Sur le prix de l'électricité, l'Espagne et le Portugal tirent leur épingle du jeu grâce à "l'exception ibérique".
afp.com/MUJAHID SAFODIEN
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L’Espagne et le Portugal ont-ils raison de faire bande à part ? Ces deux Etats arrivent pour l’heure à conserver des prix de l’électricité trois fois inférieurs aux nôtres et à la plupart des pays européens. Quelques chiffres en guise d’illustration : samedi 27 août, le tarif se situait à 239,18 €/MWh en Espagne et 239,18 €/MWh au Portugal, alors qu’il explosait à 659,94 €/MWh en France ou encore 659,94€/MWh en Allemagne. Pas de baguette magique, une telle différence de prix s’explique en deux mots : “la dérogation ibérique”, système qui a permis aux deux pays de décrocher du système tarifaire européen. 
Autorisée par la Commission européenne, cette mesure entrée en vigueur le 15 juin, prévoit un plafonnement du tarif du gaz, dont le prix s’envole avec la guerre en Ukraine, contaminant aussi l’électricité. À noter que le gaz représente entre 20 % et 30 % de la production électrique. Ce régime dérogatoire leur permet de plafonner à 40 euros par mégawatt-heure le prix du gaz utilisé dans la production d’électricité au cours des six prochains mois, avec un objectif moyen de 50 euros sur 12 mois, soit près de la moitié du coût moyen du gaz depuis le mois de janvier. Au cours de son premier mois de validité, le plafond sur le gaz a contenu l’escalade de l’électricité d’environ 20 % en Espagne et de 18 % au Portugal. 
En guise de compensation, les gaziers recevront la différence entre le prix du marché et le tarif plafonné auquel il sera introduit dans le mix électrique. Le mécanisme n’implique pas l’aide de l’Etat, puisque le montant est payé par les entreprises qui ont obtenu des bénéfices importants avec la hausse des prix et par les consommateurs. “Ce paiement journalier sera calculé sur la base de la différence entre le prix du gaz naturel sur le marché et un plafond de prix du gaz fixé à une moyenne de 48,8 euros/MWh pendant la durée de la mesure”, explique le site de l’Union européenne. La mesure s’appliquera jusqu’au 31 mai 2023.  
L’objectif du pouvoir espagnol est d’alléger la note des ménages de 15 à 20%. En Espagne, les prix ont augmenté de 10,8% entre juillet 2021 et 2022, selon des chiffres de l’Institut national de la Statistique (INE) publiés vendredi 12 août. Une hausse record depuis septembre 1984. Inquiet d’entendre gronder la colère sociale dans les rues, le Premier ministre, Pedro Sànchez, a tenté d’éteindre le feu avec ce mécanisme, se heurtant aux mastodontes énergétiques du pays, Iberdrola et Endesa en tête. Au total, l’Espagne a mobilisé “30 milliards d’euros”, soit “l’équivalent de 2,3% de son produit intérieur brut” (PIB), depuis que les prix ont commencé à grimper. 
Même contexte au Portugal, fortement gangrené par l’inflation. Les prix à la consommation ont continué à gonfler en juillet, avec une hausse de 9,1% sur un an, la plus forte depuis novembre 1992. 
Si les deux pays ibériques ont bénéficié d’une dérogation, c’est que le système européen qui prévalait ne leur était pas favorable. Pour rappel, le prix de l’électricité est fixé sur les marchés européens par le principe du “coût marginal” : cela implique de prendre comme référence le prix de la dernière capacité de production utilisée pour équilibrer le réseau, c’est-à-dire actuellement celui des centrales à gaz. Or, ce mécanisme pénalise fortement l’Espagne et le Portugal, dont les bouquets énergétiques sont composés en majorité d’énergies renouvelables et qui n’ont pas accès aux énergies du reste de l’Europe, faute d’interconnexions suffisantes. 
Concrètement, la capacité d’interconnexion limitée de la péninsule ibérique a joué un rôle puisque le Portugal et l’Espagne échangent moins de 5 % de leur production avec le reste du Vieux continent via les pipelines pour le gaz ou les lignes à haute tension pour l’électricité. En d’autres termes, Madrid et Lisbonne forment ce qu’on appelle un îlot énergétique, bien que le concept ait été réfuté par le président d’Iberdrola, Ignacio Sanchez Galan. À cela, s’ajoutent aussi “la forte exposition des consommateurs aux prix de gros de l’électricité, ainsi que l’influence importante du gaz sur la fixation des prix de l’électricité”, complète l’Union européenne pour justifier son accord.  
Outre l’Espagne et le Portugal, plusieurs pays européens, dont la France et l’Italie, aspirent à une réforme en profondeur des règles du marché européen de l’électricité, pour dissocier les prix de l’électricité de ceux du gaz dans l’ensemble de l’UE. Une idée qui divise Bruxelles car plusieurs Etats y sont hostiles (Allemagne, Autriche, Pays-Bas, Danemark…), préférant tabler sur la libre-concurrence, des mesures d’efficacité énergétique ou des interconnexions de réseaux renforcées sur le continent.  
La France pourrait-elle bénéficier d’une dérogation similaire à la péninsule ibérique ? L’Hexagone ne pourrait pas utiliser l’absence de connexions comme argument, car elle importe et exporte de l’électricité vers cinq pays de l’Union européenne.  
Mi-juillet, le front ibérique avait de nouveau frappé en refusant d’être solidaire avec l’Allemagne, s’opposant à la proposition initiale de la Commission d’une réduction contraignante pour chaque Etat membre de 15% de sa consommation de gaz, pour venir en aide à Berlin. S’ils ont finalement accepté sous conditions, les pays du Sud – que des journalistes avaient renommé PIGS (Portugal, Italie, Grèce et Espagne) en 2008 – ont inversé le rapport de force. 
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