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Culture et idées
L’étalement urbain doit être circonscrit, interrompu même, pour préserver les espaces naturels et agricoles.
L’étalement urbain doit être circonscrit, interrompu même, pour préserver les espaces naturels et agricoles.
Durée de lecture : 8 minutes
Dans « La ville stationnaire », un ingénieur et deux architectes livrent leur plan de lutte contre l’artificialisation des sols : la ville écolo, la cité du futur, sera celle qui cesse de s’agrandir.
Débutons par un paradoxe statistique. Sur les cinq dernières années, la population française a cru à hauteur de 165 000 personnes par an. Vu la moyenne de personnes par ménage (2,2 aujourd’hui, contre 3,1 en 1960), on peut s’attendre à une augmentation proportionnelle du nombre de logements, soit autour de 80 000 par an. Mais sur cette même période, le parc immobilier a augmenté de 350 000 logements par an. Autrement dit, le parc immobilier croît deux fois plus vite que la population française.
Or, comme l’expliquent Philippe Bihouix, Sophie Jeantet et Clémence de Selva dans leur essai La ville stationnaire. Comment mettre fin à l’étalement urbain ? (Actes Sud, octobre 2022), cette frénésie de nouvelles constructions augmente mécaniquement la taille des villes et particulièrement celle des métropoles, au détriment des terres agricoles.
Depuis 1982 en France, ces dernières ont ainsi chuté de 7,7 % pour ne représenter désormais qu’à peine la moitié des sols du pays, tandis que les sols artificialisés ont, à l’inverse, augmenté de 72 %, soit 9 % des sols nationaux aujourd’hui ; le tiers restant se compose de sols naturels, stables depuis quarante ans.
Cette artificialisation des sols est connue et débattue de longue date. Elle produit des effets délétères tant à la campagne que dans les métropoles, devenues de plus en plus « barbares » selon l’expression du géographe Guillaume Faburel. Comme ce dernier, les auteurs de La ville stationnaire jugent les villes denses contreproductives, selon la définition qu’en donne Ivan Illich.
En effet, si « les citoyens hyperurbains prennent peu de place », ils « mobilisent des mètres carrés à l’extérieur par leur profil de consommation » et transforment les terres agricoles avoisinantes en « espaces servants » des métropoles. Par conséquent, même si ce phénomène est invisible depuis le cœur des métropoles, « la ville-centre artificialise bien au-delà de ses limites : elle contribue, voire incite à l’étalement urbain ».
Beaucoup plus inédite est l’approche des trois auteurs pour envisager de mettre concrètement un terme à l’étalement urbain. En raison de leurs parcours techniciens — Bihouix est ingénieur, Jeantet et De Selva sont architectes —, les essayistes revendiquent une approche pragmatique du phénomène urbain, aux antipodes des utopies architecturales d’un Le Corbusier : « Les villes idéales sont déjà là, ce sont celles que nous habitons. Elles ne sont pas idéales parce qu’elles sont parfaites, mais parce qu’elles sont les seules que nous avons à notre disposition et qu’il faudra bien faire avec. »
C’est pourquoi, plutôt que de faire table rase des villes contemporaines, ils envisagent point par point les solutions techniques pour en limiter les impacts environnementaux ; mais, chose rare, ils les rejettent quasiment toutes pour imaginer rien de moins que l’arrêt brutal de toute expansion urbaine, au profit d’un « état stationnaire », le seul véritablement durable.
Continuer à construire au rythme actuel, en verdissant l’un ou l’autre des paramètres — que ce soit les matériaux de construction, leur recyclage, la compensation des artificialisations, etc. —, rencontre en effet rapidement des limites. Un « immobilier vert » est impossible, surtout lorsqu’on imagine que si le ciment et l’acier étaient des pays, chacun serait le troisième plus gros émetteur de gaz à effet de serre, après la Chine et les États-Unis, mais devant l’Union européenne, avec environ des 7 % des émissions de CO₂ mondiales, soit trois fois plus que le secteur aérien.
Dès lors, les techniques d’écoconstruction à base de géomatériaux (ciment, pierre et acier) ne servent bien souvent que de « cache-sexe du business as usual » : même en les recyclant bien mieux qu’aujourd’hui et en diminuant les additifs qui les composent, ciment et acier pèsent bien trop lourd dans le bilan carbone pour une croissance soi-disant verte.
