De gauche à droite, Cyril Dufau-Sansot, Vincent Delcroix et Denis Grisoni (crédit : Rémi Liogier)
Les plans sont dessinés, et les dossiers montés. Après quatre années de recherches et d’études, l’industriel allemand Hy2gen espère inaugurer début 2027 une nouvelle unité de production flexible de carburants renouvelables, conçus à partir d’hydrogène vert et de biomasse forestière. Ce projet nommé « Hynovera » vise à fournir aux opérateurs aéronautiques et maritimes locaux trois produits : du kérosène, du diesel, puis dans un second temps, du méthanol. Dans le cadre de la reconversion de la centrale thermique de Provence (centrale de Gardanne), la plateforme serait étalée en partie sur les communes de Gardanne et Meyreuil.

Hynovera entrera le 19 septembre dans une phase déterminante de concertation publique, à la suite de laquelle le maître d’ouvrage décidera ou non de poursuivre le projet. Cette étape supervisée par la commission nationale du débat public (CNDP) est imposée par le code de l’environnement lorsque le coût dépasse les 300 millions d’euros. L’unité industrielle Hynovera est estimée à 460 millions. Son ouverture pourrait générer 50 emplois directs, et 150 emplois indirects (maintenance, logistique). Les principaux acteurs impliqués dans le projet ont organisé mercredi 7 septembre une conférence de presse à la mairie de Meyreuil.
Hy2gen : une levée de fonds de 200 millions

Société créée en 2017 à Wiesbaden, en Allemagne, Hy2gen développe, construit, finance et exploite des installations industrielles de production d’hydrogène ou de carburants renouvelables. La première filiale du groupe est créée en Norvège en 2017, la deuxième au Québec en 2018, et la troisième en France en 2019. « Depuis notre création, on est en cash burn (érosion des capitaux, ndlr), explique le co-fondateur et président de Hy2gen, Cyril Dufau-Sansot, nos premiers revenus sont attendus en 2024 ».

La firme internationale porte des projets sur tous les continents. Ses premières usines sont en cours de construction en Norvège, au Canada, en Allemagne et aux Etats-Unis. Le tout représente un gisement de 880 mégawatts. À terme, elle veut développer un pipeline d’environ 12 gigawatts. Hy2gen a levé le 17 février dernier 200 millions d’euros auprès de trois industriels Hy24, Mirova, Technip Energies, de la Caisse de dépôt et placement du Québec (CDPQ), et du négociant suisse de matières premières Trafigura.
Avec ses armes, la commission nationale du débat public défend le droit des citoyens à être informés et à peser dans le projet. Qui peut participer au débat ? « Absolument tout le monde (…) la parole est libre », nous répond Vincent Delcroix, un des deux garants mobilisés par l’autorité administrative indépendante – le second est Philippe Quévremont. La situation géographique des participants n’est pas prise en compte. Autrement dit, dans cette consultation, l’opinion d’un riverain n’a pas davantage de valeur.

Aux côtés de Vincent Delcroix, le CEO et co-fondateur de Hy2gen, Cyril Dufau-Sansot, a déjà pris note des consignes. Cet ingénieur diplômé de Polytech Marseille, expert des énergies, devra consulter chaque proposition alternative. Elles seront formulées sur la plateforme en ligne dédiée, ou lors des réunions thématiques publiques et des concertations mobiles planifiées à Meyreuil, Gardanne, Fuveau et Bouc-Bel-Air. Le maître d’ouvrage aura également pour mission de répondre aux interrogations des riverains.
À l’issue de la concertation, le 21 novembre prochain, le patron d’Hy2gen rendra publique sa décision. « Il peut choisir de poursuivre son projet avec ou sans modification, ou bien de l’abandonner », précise Vincent Delcroix. En d’autres termes, le maître d’ouvrage a le dernier mot. Mais la commission publiera elle aussi un bilan de ses observations concernant le processus de concertation – s’il est à charge, ce rapport peut engendrer un recours de la CNDP à l’encontre du projet.

