Nantes, Rennes, Montpellier, Brest, Marseille… Les grandes métropoles régionales attirent de plus en plus de nouveaux habitants, au risque d’ouvrir des débats difficiles sur l’aménagement du territoire.
Un café, des boutiques, une rangée d’écrans publicitaires et une grande baie vitrée surplombant la ville. Tel est le décor qui s’offre au visiteur qui arrive en train à la gare flambant neuve de Nantes. D’un côté, la sortie nord donne sur la vieille ville, avec le Jardin des Plantes, et un peu plus loin le château des ducs de Bretagne. Côté sud, c’est Euronantes, un « pôle d’affaires », comme l’appelle la Métropole de Nantes, d’au moins 2 000 logements et 200 000 m² de bureaux.
De grandes tours de formes variées y ont poussé depuis une dizaine d’années. Veolia, Capgemini, ou encore BNP y ont déjà pris leurs quartiers. Plusieurs bâtiments doivent encore sortir de terre dans les rares espaces encore non occupés.
Le promoteur Giboire, notamment, aimerait y construire une tour de logements, de 58 mètres de haut, avec piscine à ciel ouvert, en bordure de Loire
Un café, des boutiques, une rangée d’écrans publicitaires et une grande baie vitrée surplombant la ville. Tel est le décor qui s’offre au visiteur qui arrive en train à la gare flambant neuve de Nantes. D’un côté, la sortie nord donne sur la vieille ville, avec le Jardin des Plantes, et un peu plus loin le château des ducs de Bretagne. Côté sud, c’est Euronantes, un « pôle d’affaires », comme l’appelle la Métropole de Nantes, d’au moins 2 000 logements et 200 000 m² de bureaux.
De grandes tours de formes variées y ont poussé depuis une dizaine d’années. Veolia, Capgemini, ou encore BNP y ont déjà pris leurs quartiers. Plusieurs bâtiments doivent encore sortir de terre dans les rares espaces encore non occupés.
Le promoteur Giboire, notamment, aimerait y construire une tour de logements, de 58 mètres de haut, avec piscine à ciel ouvert, en bordure de Loire. Mais un nouveau collectif d’habitants appelé les Amis de la confluence Erdre Loire (ACEL) pourrait bien venir lui mettre des bâtons dans les roues.
« Nous avons découvert ce projet au détour d’une petite affiche annonçant une enquête publique », raconte Edgar, membre de l’ACEL, qui dénonce pêle-mêle, la « bétonisation », la disparition de l’un des derniers espaces verts du quartier, la privatisation d’un chemin le long de la Loire, le coût exorbitant des logements prévus (6 000 euros le m²), et, surtout, le manque de concertation avec les habitants. « Lors des réunions publiques, les questions posées par les associations et les habitants sont soit balayées ou éludées », regrette le trentenaire.
Les membres de l’ACEL savent qu’ils peuvent compter sur le soutien d’autres collectifs, engagés dans des combats similaires dans d’autres quartiers de Nantes. Ils se sont d’ailleurs fédérés au sein du CRI, Collectif d’associations de citoyens résolus et irrités contre les projets immobiliers et d’aménagements. L’objet de tous leurs maux : la densification, c’est à dire la politique visant à augmenter le nombre d’habitants par kilomètre carré.
« A-t-on vraiment besoin de construire ? », s’interroge Nicolas, membre fondateur du CRI et de l’Association des riverains et amis de La Beaujoire (ARALB). Dans son quartier, en 2019, un projet très contesté de nouveau stade et de complexe immobilier, YelloPark, a fini par être abandonné par la Métropole de Nantes.
Autres villes, mêmes combats. À Rennes, l’équivalent du CRI s’appelle COUDDUR, pour Collectif uni pour une densification urbaine rennaise raisonnée. À Brest, le groupe de citoyens Au pied du mur se mobilise depuis quelques mois contre plusieurs projets urbains.
Estimant qu’ils font face aux « mêmes difficultés », ces collectifs de Nantes, Rennes et Brest ont décidé en juin d’unir leurs voix dans un communiqué commun, réclamant de « redonner aux habitants le pouvoir de décider du développement de leurs lieux de vie ».

Construire, coûte que coûte ?

