La gare routière à Saint-Jean-de-Luz ce matin du dernier jour du mois de mars 2022. Il bruine, des groupes d’ados attendent leurs bus, des collégiens, des lycéens, ils ont des skates à la main, des jean’s déchirés, des bouquins dans le dos et ils chahutent, déconnent, parlent fort. Et puis, il y a ce jeune garçon noir qui regarde ses pompes, il porte un petit sac à dos Quechua, piétine depuis un moment, les mains enfoncées dans les poches. Line Targe l’observe, depuis le café d’en face. Elle hoche la tête. « Sûr, lui, c’est un gosse exilé. Il vient d’arriver, il cherche son chemin… » Avec elle, Guillaume, patron du café : « On les repère tout de suite, je ne sais pas pourquoi, lâche-t-il. La même dégaine avec ce sac Quechua qu’on leur donne à Irún quand ils arrivent… ou le même air perdu…
La gare routière à Saint-Jean-de-Luz ce matin du dernier jour du mois de mars 2022. Il bruine, des groupes d’ados attendent leurs bus, des collégiens, des lycéens, ils ont des skates à la main, des jean’s déchirés, des bouquins dans le dos et ils chahutent, déconnent, parlent fort. Et puis, il y a ce jeune garçon noir qui regarde ses pompes, il porte un petit sac à dos Quechua, piétine depuis un moment, les mains enfoncées dans les poches. Line Targe l’observe, depuis le café d’en face. Elle hoche la tête. « Sûr, lui, c’est un gosse exilé. Il vient d’arriver, il cherche son chemin… » Avec elle, Guillaume, patron du café : « On les repère tout de suite, je ne sais pas pourquoi, lâche-t-il. La même dégaine avec ce sac Quechua qu’on leur donne à Irún quand ils arrivent… ou le même air perdu. »
Line est responsable de l’association d’aide aux migrants Elkartasuna Larrun à Saint-Jean-de-Luz. Et elle se fiche en colère : « Déjà, on va arrêter avec le mot “ migrant ”, trop lourd, il porte le racisme et il globalise une problématique, alors que nous recueillons des jeunes, un par un, avec chaque fois, une histoire, un parcours. »
Tiens en voilà un qui déboule dans le café, Ibrahima, 17 ans. Il vient se lover dans les bras de Line, « ma grand-mère » souffle-t-il à son oreille. Elle lui colle deux chocolatines dans les mains. La première fois qu’elle l’a vu, c’était à la gare routière, à l’arrêt de bus, vêtu d’un short, avec un ballon de foot auquel il s’accrochait comme à une bouée. 14 ans à peine, il avait déjà traversé le feu.
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Son périple a duré deux ans. Dans un large sourire, il vous cloue du regard et déclare ne pas vouloir ruminer ces souvenirs. « C’était partir ou mourir, au risque de mourir en partant, siffle-t-il. Je suis passé par le Mali. J’ai tout vu sur le chemin et ça m’a fait grandir. » Il a marché, marché, traversé le Sahara, sans jamais s’arrêter, il est monté dans des embarcations de fortune. L’eau, le feu, les caillasses. Il a vu d’autres tomber, lâcher. Il a été brutalisé, bousculé, trahi, soigné, il a eu faim, froid, peur.
« Lorsque j’ai trouvé Ibra se souvient Line, j’étais bouleversée. Si petit alors, tellement seul. » Elle ne le lâchera pas, même si Ibrahima fait une halte par le centre d’accueil de Bayonne, Pausa, qui héberge les migrants depuis 2018. « Je devais le mettre entre les mains de l’association la Cimade afin qu’il soit reconnu mineur et qu’il soit immédiatement protégé. Et ce, avant de trouver une famille qui l’accueille. »
Ibrahima, placé sous la protection de l’aide sociale à l’enfance a quatre ans de répit pour organiser sa naturalisation française. « Ma vie est ici aujourd’hui, je ne me retourne plus. J’ai été à l’école ici, j’ai trouvé des appuis, et je prépare un bac pro logistique. Moi et mon ballon de foot », résume-t-il.