Vincent Delcroix estime qu’entre 3 et 4% des projets sont interrompus après consultation du public. C’est le cas notamment de l’aéroport de Chaulnes, dans la Somme, dont le modèle économique jugé incertain a entraîné en 2003 une levée de bouclier générale, notamment des riverains. Après la concertation publique, l’idée d’un « troisième aéroport de Paris » tombe finalement à l’eau, et le projet sera abandonné pour de bon.
La concertation ne vaut pas une autorisation de construction.
Toutefois, « la concertation ne vaut pas une autorisation de construction », signale Vincent Delcroix. C’est une marche dans un escalier de procédures. Et pour cause, une fois la consultation passée, le maître d’ouvrage s’engage dans un long processus imposé par l’administration française. C’est à elle de décider, après analyse de chaque volet du dossier, si le projet peut aboutir ou non. C’est une des raisons pour lesquelles la première forme de l’unité ne pourra pas voir le jour avant 2027.
Le projet Hynovera, « né dans la mairie de Meyreuil », se souvient le maire Jean-Pascal Gournes, est le fruit d’une décision lourde prise en 2018 par l’État. Celle de fermer à horizon 2022 toutes les centrales à charbon françaises. Un coup de guidon visant à entamer la transition énergétique des bassins miniers français, tout en développant la production d’énergies renouvelables. « On a un peu râlé, c’était un peu brutal », raconte le vice-président métropolitain délégué à l’industrie.

Et pour cause, la fin du charbon a affecté toute la centrale thermique de Provence. Face au plan de sauvegarde annoncé par le propriétaire et exploitant du site depuis 2019, GazelEnergie, et validé en juillet 2021 par le tribunal de Cergy-Pontoise, près de 80 salariés ont même envahi, puis occupé l’usine pendant plusieurs jours. Les syndicats, notamment la CGT, dénonçaient à l’époque les suppressions de postes engendrées (98 des 150 emplois directs de la centrale, dont 45 licenciements contraints) et la « désorganisation » de la société GazelEnergie, propriété du groupe tchèque EPH.
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Dans le cadre de la reconversion de la centrale thermique de Provence, la filière hydrogène, jugée porteuse par les pouvoirs publics locaux, est alors privilégiée. En décembre 2020, le pacte territorial pour la transition écologique et industrielle de Gardanne-Meyreuil est ratifié par les acteurs institutionnels (Département, Région, Métropole, État), et par GazelEnergie. « Les règles du jeu ont été clairement établies », indique l’élu. Finalement, après « de longues soirées de travail », l’énergéticien s’est engagé à louer à la filiale française d’Hy2gen une partie du foncier – six hectares, soit un peu moins de 10% de la surface totale du site.

Et le mariage ne s’arrête pas là. GazelEnergie pourrait même investir dans le projet Hynovera en tant qu’actionnaire minoritaire. Concernant le reste du foncier, Jean-Pascal Gournes signale que les pouvoirs publics locaux seront « très vigilants » vis-à-vis des dossiers. Au sein de la centrale thermique, il veut à tout prix « éviter des projets d’incinération ou d’utilisation de combustibles non-souhaités ».
En cas de feu vert définitif de l’administration, la société francilienne d’ingénierie industrielle Technip Energie, actionnaire de Hy2gen, sera à la fois chargée de la conception de l’usine, et de l’intégration des différentes briques technologiques. À l’ouverture de la concertation publique, les études de faisabilité sont bien avancées. Selon le chef de projet, Denis Grisoni, elles devraient être finalisées « d’ici la fin de l’année ». L’unité Hynovera présentera notamment deux installations d’une hauteur d’environ 65 mètres chacune. Sa construction pourrait démarrer en 2024, mais elle nécessitera au moins deux ans de travaux.
Les carburants renouvelables peuvent être mélangés aux carburants traditionnels. Mais de nouvelles réglementations internationales sont dans les tuyaux. Les compagnies aériennes, notamment, ne peuvent plus faire le plein comme avant. Elles doivent dès aujourd’hui remplir le réservoir de leurs engins long-courriers avec une part plus importante de carburant durable, et la tendance va se poursuivre. Conformément aux engagements européens FitFor55, le kérosène propre représentera 2% du réservoir en 2025, puis 5% en 2030, et 50% en 2050. Plus les années passeront, plus la part du carburant traditionnel sera faible. Autrement dit, la demande n’est pas prête de manquer.

