Ah, la Côte des Basques ! Cet amphithéâtre majestueux sur l’horizon, ses vagues magnifiques, ses tontons surfeurs, ses lacets verdoyants, ses couchers de soleil, ses falaises, sa villa Belza… C’est LA carte postale de Biarritz. Et dire qu’elle est passée à un cheveu d’être complètement défigurée par des appétits immobiliers gargantuesques des années soixante et soixante-dix !
« Pharaonique » serait peut-être plus approprié au vu de la forme, entre vague et pyramide…
« Pharaonique » serait peut-être plus approprié au vu de la forme, entre vague et pyramide, de ce copié-collé d’urbanisme de La Grande Motte ou de la marina Baie des Anges sur la Côte d’Azur, transposé en terre basque. Des projets d’aménagement de la Côte des Basques, il y en a eu de nombreux. Vu de 2021, beaucoup semblent invraisemblables. Pourtant les grandes lignes de l’hallucinante marina que dévoile le maire d’alors, Guy Petit, en 1969, puis qu’il précise l’année suivante, n’ont rien du poisson d’avril.
Il est alors question d’adosser à la falaise, jusqu’à Marbella un bâtiment long de 1 200 mètres avec 1 500 logements a minima. Le bâti ne dépasserait pas la crête de la falaise, sauf à la pointe de la vague, au niveau du square de Beaurivage. Là, s’élèverait une tour de 50 mètres de hauteur. D’en haut on « bénéficiera, assure alors Guy Petit dans la Gazette de Biarritz, d’une vue exceptionnelle sur le Golfe. » Difficile d’en douter.
On peine en revanche à imaginer le spectacle vu de la mer : 3 800 parkings et garages, des ascenseurs, un boulevard large d’une cinquantaine de mètres entre Belza et Marbella pour relier la RN 10 et l’autoroute, un immense port de plaisance de 1 500 anneaux protégé par une digue partant de Marbella et une autre partant de Belza, un terre-plein de 19 hectares doté d’équipements sportifs et commerciaux, et, côté sud une vaste plage de sable recrée artificiellement. N’en jetez plus !
Mais d’où a germé cette idée ? Elle se veut une solution à la fois à la disparition de la plage à marée haute et une manière de consolider les falaises qui s’écroulent inexorablement sous l’action des sources qui les traversent et de l’érosion maritime. La mairie ne veut pas assumer le coût vertigineux des travaux de sauvetage. De tels aménagements touristiques sont censés représenter une manne pour la ville. Le plan ? Attirer plus de touristes tout en faisant assumer le gros du coût du confortement des falaises aux promoteurs.
Le géographe et ancien universitaire Pierre Laborde, amoureux de la Côte des Basques, grand collectionneur d’archives et auteur d’un ouvrage sur le sujet (1) consacre quelques pages à cette « utopie ». Il y voit la marque d’une époque. « Il fallait à tout prix lancer des projets pour développer le tourisme. Il y avait ce qu’on appelait la MIACA, la Mission interministérielle pour l’aménagement de la côte aquitaine. Il y avait des budgets fléchés pour encourager le développement touristique du littoral. Sauf que ce projet a fait scandale. Il y a eu une forte opposition des Biarrots. »
Des conseillers municipaux démissionnent. Des associations entrent en lutte contre le projet. Le sujet enflamme les campagnes électorales. L’émission « La France défigurée » consacre même un dossier à la marina de Biarritz. Mais plus que ces levées de boucliers, c’est parce que l’instigateur du programme, « un certain M. Sinaï, est inculpé pour escroquerie et abus de confiance que le projet est abandonné définitivement ».
On est en 1973. Les années suivantes, sous le mandat de Bernard Marie plusieurs projets d’aménagement voient le jour. S’ils sont moins imposants, il est toujours question de construire, dos aux falaises, ensembles hôteliers, logements touristiques, locaux commerciaux ou plage permanente, quand ce n’est pas l’idée du port de plaisance qui resurgit.
La dernière tentative en date, en 1980 ne se réalisera jamais. Une directive relative à la protection du littoral vient de passer en 1979. Ses effets, encore timides, marquent toutefois les prémices d’une prise de conscience. Suivra, en 1986, la plus protectrice loi littoral. De quoi assécher les appétits de béton côtier.
Avec une marina en lieu et place des lacets, avec un port, le décor aurait-il continué de séduire les surfeurs du monde entier ? Peu probable : que seraient devenues les déferlantes qui font la renommée du site ? Avec vue sur vague géante de béton, pas certain non plus que les fidèles de la plateforme de voyage Trip Advisor lui auraient à plusieurs reprises décerné le titre de « plus belle plage de France ».
(1) « La Côte des Basques, plage sublime » par Pierre Laborde (Éditions Pimientos).

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