Repéré alors qu’il jouait à l’Arin Luzien, le voilà engagé au Real Union Club d’Irun « attaquant comme tous ceux qui rêvent de marquer des buts ». Line Targe a une relation privilégiée avec Ibra, leçons de maths, de français, chocolatines… « Pourquoi lui encore plus qu’un autre ? questionne-t-elle. Sais pas. Une filiation. Il est pudique, sincère, structuré. Il a trouvé son chemin seul. »
Un autre chemin trouvé est celui qui a conduit Losseni Fofana depuis la Côte d’Ivoire où il était né, où la vie était devenue un enfer, jusqu’au café de la gare routière de Saint-Jean-de-Luz chez Guillaume Clément et sa femme Mélissa. Il y a trois ans, un soir, tard, tremblant de trouille et de froid. « On l’a pris chez nous pour qu’il puisse dormir, on a ajouté une assiette et ça a duré un an et demi, relate Guillaume. Il avait 17 ans, n’était jamais allé à l’école. »
Il a fallu tout reprendre à zéro : lire, écrire, compter. Se défaire de cette logique de survie sur laquelle il s’est construit, apprendre à vivre. Trois ans plus tard, Fofa décroche un CAP cuisine, intègre un bac pro, bosse en alternance au café de Guillaume et prépare des îles flottantes comme personne.
L’association Elkartasuna agit avec un réseau tissé de bonnes volontés, elle est fédérée à Etorkinekin, le collectif Solidarité-migrants dans le Pays-Basque-Nord et le sud des Landes. Le noyau dur du réseau d’Elkartasuna autour de Line, sont des gens comme Guillaume et Mélissa, ou Christine qui assure l’accueil d’urgence, avec surtout des familles hébergeuses dont le seul point commun est l’humanisme.
Myriam et Xavier par exemple, vivent à Bidart, ils ont 4 enfants, une maison et un cœur suffisamment grand pour y mettre davantage. « Je suis instit’ à Hendaye, commence Myriam. Je prends tous les jours l’autoroute A63. Et je les vois ces jeunes. À Biriatou, ils escaladent le pont de l’autoroute pour se planquer, coursés par les policiers. Ils sont traqués à la frontière. S’épuisent à marcher le long de l’autoroute, se noient dans la Bidassoa. Comment vivre bien quand on est témoin ? »
En décembre dernier, le couple participe à une réunion organisée par le député Vincent Bru, à Saint-Jean-de-luz, sur le thème de la migration, et propose une chambre. Quelques jours plus tard, Mustapha, 16 ans, entre dans leur vie. Lui, arrive de Conakry en Guinée, ne parle que peul et wolof. Une volonté de fer, une gentillesse et une reconnaissance à toute épreuve.
« Mustapha, il sourit tout le temps », confirme la petite Suzanne, la fille de Xavier et Myriam. « Un de plus à la maison, ça ne change pas grand-chose pour nous », ajoute le père. « Agir, ouvrir notre porte nous permet d’être moins mal, ce n’est pas révolutionnaire, poursuit-il. Il s’est intégré chez nous, un enfant de plus. » Mustapha veut être boulanger. Xavier et Myriam l’accompagnent dans son combat juridico-administratif. 
Depuis quelques semaines, de nouveaux exilés traversent Hendaye. Ils arrivent d’Ukraine, sans avoir besoin de se cacher. « La voie royale pour eux et c’est tant mieux », remarque amèrement Guillaume. « Ce régime d’accueil bienveillant devrait être le même pour tous… » Tout n’est pas perdu, puisque cette année, pour la première fois, la mairie de Saint-Jean-de-Luz a accordé une subvention à l’association Elkartasuna.

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