Son visage s’affiche encore sur les murs de sa maison natale, rue de l’Église à Leucate. Mais qui se souvient encore d’André Héléna, cet écrivain prolifique de polars et de romans noirs ? Auteur de plus de 200 romans pendant l'après-guerre, il partageait sa vie entre Paris et les étés dans l’Aude, où il aimait tant revenir, et discuter avec l’autre écrivain sulfureux de Leucate, Henri de Monfreid.
"C’était une sorte de promontoire crayeux qui s’avançait dans la mer comme une proue de trirème. Leucate, Cap Blanc, en grec. Il y avait quelques taches roses et vertes au bas de cette falaise. Autrefois, avant la guerre, c’était une plage où l’on allait prendre du repos, se distraire, danser, baiser les filles. Maintenant, par la vertu de ces andouilles de Chleuhs, c’était un camp retranché."
En 1951, André Héléna publie Le Festival des Macchabées, un roman noir plein de bruits et de fureur, se déroulant en partie  à Leucate, pendant l’Occupation.

André Héléna a publié près de 200 romans entre l'après-guerre et 1972.
André Héléna a publié près de 200 romans entre l'après-guerre et 1972. Photo – DR

Âgé de 32 ans, ce Leucatois à la plume prolifique et magnifique, aujourd’hui bien oublié, y raconte la cavale de deux marlous de Pigalle qui se réfugient dans l’Aude, en zigzaguant entre police, milice et soldats allemands.
 Occupée pendant deux ans, Leucate est alors un énorme chantier stratégique pour la Wermacht : une importante base radar est édifiée sur la falaise, près de l’actuel sémaphore, et des batteries antiaériennes se dressent sur une colline voisine.
"Les travailleurs y étaient deux fois mieux payés que ceux qui bossaient dans les vignes", explique Jacques Hiron, incollable sur l’histoire de cette petite ville audoise où il vit depuis cinquante ans. "André Héléna est resté là pendant la guerre, il a même aussi travaillé pour la base radar ".

Les restes d'une batterie antiaérienne construite par les Allemands pendant l'Occupation, qu'évoque André Héléna dans son roman.
Les restes d'une batterie antiaérienne construite par les Allemands pendant l'Occupation, qu'évoque André Héléna dans son roman. Midi Libre – François Barrère

Une période atypique dans la vie de cet écrivain marqué par un passage en prison de quelques mois, en 1948, pour une sombre histoire de dettes liée à une revue de poésie. "Ça l’avait marqué terriblement, parce qu’il avait trouvé ça injuste. C’est là qu’il avait écrit son premier roman, Les flics ont toujours raison ", racontait à Midi Libre en 2010 Marthe Héléna, sa veuve.
"Nous avons passé les plus belles années de notre vie à éviter la mort partout présente et la faim et le froid ", écrit André Héléna pour expliquer la noirceur de sa génération, lui qui avait vingt ans quand la guerre a éclaté. À 17 ans, il était un jeune et séduisant poète, avec un premier recueil déjà publié. Après la guerre, il se lance à corps perdu dans le roman noir.
André Héléna vit à Paris, passe son temps dans les bistrots, où il croise petits et grands bandits. "C’est là qu’est la vraie vie, celle des gens qui souffrent", disait-il à Marthe. Il rentre chez lui le soir, tape à la machine et au kilomètre des histoires de flics et de voyous, de haine et d’amour vache, de femmes fatales et de filles perdues.
Des romans où se télescopent, au comptoir de bars glauques, sur les trottoirs pluvieux de Paname, destins brisés, brutes épaisses et perdants magnifiques. Une œuvre incroyablement fournie, parfois écrite sous pseudonyme : plus de 200 romans, dont une cinquantaine d’érotico-pornographiques. On est là dans la littérature populaire, où le pire côtoie le meilleur. Parmi ses chefs-d’œuvre : Les clients du Central Hôtel, un sublime roman incandescent, situé pendant la Libération de Perpignan.
À Leucate, André Héléna revenait tous les étés. Il passait ses journées au bar du Littoral", se souvient Jaques Hiron, qui l’y a croisé. "Henri de Monfreid venait en septembre, je les laissais tous les deux, ils étaient tellement contents de se voir", se souvenait Marthe.
Leucate, tel qu’André Héléna en parlait dans ses livres, n’a rien à voir avec le lumineux village aux toits de tuiles et aux façades colorées, cerné de points de vue à couper le souffle, qu’il est aujourd’hui." 
Derrière trois pins tordus, inclinés à 45°par la tempête perpétuelle qui souffle sur ce bled, une plage s’étendait à perte de vue jusqu’au moment où, là-bas, à deux ou trois kilomètres, elle se fondait avec la mer, une mer verte griffée de vent, dressant vers le ciel ses cheveux d’écume". Aujourd’hui, Leucate ne garde en mémoire que quelques fragments de son prince du roman noir.

André Héléna repose sous les pins du cimetière communal, non loin de l'autre écrivain du village, Henri de Monfreid.
André Héléna repose sous les pins du cimetière communal, non loin de l'autre écrivain du village, Henri de Monfreid. MIDI LIBRE – FRANCOIS BARRERE

"C’est vraiment  confidentiel, ici, c’est tout pour Henri de Monfreid", reconnaît Françoise Monteil, qui tient la librairie “Entrez Libres”. Il reste l’écho d’un style inimitable. Et une silhouette discrète, peinte en trompe-l’œil sur le mur de sa maison natale, en plein cœur de Leucate.
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Un trés trés grand écrivain, injustement méconnu.
Roman noir ???
Ce n'est pas encore interdit ?

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