Victime d’une erreur médicale au cours d’une opération du dos en 2020, Alexandre Berland vit depuis avec une poche à urine. Jugé invalide par son employeur puis réformé, surendetté, cet habitant du sud-est de la Côte-d’Or risque aussi de perdre sa maison.
La mine morose d’Anne-Sophie Berland s’éclaire d’un sourire fugace lorsqu’elle nous voit arriver. “Venez, entrez“, lance-t-elle du haut des escaliers qui jouxtent sa maison, campée au bord d’une voie sans issue de Collonges-et-Premières, une petite commune du sud-est de la Côte-d’Or, près de Genlis. Si elle nous reçoit, en cette morne matinée de fin novembre, c’est pour évoquer l’erreur médicale dont a été victime il y a près de trois ans son mari Alexandre. Handicapé depuis, on l’entend, un peu plus loin, discuter au téléphone avec l’un de ses avocats.
14 février 2020. Alexandre s’apprête à se faire opérer d’une discopathie à la polyclinique du parc Drevon, à Dijon. Ce cheminot souffre de gros problèmes de dos depuis plusieurs années – il a même déjà subi une intervention “qui s’est très bien passée” en 2016. Pas de quoi régler définitivement le problème pourtant, puisque les douleurs reviennent. Il enchaîne alors les arrêts de travail et est placé en arrêt maladie longue durée pendant trois ans. En août 2019, un chirurgien le contacte, “il fait un peu le messie“, en affirmant pouvoir soigner l’affliction dont il souffre. Sans raison “de ne pas le croire“, Alexandre accepte de passer quelques examens puis de se faire poser une prothèse.
Sauf que rien ne se passe comme prévu. L’opération, qui doit durer deux ou trois heures, s’éternise. Près de 10 heures après avoir été amené au bloc opératoire, Alexandre regagne sa chambre, livide. “Il était méconnaissable, je ne l’avais jamais vu comme ça“, se remémore Anne-Sophie. “On lui parlait, il réagissait à peine. Je voyais bien que quelque chose clochait.” Le personnel médical lui explique que le retard est dû à un problème pendant le sondage. Le praticien, lui, se veut rassurant. L’opération s’est bien passée, il n’y a pas lieu de s’inquiéter. “À ce moment, on n’a toujours pas de raison de ne pas le croire.
Le lendemain, la vie semble reprendre son cours. “Je pouvais marcher et aller prendre l’air“, indique le trentenaire. Mais le calvaire recommence quelques jours plus tard. Fiévreux, endolori, les pompiers le conduisent aux urgences où il passe un scanner, le premier d’une longue série. Et le couperet tombe : les douleurs sont causées par la prothèse posée quelques jours plus tôt, qui, à cause d’une erreur du chirurgien, bloque l’uretère.
Au fil des jours, la situation s’aggrave. Admis en urologie au centre hospitalier (CHU) de Dijon, soumis à des batteries d’examens, on confirme à Alexandre que son rein “commence à souffrir“. Il se voit poser une néphrostomie, un dispositif relié à son rein qui permet aux urines de s’écouler dans une poche fixée en permanence à sa jambe. “Quand on m’annonce qu’on va devoir me faire ça, je suis au plus bas car notre vie s’est effondrée“, se souvient-il. “On ne trouvait plus les mots, on se disait ‘pourquoi lui ?’“, abonde Anne-Sophie.
On se dit que tout va s’écrouler. Mais avec le recul, ce n’était que le début. C’est pire maintenant.
épouse d’Alexandre
La descente aux enfers ne fait pourtant que commencer. Comme un malheur n’arrive jamais seul, Anne-Sophie doit elle-même se faire opérer d’un cancer au printemps 2020. Mais c’est en regagnant le domicile familial, quand elle retrouve Alexandre, que l’horreur la frappe de plein fouet. “Quand il marchait, on voyait son corps s’affaisser. On avait l’impression qu’il s’effondrait d’un coup.” Au CHU, on diagnostique au cheminot une spondylodiscite, c’est-à-dire une infection de la colonne vertébrale. “Ce sont des abcès qui viennent s’y loger et qui peuvent la dissoudre“, précise-t-il. Plus tard, il apprendra que cette affliction était une conséquence directe de la pose de la prothèse… qui aurait donc pu lui coûter l’usage de ses jambes.
En parallèle, Alexandre se retrouve dans le viseur de la SNCF, son employeur : “Comme j’étais en arrêt longue durée, et qu’une fois que je devais reprendre j’étais à nouveau en arrêt, la SNCF a réagi“. Fin 2020, il reçoit un rapport du médecin “conseil” de l’entreprise – sans l’avoir rencontré – qui l’estime invalide à tous postes. Peu après, la société ferroviaire l’informe du lancement d’une procédure de mise en réforme. “En gros, c’était pour me mettre à la retraite, ou me licencier, selon le terme qui les arrange…“, juge-t-il, amer. “Je touche quand même une pension, mais deux fois moins élevée que ce que je gagnais avant. Et je n’ai plus de travail.
Dans l’impasse, Alexandre contacte un avocat du barreau de Dijon. Celui-ci note d’emblée un vice de procédure et enjoint l’ex-cheminot à attaquer son ancien employeur aux prud’hommes. La SNCF, que nous avons contactée, n’a quant à elle pas encore répondu à nos questions.
Pour mon avocat comme pour moi, la SNCF aurait dû me proposer un poste adapté.
victime d’une erreur médicale
Mais en novembre 2022, plus d’un an après, la procédure reste au point mort. À l’heure où nous écrivons cet article, l’audience a déjà été reportée cinq fois. “On a l’impression que la justice est de leur côté, qu’à chaque fois ils vont trouver une faille pour gagner du temps“, désespère Anne-Sophie. “Le dernier report avait fixé une audience au 14 novembre, mais on ne sait même pas ce qu’il s’est passé. Notre avocat est dépité que rien n’avance, parce qu’on nous met des bâtons dans les roues.
Une seconde procédure judiciaire est également en cours, cette fois-ci à l’encontre du chirurgien et de la polyclinique Drevon. L’erreur médicale a beau avoir été reconnue par deux expertises différentes, l’établissement n’a pour l’heure versé aucune indemnisation à sa victime. “Aucune proposition ne nous a été faite“, affirme Alexandre. “Nous devions discuter d’échanges à l’amiable, mais c’est silence radio de ce côté.” Contactée à ce sujet, la clinique n’a pas, pour l’heure, donné suite à nos sollicitations.

