques semblent constater que l’impact du Brexit est largement négatif.
Et que dire des promesses du Président Trump qui promettait un deal « incroyable » avec les Britanniques s’ils quittaient l’Europe. Au final, de deal, il n’y en eu point, même pas sous sa mandature, et la Grande-Bretagne s’est donc sabordée seule en se détachant de son premier client, l’Europe. L’histoire sera probablement sévère !
Comme c’était prévisible et attendu, les exportations en direction de l’Union européenne et les importations qui en provenaient se sont effondrées. Mais même dans le cadre du contexte sanitaire et d’un troisième confinement national, il paraît délicat de déterminer si la situation de crise est due aux effets du Brexit ou à un impact de la pandémie.
Ce qui est visible c’est que la demande économique s’est redressée plus vite que l’offre au second semestre 2021. Le résultat se traduit par de nombreuses pénuries qui expliquent en partie l’inflation. En l’absence de stocks suffisants, tant chez les industriels que chez les distributeurs, l’activité a été particulièrement ralentie, et donc la création de valeur quasiment nulle. À cela se rajoutent les problématiques de pénurie de main-d’œuvre.
Ces répercussions sur l’économie britannique sont cependant exogènes et globales, pour ne pas dire mondiales. Elles sont induites, à l’échelle planétaire, par une modification de la demande des consommateurs, lesquels délaissent les services au profit des biens matériels. On peut toutefois craindre que, si ces problèmes vont avoir tendance à disparaître ailleurs dans le monde, et particulièrement en Europe, leurs conséquences vont perdurer en Grande-Bretagne.
On notera aussi que la menace brandie par « BoJo », le surnom de guerre de Boris, peut-être au détour d’une des fameuses soirées organisées durant le confinement le plus strict, de faire de la Grande-Bretagne un « Singapour sur Tamise » pour capter et défiscaliser la finance mondiale la plus vorace, avait oublié un paramètre : cela ne donne pas de travail à 60 millions de sujets de sa Majesté, et la coupure avec l’Europe aurait alors été absolument totale.
La catastrophe redoutée d’un décrochage du Royaume-Uni par rapport à ses voisins ne semble pour le moment du moins pas s’être produite, même si les effets du Brexit ne sont pas nuls, dans la mesure où la sortie de l’Union européenne aurait coûté 0,5 % du PIB britannique pour le seul 1er trimestre 2021. Mais on doit s’attendre à ce que les effets, positifs ou non, du Brexit pour le Royaume-Uni ne s’observeront que dans plusieurs années. C’est ainsi que les agences prévisionnistes restent mesurées, pour ne pas dire « pessimistes » et parlent, à long terme, d’un impact plus important sur l’économie britannique de l’ordre de 4 % du PIB.
C’est du côté des côté des PME que les craintes sont les plus grandes. Confrontées aux pénuries de main-d’œuvre, aux difficultés d’approvisionnement ou encore aux coûts supplémentaires liés aux nouvelles formalités administratives pour commercer avec l’Europe, elles estiment que l’impact du Brexit risque de leur être fatal. 37 % d’entre elles se disent moins confiantes pour leur avenir depuis la sortie de l’UE et plus d’un tiers des grandes entreprises (35 %) voient leur avenir de façon aussi pessimiste.
C’est ainsi que le gouvernement conservateur avait développé un important programme post-Brexit dénommé « Global Britain », dont l’objectif était de (re)faire du Royaume-Uni un pays attractif, proposant une politique favorable au monde des affaires, en se fondant sur des normes sociales et fiscales plus souples que dans le reste de l’Europe. On parlait même, comme évoqué précédemment, d’un « Singapour sur Tamise » tourné vers l’Amérique et l’Asie à fin d’attirer les entreprises les plus technologiques.
Les sommes investies pour résister aux effets pervers de la pandémie auront eu raison de ces projets. Néanmoins on peut dire que la City de Londres aura finalement relativement bien résisté au séisme du Brexit. Leader mondial avec 38 % de l’activité monétaire, la City a limité sa perte en part de marché. Le prix de l’immobilier y est toujours aussi élevé, et sur chaque mètre carré de son quartier financier historique, il se traite chaque jour 1 milliard de dollars sur le marché des monnaies, et les volumes quotidiens dans la City ont été de 3.755 milliards de dollars cette année.