« Certains de nos concitoyens y vont un peu fort. Nous essayons de les associer aux décisions, mais ils ne sont pas urbanistes », rétorque Pascal Pras, vice-Président de Nantes Métropole en charge des formes urbaines. Pour lui, la construction de 6 000 logements neufs par an est une nécessité, pour loger les 10 000 habitants supplémentaires que compte la métropole chaque année.
70 % de ces nouveaux habitants ne sont pas liées à la population déjà là (solde naturel) mais bien à l’arrivée de nouveaux habitants (solde migratoire). « Les jeunes viennent ici étudier puis ils restent travailler », explique l’élu, qui refuse de se plaindre du dynamisme économique de sa métropole, et plus largement de la Loire-Atlantique.
Pour justifier la densification, les élus mettent en avant des arguments écologiques : concentrer les habitants dans les centres permet d’éviter de détruire des terres naturelles et agricoles en périphérie
À Rennes, le discours est à peu près le même. Marc Hervé, premier adjoint à la mairie de Rennes et conseiller délégué aux formes urbaines à la métropole, parle même d’une « urgence sociale à construire », pour accueillir 5 000 nouveaux Rennais par an.
Pour justifier la densification, ces élus mettent en avant des arguments écologiques : concentrer les habitants dans les centres permet d’éviter de détruire des terres naturelles et agricoles en périphérie et réduit également les trajets routiers domicile-travail qui vont avec la périurbanisation.
« Ces oppositions aux nouvelles constructions constituent ce que j’appelle le syndrome du dernier arrivé », glisse Pascal Pras, pour désigner ceux qui reprochent à d’autres de venir à Nantes pour bénéficier d’avantages pour lesquels ils sont eux-mêmes venus.
Les collectifs opposés à des constructions sont aussi fréquemment accusés d’avoir un réflexe de type « NIMBY », cette expression anglaise, acronyme de « Not in my backyard » (en français « pas dans mon arrière-cour »), qui désigne l’attitude d’un petit nombre de personnes qui, dans le but de préserver son cadre de vie, s’oppose à des projets d’intérêt général.
À Rennes, les habitants des quartiers pavillonnaires se défendent évidemment de toute attitude égoïste. « Les élus nous font passer pour des nantis, mais nous ne vivons pas tous dans des maisons. Nous ne sommes pas contre les constructions, mais contre des bâtiments d’une quinzaine d’étages qui ne s’intègrent pas dans l’existant », explique Françoise, membre du collectif COUDDUR, qui fustige le « tout béton » et les constructions « vite fait, mal fait ».
À Nantes, les membres du CRI refusent aussi tout procès en égocentrisme. « Le fait de s’organiser en collectif montre que nous ne sommes pas dans des postures personnelles. Ce qui se passe ici est reproductible ailleurs », affirme Edgar.
Faut-il encore construire à Nantes, Rennes, et dans les autres villes attractives ? Oui, répond Jean-Claude Driant, professeur à l’École d’Urbanisme de Paris : « Construire des logements permet de maintenir une population sur un territoire », avance-t-il, rappelant que les constructions ne visent pas seulement à héberger de nouvelles populations, mais aussi « les personnes qui se séparent et les jeunes qui quittent le foyer familial ». Selon lui, « il y a effectivement besoin de construire », dans des métropoles comme Rennes ou Nantes, mais il faut « des bons logements, de qualité et abordables ».

Une urbanisation menée par le privé

Plusieurs études ont récemment montré que les logements construits depuis une dizaine d’années sont souvent plus petits, moins hauts de plafond et moins lumineux.
« Si on ne construit pas, c’est vrai, on risque de conduire les gens à s’installer de plus en plus loin de leur travail. Seule la ville dense rend le transport collectif efficace, confirme Gilles Pinson, professeur de science politique et auteur de l’ouvrage La ville néolibérale (Puf, 2020). Mais la question est : qui orchestre cette densité ?, poursuit-il. Les élus ont trop souvent laissé les promoteurs mettre en œuvre cet urbanisme dense. Ces derniers ont privilégié des espaces publics de piètre qualité, très minéralisés et des logements plutôt petits, commercialisés par le biais de la défiscalisation, qui leur garantissent un maximum de profits ».
Plus globalement, ajoute-t-il encore, « l’urbanisation en elle-même se fait selon une inspiration néolibérale, c’est-à-dire que la ville et ses produits deviennent des sources de profits et les valeurs foncières s’envolent au détriment des plus fragiles ». Un discours partagé par le géographe Alexandre Grondeau, qui vient de publier Altermétropolisation – Une autre vi(ll)e est possible (La Lune sur le toit, 2022).
« L’une des matérialisations du néolibéralisme urbain réside dans la multiplication des partenariats public-privé, qui se réalisent souvent au bénéfice des promoteurs, dans une logique de rentabilité plus que d’intérêt général », analyse-t-il.
Pour Alexandre Grondeau, il est possible de développer un autre modèle urbain, qu’il appelle « altermétropolisation ». Dans son ouvrage, il explique comment les squats, les freetown tels que le quartier Christiana à Copenhague et les FabLabs peuvent être envisagés comme des « contre-propositions territoriales au néolibéralisme urbain ». Il cite également sur le mouvement Barcelona en Comú (Barcelone en commun), arrivé au pouvoir en 2015 et qui défend un « municipalisme citoyen » qui s’appuie sur la notion de communs.