Mais sans ces indemnités, le couple se retrouve entraîné dans une véritable spirale infernale. Endettés à hauteur de 20 000 euros, à cause notamment des arrêts maladie à répétition d’Alexandre qui ont engendré des pertes salariales conséquentes, ils doivent aussi rembourser le crédit contracté lors de l’achat de leur maison.
Comment retrouver de quoi se loger dans notre situation ?

On a été très mal conseillé par une assistante sociale, qui nous a dit qu’il vaudrait mieux qu’on enclenche une procédure de surendettement auprès de la Banque de France“, rumine Anne-Sophie. “C’est ce qu’on a fait, on respectait l’accord, sauf que quand mon mari a perdu son travail, tout est tombé à l’eau.” Un nouvel accord leur a donc été proposé, qui réclame la vente de leur bien immobilier… “Mais comment retrouver de quoi se loger dans notre situation ?
Le couple peut aujourd’hui compter sur la solidarité de plusieurs élus locaux – notamment celles de la députée de la troisième circonscription de Côte-d’Or Fadila Khattabi, du maire de Genlis et de celui de Collonges-et-Premières, qui leur apporte parfois des courses en fin de semaine. Mais dans l’attente d’avancées du côté de la justice, ils espèrent surtout faire connaître leur histoire : “Notre vie a éclaté. Alors on va aller jusqu’au bout, pour qu’aucune autre famille ne subisse ce qu’on a subi“.

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