Sur tous les marchés, l’exode des banquiers et des traders de la City a été limité et moins fort que redouté par la place britannique. Ces trois dernières années, sa part de marché a reculé de 43 % à 38 %, et elle reste donc deux fois plus importante que New York (19,4 %). Son activité a même progressé de 5 % en valeur absolue.
Les medias pensaient qu’entre les deux rives de la Manche, c’est la France qui avait toutes les chances de prendre l’avantage. Voilà trois ans, les analystes imaginaient que Paris avait toutes les chances d’être la première destination des investissements étrangers et qu’elle creuserait l’écart avec Londres. La livre s’est affaiblie face à l’euro et les prix ont augmenté de plus de 9 % sur un an. Boris Johnson avait promis d’être intraitable sur la politique migratoire mais les chiffres de son gouvernement traduisent une hausse de l’immigration légale.
En réalité, si l’économie du pays ne s’est pas véritablement effondrée, le Royaume-Uni n’a pas vraiment tiré profit de sa sortie de l’UE. Mais à ce stade, seules 440 entreprises financières ont délocalisé une partie de leurs équipes vers l’Union Européenne. Et en termes d’actifs financiers, les banques installées en Grande Bretagne n’ont transféré que de 10% de leurs fonds vers l’Union Européenne pour un total de 1.050 milliards d’euros.
Il en ressort que ce n’est pas l’hémorragie redoutée par certains économistes. Le secteur financier continue des créer des emplois en Grande Bretagne. Certains sont d’ailleurs directement liés au Brexit. Et la City de Londres reste incontournable pour des activités spécifiques, comme les chambres de compensation.
En réalité, l’économie britannique est toujours plus importante que celle de la France et aucun groupe de réflexion économique ne pense que cela va changer à long terme. En fait, il y a même lieu de croire que l’écart entre la France et le Royaume-Uni va se creuser, certains prédisant même début 2022, que, d’ici 15 ans, l’économie britannique serait plus importante de 16 % que l’économie française, grâce a des performances supérieures dans les secteurs technologiques de pointe et une position historique établie en tant que leader des services financiers.
À l’époque du vote du Brexit, fort d’un certain nombre de certitudes sur le transfert de la City de Londres sur la place de Paris, le premier ministre Édouard Philippe avait présenté des mesures pour assoir le positionnement de cette dernière comme place financière de référence en Europe. L’objectif était de renforcer, avec les collectivités territoriales, l’attractivité et la compétitivité françaises avec trois mots d’ordre : amplifier, simplifier, accueillir.
Dans le contexte de la sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne, Paris présentait un grand potentiel pour relocaliser des activités financières sur le continent. Avec la recomposition du paysage financier européen, Paris semblait être la seule capitale financière après Londres à disposer en un seul lieu d’un écosystème complet. Le premier ministre d’alors précisait que « La France a une occasion unique de saisir le potentiel de notre place, pour faire de Paris la première place financière européenne de l’après-Brexit ».
L’ambition de l’ensemble des acteurs était de faire de l’attractivité le moteur indispensable de la croissance et de l’indépendance financière de la France. Si plusieurs autres partenaires européens se positionnaient en concurrents sérieux, les atouts de Paris étaient de disposer d’un écosystème financier complet unanimement reconnu à l’international, de cursus de formations d’excellence, scientifique, juridique et financière et d’une réelle interconnexion européenne des transports dans la région parisienne.
Le Gouvernement prévoyait de nouvelles mesures, en se fondant sur la détermination commune de la ville, de la région et de la métropole, pour renforcer cette attractivité et faire de Paris la première place financière européenne.
Les premières mesures que prévoyait le gouvernement consistaient à amplifier la politique de compétitivité du coût du travail, en supprimant le taux majoré de la taxe sur les salaires et en modifiant le calcul des indemnités de licenciement.