« Altermétropolisation »

En France, en 2020, des maires écologistes ont été élus dans des grandes villes comme Bordeaux, Lyon et Strasbourg, en partie grâce à des programmes fustigeant la « bétonisation ». Il est encore trop tôt pour savoir s’ils se démarqueront vraiment de leurs prédécesseurs sur ce sujet. Pour construire de façon plus écologique, il faudrait favoriser les réhabilitations plutôt que les constructions neuves, et utiliser des matériaux moins polluants, comme le bois. Mais cela coûte cher, et se développera difficilement sans quelques réformes, à l’échelle nationale.
Au-delà de ces débats complexes d’urbanisation, un autre enjeu se cache : l’aménagement du territoire. Un combat plus large se joue en effet autour de la métropolisation, c’est à dire la concentration d’activités et de populations dans de grands pôles urbains.
Dans le texte commun que les collectifs du COUDDUR ont rédigé, les habitants mobilisés s’interrogent ainsi sur « la pertinence des politiques de métropolisation » et l’intérêt de « concentrer les populations dans quelques pôles urbains ».
Tournées vers l’attractivité plutôt que leurs habitants, les métropoles se lancent dans une compétition entre grands pôles nationaux et européens
Car les projets immobiliers actuels ne tombent pas du ciel : ils sont la conséquence des politiques d’attractivité menées par les métropoles depuis de longues années, consistant à chercher à faire venir des entreprises, des cadres, des étudiants et des acteurs culturels, en particulier à Rennes et Nantes.
Tournées vers l’attractivité plutôt que leurs habitants, les métropoles se lancent en effet dans une compétition entre grands pôles nationaux et européens. Une course, arbitrée par une profusion de classements, labels ou autres index, qui est souvent axée sur l’innovation et la compétitivité économique, et assez peu sur la qualité de vie, les inégalités, ou la richesse du tissu social.
Face à cet emballement métropolitain, plusieurs mouvements municipalistes de gauche, comme NousSommesMontpellier, Lyon en Commun ou encore Nantes en Commun1, ont fait de la lutte contre la métropolisation l’un des grands axes de leurs campagnes aux élections municipales de 2020. Pour eux, les métropoles doivent elles-mêmes freiner l’attirance qu’elles exercent.
« Ici, les constructions d’infrastructures et de bureaux mais aussi les politiques culturelles sont faites pour attirer des cadres et des entreprises. Elles ne s’adressent pas aux Nantais, mais aux CSP+ d’Île-de-France que la métropole veut attirer », estime la tête de liste de Nantes en Commun, Margot Medkour, qui été éliminée au premier tour avec 8,9 % des voix.

Vers une démétropolisation ?

À Rennes, les élus du Groupe écologistes et citoyen, qui font partie de la majorité, portent eux-aussi un discours critique envers la métropolisation et l’attractivité. Selon Matthieu Theurrier (EELV), vice-Président de Rennes Métropole délégué à la Mobilité et aux Transports, le « démarchage des entreprises » ainsi que « les campagnes de publicité dans le métro parisien », « c’est terminé ». « Avant 2020, il y avait un service « rayonnement » à la Métropole. Désormais, il a été remplacé par un service de coopération avec les territoires voisins », fait-il valoir.
De son côté, l’État ne cherche pas particulièrement à freiner cette compétition. Il est même partie prenante dans des gros projets visant à faire rayonner les grandes agglomérations françaises à l’échelle européenne, à l’image du renouveau du front de mer, Euromédiaterranée, à Marseille ou du projet Bordeaux-Euratlantique, autour de la gare Saint-Jean, en partenariats avec des entreprises privées. 
Depuis la crise des gilets jaunes, le gouvernement, a créé nombre de nouveaux dispositifs de soutien aux territoires non-métropolitains (Action cœur de ville, petites villes de demain, agenda rural…) afin de tenter de convaincre qu’il n’est pas le gouvernement des élites métropolitaines, comme l’accuse l’opposition, et qu’il n’oublie pas les campagnes et les petites villes.
En plus de l’avalanche de nouveaux dispositifs, il s’est engagé dans une logique de « démétropolisation », en annonçant vouloir déménager certains services étatiques de la capitale vers des villes moyennes.
Au-delà de la communication, difficile de démêler la philosophie de l’exécutif sur l’aménagement du territoire, car le thème n’a pas émergé pendant la campagne présidentielle. Laissant aux collectivités locales la gestion du mouvement encore mal connu et peu encadré des déménagements des Français.
Sur les réseaux sociaux
En recevant notre newsletter
Alternatives Economiques est une coopérative 100% indépendante qui appartient à ses salariés et qui ne vit que grâce à ses lecteurs. Nous avons besoin de vous pour faire vivre ce projet.
L’embargo européen sur le pétrole brut russe entre en vigueur aujourd’hui. Même si des stratégies de contournement sont déjà mises en œuvre, il devrait entamer les recettes encaissées par Moscou.
D’autres solutions que l’âge de départ peuvent permettre d’équilibrer le système de retraite. L’économiste Michaël Zemmour propose cinq pistes qui permettraient de dégager 35 milliards d’euros de recettes.
Fortement exposés aux risques climatiques, les arbres plantés en milieu urbain le seront encore plus en 2050. Leurs conditions de plantation et d’arrosage sont à revoir d’urgence.
Le président du parti socialiste de Belgique plaide pour une rupture avec le productivisme capitaliste et l’avènement d’un écosocialisme qui sache fédérer les luttes sociales, environnementales et antiracistes.
A découvrir sur vos écrans : deux documentaires qui explorent les raisons de l’inaction face à l’épidémie de sida et à l’évasion fiscale, et le spectacle réussi de l’humoriste palestino-américain Mohammed Amer.

source

Catégorisé: