La série "Un agriculteur, un village" dresse les portraits d'éleveurs, viticulteurs, maraîchers, arboriculteurs… Des femmes, des hommes, des familles attachés à leurs terres, à leurs exploitations, à leurs productions, à leur village. Ils racontent leur quotidien, leur histoire et celle d'une filière qui a connu de nombreuses (r)évolutions. Aujourd'hui, rencontre à Saint-Cyprien, avec Bruno Vila, un agriculteur des temps modernes.
"C'est sûr, ça fait bien longtemps que je ne suis pas monté sur un tracteur", s'amuse-t-il derrière son bureau installé au cœur de la coopérative agricole Sud Roussillon. Un bureau à son image, moderne mais sans fioriture. Une tour de contrôle depuis laquelle il domine les immenses serres en verre qui s'étirent à l'horizon.
Quand il n'est pas à Paris, à Montpellier ou au Sri Lanka (voir encadré), tel est le quotidien de Bruno Vila, un agriculteur pas tout à fait comme les autres. Un chef d'entreprise toujours ancré à ses racines paysannes mais aussi résolument tourné vers l'avenir.  "Mon grand-père était berger et gardait les moutons à Palau-del-Vidre", se souvient le pas tout à fait quinquagénaire. Mais son attachement à la terre, il le tient de ses parents, Francis et Annie, producteurs de tomates de "plein champ". À l’ancienne, si vous préférez. De ceux qui s'éreintaient à retourner la terre dans l'espoir de voir leur récolte épargnée par les caprices du ciel. Mais les clichés s'arrêtent là.

Les tomates de la marque Les paysans de Rougeline regroupant les producteurs du Sud de la France représente 15% du marché français.
Les tomates de la marque Les paysans de Rougeline regroupant les producteurs du Sud de la France représente 15% du marché français. Jean-Michel Salvador

Car le père Vila, Francis, voyait déjà plus loin, plus grand. "Mes parents ont été des précurseurs dans la production hors sol, sous des serres chauffées". Une petite révolution à cette époque dans une profession encore prisonnière des traditions, en proie à la crise, aux aléas climatiques et à l'implacable concurrence des voisins espagnols, italiens ou marocains.        
Dans les années 1970-1980, les Vila prennent donc un autre chemin. Ils s'étendent, s'agrandissent, investissent dans des serres qui culminent aujourd'hui à 7 mètres de haut pour que leurs plants chargés de tomates, calibrées et élevées sur du substrat organique, puissent tutoyer le soleil. Des pratiques innovantes, qui inquiètent et dérangent, mais qui ont fait depuis leurs preuves : "Aujourd'hui encore, on pâtit, à tort, de cette image de production industrielle, regrette Bruno, qui a repris le flambeau. Mais la production sous serres est aujourd'hui l'une des plus vertueuses, c'est une agriculture raisonnée, celle qui nécessite le moins d'eau et mobilise le moins de foncier tout en préservant des intempéries. Bref, elle nous permet de rester compétitifs". 
Les années ont passé et, avec les responsabilités, l'insouciant lycéen d'Arago a pris de l'assurance. De la région toulousaine, où il a poursuivi ses études, il revient avec son diplôme d'ingénieur en agriculture sous le bras. Comme Céline, qui deviendra son épouse et associée. Car là encore, celui qui n'est encore qu'un jeune homme de 24 ans innove : "En 1997, quand je me suis installé, on a voulu créer un nouveau projet, en misant sur le collectif". Et à l'heure où les exploitants individuels s'échinent à la tâche dans leur coin, il crée avec l'appui des anciens une association de 4 jeunes agriculteurs aux profils différents. Sa femme, un associé, Valery Goy et bientôt son jeune frère Franck en 2. Tous complémentaires. Une organisation "tout bénef" qui permet de faire travailler aujourd'hui à Sud Roussillon près de 300 personnes quasiment à l'année(1), et qui "nous a permis de faire des économies d'échelle". De mieux s'organiser aussi : "On peut même prendre des vacances ! Un luxe dans cette profession…", se réjouit celui qui se revendique toujours paysan. 
"Continuer à faire évoluer le métier"
Mais pour Bruno Vila, devenu en 2007 président des "Paysans de Rougeline" (premier opérateur de tomates et fraises de France), pas question d'en rester là : "Pour exister et peser face à la grande distribution, il faut non seulement avoir une marque forte, identifiée, mais il faut continuer à s'adapter". Et se diversifier, comme sur ces 110 hectares de vergers bios (kiwi, nectarine, pêche, abricot, poire…) disséminés dans le département, "pour ne pas être dépendant d'un seul modèle de production" et pouvoir répondre "à la demande des consommateurs, qui veulent des légumes bios, des produits avec plus de goût mais aussi du premier prix ou du "Zéro résidu de pesticide", de la culture hors-sol ou en pleine terre". Une gamme en perpétuelle évolution pour coller au plus près aux attentes d'un marché mouvant.

80% des volumes produits par la marque Rougeline sont vendus dans un rayon de 100 km.
80% des volumes produits par la marque Rougeline sont vendus dans un rayon de 100 km. Jean-Michel Salvador

Anticiper, certes, mais innover aussi. Pour réduire les coûts, énergétiques notamment. En développant par exemple à travers une autre société, BioGrow, la production d'un substrat à base de fibre de noix de coco fabriqué par deux usines au Sri Lanka. En investissant aussi dans de nouvelles serres dans le Gard et les Landes en récupérant l'énergie fatale produite par des industriels pour chauffer les installations ou la transformer en électricité(2). En expérimentant encore de nouvelles cultures, sous serres photovoltaïques (asperges, avocats mais aussi mangues et même café et thé) ou en testant du solaire thermique à Palau…
Bref, en inventant l'agriculture du futur, sans se fixer aucune limite. Le tracteur attendra…
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(1) 50 à Saint-Cyprien, les autres répartis sur les autres exploitations du département.
(2) Ce système de cogénération permet à l'exploitation de Saint-Cyprien de produire l'équivalent de la consommation électrique annuelle de 8000 habitants.
Bruno Vila est président de l'organisation de producteur Agrisud et depuis 2007 de la SAS Rougeline, créée en 1989. La marque Les paysans de Rougeline s'étend sur 7 bassins de production (Aquitaine, Occitanie, Provence). La coopérative regroupe 230 producteurs, sur plus de 340 hectares de serres, emploie 3000 salariés pour un chiffre d'affaire de 140 M€.
Elle produit 90000 tonnes de fruits et légumes (dont 78500 tonnes de tomates, 4000 tonnes de concombres, 3700 de fraises et petits fruits rouges mais aussi de la salade et des kiwis…).
Il dirige également la SAS Imago, implantée sur le marché international Saint-Charles, spécialisée dans le bio ainsi que la société Biogrow qui produit au Sri lanka, en Inde, au Brésil et aux Philippines du substrat à base de fibre de noix de coco. Un produit qui trouve des débouchés dans une quarantaine de pays.
Au niveau syndical, il s'investit dans de nombreuses organisations : président de la FDSEA 66 (Fédération départementale des syndicats d'exploitants agricoles), secrétaire général des Producteurs de légumes de France, vice-president de l'AOP Tomates et concombres de France… 
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