Il envisageait par ailleurs de simplifier notre cadre juridique et fiscal, notamment, en réduisant le taux de l’impôt sur les sociétés à 25 % et en réformant la fiscalité du capital par la création de l’IFI en remplacement de l’ISF, et en créant une chambre spécialisée de la Cour d’appel de Paris pour le traitement juridique du contentieux international des affaires.
Et enfin, il prévoyait d’accueillir celles et ceux qui souhaitent venir travailler en France, en développant l’offre scolaire internationale, et les parcours scolaires à forte diversification linguistique, et enfin, en renforçant la carte des langues dans les parcours.
Les résultats sont décevants, car ce ne sont qu’environ 200 projets d’investissements ou de relocalisation qui se seraient concrétisés. Les chiffres sont donc moins spectaculaires qu’espérés, même si l’on se fait plaisir en répétant que Paris est la capitale européenne qui aurait le plus profité du Brexit, et que c’est le secteur financier qui représente plus de la moitié de ces postes. JP Morgan, Bank of America ou encore Goldman Sachs ont notamment décidé d’installer leur siège à Paris.
Mais Paris a fait moins bien que ce qu’elle avait prévu. Elle espérait créer jusqu’à 20 000 emplois indirects et n’en a créé que 10 000. Paris arrive, de ce fait, à égalité avec Dublin, qui a créé beaucoup d’emplois de « Back-office » et peut s’enorgueillir de se positionner devant Francfort et ses 3500 postes, et très loin devant Luxembourg et Amsterdam.
Parmi les entreprises qui gagnent ou regagnent la France, on peut distinguer deux groupes, d’abord, des sociétés françaises de moyenne importance qui choisissent de rapatrier les actifs de leurs succursales britanniques sur le continent, et qui opèrent dans les services, l’industrie, ou la santé. Ensuite, de grandes institutions financières, autorisées à s’implanter à Paris pour assurer la continuité de leurs activités en France et dans l’UE. Au-delà des actifs, ce sont aussi des salariés, des intermédiaires financiers, ou des startups qui ont émigré des bords de la Tamise aux rives de la Seine. Symbole important, l’Agence bancaire européenne, qui qui est venue s’installer à Paris.
Pourtant, si les chiffres semblent impressionnants, on est loin de l’exode annoncé : sur le demi-million de salariés de la City de Londres, seuls 10.000 emplois auraient à ce jour été perdus au bénéfice de Paris, Francfort, Bruxelles, Luxembourg ou Amsterdam !
Les raisons sont sans doute à rechercher dans le manque de pugnacité témoigné par les entreprises et les dirigeants français, qui imaginaient sans doute que tout se ferait seul, par la grâce des vases communicants. Sans doute, une fois de plus, la conséquence du manque de patience et de volonté des Français dans la négociation des affaires au niveau international, et, on le dit parfois, une certaine condescendance française, auront mené la France « à manquer le train », en l’occurrence, l’Eurostar !
L’impact du Brexit sur la finance et les places financières devait sonner le glas de la City de Londres, et Paris, Francfort ou Amsterdam étaient censés rafler la mise et obtenir la mise à mort des anglais qui avaient l’outrecuidance de rejeter l’Europe, après avoir tout fait pour y être acceptés. On attend encore la matérialisation de ces rêves, peine perdue, notamment depuis que Londres est parvenue à inverser certains rôles en devenant l’an passé la capitale mondiale de la finance verte et intelligente.
Finalement, au lieu de perdre 100.000 emplois directs au profit de l’UE, la City de Londres n’en a perdu que 7.600, une bagatelle ! Rien à voir avec l’espoir de voir débarquer des hordes de traders vers la France, l’Allemagne et les Pays-Bas ! C’était faire peu de cas du « fighting spirit » britannique, de l’expertise financière et du pragmatisme historique de ses professionnels qui se sont aisément passé de la garantie européenne !
C’est ainsi que la Suisse, qui agit avec autant de pragmatisme que les Anglais, et qui dispose de standards et de valeurs similaires, a accueilli avec enthousiasme les établissements financiers britanniques et engagé une politique d’échanges réciproques. Il faut simplement noter que la Suisse est membre de l’Espace Économique Européen sans faire partie de l’UE dont elle n’a pas à supporter les règles et obligations.