Il en va autrement des biomatériaux, comme le bois et la terre. Certes, leur impact carbone est nettement moindre, du fait de leur caractère renouvelable et aisément recyclable. Mais il y a d’autres facteurs à prendre en compte que les seules émissions de CO₂.
À ce titre, les auteurs se livrent à quelques calculs et diagrammes pour estimer la proportion de forêts françaises qu’il faudrait consacrer à la construction immobilière si l’on désirait que tous les futurs logements neufs soient en bois. Résultat : il faudrait mettre à contribution la moitié des forêts de l’Hexagone ! Une exploitation aussi intensive du couvert forestier n’irait bien évidemment pas sans provoquer d’importants conflits d’usage autour de cette ressource, sans parler de la perte de biodiversité et de captation de carbone qu’elle engendrerait. À l’inverse, la construction en terre a nettement plus de marge de manœuvre devant elle, à condition qu’elle dépasse l’image négative qui lui est associée.
Les choses pourraient toutefois changer avec l’introduction du principe de « zéro artificialisation nette » (ZAN) d’ici 2050, votée par la loi Climat en 2021. La ZAN aura d’abord pour effet indéniable de raréfier la ressource qu’est le sol constructible, de sorte qu’il ne sera plus aussi facile qu’auparavant pour les promoteurs immobiliers de construire sur des terres agricoles.
Néanmoins, le principe de compensation des constructions plutôt que de réduction, sinon d’interdiction pure et simple, ne fait que reporter le problème à 2050, sans savoir si, d’ici là, les arbres replantés auront eu un quelconque effet sur le maintien de la biodiversité. Ce qui fait dire aux trois auteurs que « la ZAN ne vise pas une protection des espaces non artificialisés, mais un meilleur rendement de l’artificialisation, couplé à des dispositifs de compensation et de renaturation ».
Plutôt qu’une zéro artificialisation nette, propice aux calculs divers et variés pour contourner les obstacles à la construction, eux prônent une zéro artificialisation brute. Et, par conséquent, l’arrêt de toute nouvelle construction sur les zones agricoles ou naturelles. Dès lors, il ne reste plus qu’à se tourner vers les zones urbaines actuelles pour y trouver de nouveaux terrains constructibles.
La zéro artificialisation ne sera pas des plus simples : les auteurs notent que « sortir, plus ou moins volontairement, de notre addiction à l’artificialisation, sera aussi complexe que sortir de notre addiction aux produits pétroliers ».
L’image vaut plus qu’une métaphore, car les deux parties s’alimentent l’une l’autre. Ainsi, en France, l’étalement urbain, permis par la voiture et une essence à bas coût, nourrit le fantasme du pavillon individuel… et inversement. C’est tout un imaginaire de la densification qu’il s’agit alors de cultiver en même temps qu’on défait celui de la maison avec jardin privatif.
Mais les essayistes ne sont pas dupes : entasser des gens dans des barres d’immeubles comme après-guerre ne séduira personne. Densifier signifie donc tenir l’équilibre entre l’optimisation du foncier urbain existant — à travers la réhabilitation de friches, la chasse aux logements vacants et aux résidences secondaires ou encore la construction dans les « dents creuses » de la ville — et la densité perçue par les habitants.
Néanmoins, même en forçant à construire moins et mieux, la zéro artificialisation brute ne traiterait que les conséquences, et non la cause, de l’étalement urbain. C’est pourquoi Bihouix, Jeantet et De Selva préconisent de s’attaquer aux racines de ce phénomène, à savoir la métropolisation, soit le processus de concentration de populations, d’activités, de valeur dans des villes de grande taille.
Prenant à contre-pied cette tendance historique en Europe, ils invitent à réinvestir les campagnes et donc à mieux répartir la population sur l’ensemble du territoire. Les villes atteindraient ainsi ce que le philosophe britannique John Stuart Mill nommait, en son temps de progrès industriel et d’expansion urbaine, « l’état stationnaire ».
Loin d’être moribonde, une ville stationnaire serait, selon les auteurs, « libérée de l’injonction à la croissance » pour mieux se concentrer sur le bien-être de ses habitants. Fidèles à leur approche pragmatique, les trois auteurs se refusent à donner le mode d’emploi pour arrêter la métropolisation et se contentent d’esquisser un horizon désirable de l’après-métropole, sans doute le seul vraiment durable.
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