Cet accord entre Berne et Londres, voulu par le 1er ministre Boris Johnson, a permis aux britanniques de contourner Bruxelles dans le cadre du commerce en euros. Et comme, par ailleurs, la Suisse est, depuis longtemps, reconnue comme étant une place financière solide, indépendante de l’UE, ce sont des accords privilégiés qu’elle a développés. Résultat, malgré le Brexit et quelques mois d’hésitation, le monde de la finance a refait de Londres sa capitale dominante. Et Londres, avec ses traders de la City, travaille à nouveau comme avant le Brexit. Une fois éteinte la flamme de la surprise, Londres est redevenue la place où s’échangeait le plus de volume en matière de trading en euros.
Au grand dam de Bruxelles, à l’heure du numérique, faire du trading à distance n’a rien d’impossible. La City de Londres a pu démontrer son pragmatisme et son expertise sur le sujet, le trading ne s’arrêtant pas aux frontières, comme les entreprises multinationales.
Parallèlement, Londres qui est la 2ème place financière du monde, s’est rapprochée de Singapour, qui n’est autre que la 4ème plateforme financière mondiale. Les économistes britanniques avaient compris qu’il fallait s’orienter vers les pays asiatiques en forte croissance, lors des négociations sur le Brexit, ce qui a abouti à des accords sur les services financiers et les technologies financières, sur le numérique et la cybersécurité, signés avec Singapour.
Finalement le Brexit n’aura eu quasiment aucun impact sur l’économie Française ! Nos espoirs post Brexit n’ont pas connu le succès attendu. La France qui n’a pas voulu ou qui n’a pas su réformer son cadre législatif, n’a pas profité de cette nouvelle donne de la finance mondiale !
Ce à quoi Paris ne s’attendait pas, c’est que la Suisse soit devenue le partenaire incontournable du Royaume-Uni. Et ça, les experts parisiens ne l’avaient pas vu venir ! Ils se sont même largement fourvoyés en prédisant des turbulences à la City. Ils se sont trompés en imaginant l’exode des traders de la City vers Paris après la perte d’influence attendue de la place de Londres. Et désormais, la place financière de Paris n’occupe que la 10ème position, un pôle régional incapable de concurrencer Londres.
Le nouveau 1er Ministre britannique, Rishi Sunak, en l’espèce ancien Ministre des Finances de Boris Johnson et ancien analyste chez « Goldman Sachs », avait publié un rapport stratégique sur la divergence avec l’Union européenne en matière financière. Il y pronostiquait l’émergence d’un nouveau rapport de force en faveur du Royaume-Uni qui, seul contre les 27, serait bientôt en position d’imposer ses conditions à l’Union européenne.
Comme il l’avait annoncé en tant que ministre de Finances, Rishi Sunak a dérégulé la finance de Londres et baissé les taxes sur les services financiers, avec l’ambition de ravir la première place mondiale à New-York dès 2023. L’UE, et fatalement la France, ne seront que spectateurs dans la guerre économique mondiale qui s’engage.
L’Europe, avec ses multiples carcans d’une administration qui pense pouvoir tout contrôler, alourdie par les exigences juridiques de chacun des pays membres, et qui impose la suprématie de ses textes sur le droit interne, au lieu d’être un accélérateur « de particules » permettant la mise en œuvre d’une dynamique adaptée aux besoin de chacun des États, aura perdu toute chance de fédérer les énergies et de devenir une vraie puissance mondiale.
Mais si la France, pour ne parler que d’elle, a également « loupé le coche » post Brexit, ce n’est pas seulement parce qu’elle n’a ni l’expertise financière de haut niveau, ni les infrastructures nécessaires !
La France meurt de son histoire et de son jacobinisme. Si le Brexit avait eu les conséquences (positives) annoncées, aurait-elle eu la volonté de réformer ?Son manque d’imagination et son manque de rigueur sont des freins à sa transformation. Et quand je dis la France, je parle d’abord à ses dirigeants qui pensent depuis 50 ans détenir la vérité « vraie » et ne se sont pas adaptés aux évolutions technologiques et sociétales. Mais je pense tout autant aux collectivités locales, et aux corps intermédiaires, associations et syndicats par exemple.
L’État aurait dû, depuis longtemps, comprendre que la désindustrialisation, accompagnée de la « braderie » des savoirs-faires français était une catastrophe en gestation. Il n’est point besoin d’être complotiste pour s’interroger sur le niveau de corruption qui a pu exister ! La crise du COVID et la guerre actuelle montrent la fragilité de notre économie et sa dépendance vis-à-vis de l’étranger. Avoir privilégié le pétrole, outre qu’il s’agissait d’un non-sens écologique dans le cadre de la lutte contre le réchauffement climatique (pour lequel les alertes ne manquent pas depuis un demi-siècle) aura placé la France entre les mains des pays du Golfe qui ont massivement investi en France, notamment dans l’immobilier, les propriétés viticoles et les entreprises technologiques de pointe.
Parallèlement, l’État n’a jamais eu le courage qu’ont eu les conservateurs anglais de déréguler le marché financier et de baisser les taxes sur entreprises. Notre pays n’est pas attractif pour les investisseurs qui souhaiteraient, non pas s’approprier des richesses, mais produire des biens et des services. Les charges fiscales et sociales sont trop lourdes en France. Les lois sur l’emploi sont trop contraignantes aussi.
Qui plus est, les investisseurs ne tiennent pas à devoir se confronter avec la vie sociale agitée qui caractérise notre pays. On aurait pu imaginer, au sortir des différentes crises que nous avons subies, que naîtrait un fort sentiment patriotique regroupant l’ensemble des énergies populaires, autour de l’idée de la « Nation unie », avec des objectifs bien définis et des stratégies ambitieuses.
Mais actuellement, le niveau des échanges, tant au parlement, que dans la rue ou sur les réseaux sociaux, traduisent une telle pauvreté conceptuelle et un si fort individualisme que tout ce qu’on pourrait écrire sur ce sujet ne serait que de l’utopie.
À titre d’exemple, que penser des débats autour des surprofits générés par la crise d’approvisionnement des énergies, le refus de partager cette manne financière, et les grèves à répétition qui pénalisent essentiellement les couches les plus pauvres de la population ?
J’ai commencé cette tribune par des rappels historiques sur l’insistance britannique à rejoindre l’Europe, face aux réticences du Général de Gaulle à les y accepter. Aujourd’hui, si les Britanniques ont rejeté l’Europe avec fracas, les raisons ne sont pas seulement populistes : elles sont encore et toujours géostratégiques. La Grande-Bretagne a toujours fait en sorte de s’immiscer dans le périmètre Européen pour le déstabiliser dès qu’elle voyait y émerger une puissance capable de contester son hégémonie.
Dans le passé, elle est entrée en guerre contre la France à maintes reprises, dès que celle-ci prenait le leadership continental, puis aux côtés des Français contre l’Allemagne. C’est justement l’exemple fort du couple franco-allemand voulu par le Général, qui a motivé les Britanniques à rejoindre l’Europe, mais, disons-le, pour très souvent la ralentir de l’intérieur, en ne cessant jamais d’en contester les prérogatives. Et c’est en considérant que le couple franco-allemand battait de l’aile, et que la mutualisation de la dette en Euros avait affaibli le Mark, que la Grande-Bretagne a imaginé qu’elle pouvait « brexiter ».
Mais si l’Europe se ressaisit enfin réellement et que l’Allemagne et la France, mais aussi l’Italie, font vraiment cause commune, à commencer par la défense, la recherche et l’énergie, alors nul doute que la Grande-Bretagne frappera à nouveau à la porte ! L’effet accélérateur pourrait aussi venir de l’intérieur, surtout si l’Écosse devient indépendante, que l’Irlande se réunifie, et que la royauté vacille et avec elle le Commonwealth.
J’ai envie de leur dire « good luck » et à bientôt pour un nouveau « crunch » en rugby.
Bernard Chaussegros
Très bien, mais la bourse de Paris vient de dépasser celle de Londres.

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