Dans le secteur aéronautique, l’alternative fiable au moteur thermique n’existe pas encore. Une opportunité de marché que compte bien exploiter Hy2gen. « Jusqu’à ce que l’avion à hydrogène émerge, il n’y a pas énormément de solutions », remarque Cyril Dufau-Sansot. Son offre Hynovera représente en quelque sorte une solution transitoire, notamment pour les compagnies aériennes. Et le projet à de beaux jours devant lui. Si le géant Airbus a récemment dévoilé son ambition de construire un engin alimenté au dihydrogène, le premier prototype ne devrait pas voir le jour avant 2035.
La société Hy2gen veut générer sur son site trois catégories de “carburants propres”, tous issus d’un mélange d’hydrogène vert et de biomasse forestière. À compter de 2027, pendant la première phase du projet, la plateforme Hynovera produira chaque jour 65.000 litres de kérosène propre et 60.000 litres de biodiesel. Ensuite, à partir de 2030, Hy2gen mettra les bouchées doubles. La firme internationale remplacera le diesel par du méthanol, pour un rendement de 200.000 litres/jour. Cette alternative au fioul, utilisée par les transporteurs maritimes, nécessite cependant un retrofit des navires. L’armateur marseillais CMA CGM passe en ce moment ses premières commandes de porte-conteneurs au méthanol.

En 2030, l’usine augmentera également de 54% sa production de kérosène certifié, soit 100.000 litres par jour. Hy2gen dit s’appuyer sur « les attentes des marchés et les évolutions technologiques » pour justifier cette accélération programmée. La plateforme Hynovera produira également de l’oxygène et du naphta paraffinique, qui seront vendus à des industriels locaux. La société allemande assure que « l’intégralité de la production fait déjà l’objet d’accords de commercialisation ». Des contrats signés par des opérateurs aéronautiques et maritimes locaux.
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L’industriel allemand Hy2gen entend favoriser un usage local de ses produits. À terme, 10 % des besoins en carburants de l’aéroport Marseille-Provence pourraient être couverts par la production Hynovera. Par ailleurs, l’unité industrielle serait en capacité d’alimenter au quotidien l’équivalent de la consommation de trois ferries assurant leur liaison vers la Corse.
Si la plateforme industrielle voit le jour, Hynovera sera l’une des premières unités à s’appuyer sur la technologie “BioTfuel“, développée par Bionext, le partenaire technique du projet. Après dix ans de recherche, et des tests concluants sur son démonstrateur de 120 millions d’euros installé à Dunkerque, la société Bionext et ses partenaires (Total, Axens, IFPEN, Avril, CEA et TIS) sont prêts à vendre une licence à Hy2gen. Un accord de principe « MOU » a d’ailleurs été signé en mai 2021 entre les deux parties.

Hynovera apportera cependant une modification à la méthode BioTfuel. L’industriel allemand compte injecter de l’hydrogène vert, produit à partir d’eau et d’électricité renouvelable dans un électrolyseur. Une manière de diminuer les émissions de gaz à effet de serre sans avoir recours au gaz naturel. Finalement, la production Hynovera consistera à l’assemblage de trois procédés industriels. L’électrolyse, pour obtenir de l’hydrogène vert à partir d’eau, la gazéification, pour extraire le carbone des plaquettes forestières, et le Fischer-Tropsch, pour le mélange de l’hydrogène et du carbone.
La consommation électrique annuelle d’Hynovera avoisinera à terme les 1000 gigawattheure. Par ailleurs, en 2030, la gazéification nécessitera quant à elle 750 tonnes par jour de biomasse forestière, soit 275.000 tonnes par an. Enfin, la plateforme pompera dans le canal de Provence environ 870.000 m³ d’eau à l’année. Le maître d’ouvrage assure cependant qu’entre 30 et 40% de cette consommation sera rendue au canal après le procédé d’électrolyse.
On veut décarboner à l’usage et à la production.
Pour produire ses carburants d’une manière durable et certifiée (ISCC EU), Hynovera utilisera donc un mix d’hydrogène vert et de biomasse forestière. Cette dernière proviendra de forêts « éco-gérées ». Mais sans remise en activité de la ligne de train, l’approvisionnement en plaquettes sera effectué en camion – quatre véhicules par jour, puis neuf à partir de 2030. Un rendement qui entache quelque peu le bilan carbone du projet, d’autant que le trafic quotidien engendré par les salariés et les sous-traitants est estimé en moyenne à 80 voitures.

L’industriel vante pourtant la “propreté” de sa production. L’unité Hynovera proposerait une réduction de 93% des émissions de gaz à effet de serre par rapport à ses homologues fossiles. Hy2gen promet également de ne pas dépasser les limites sonores en vigueur. Par ailleurs, « aucune nuisance olfactive n’est attendue », rassure le maître d’ouvrage. Une étude d’impact sera toutefois réalisée dès 2023, afin d’évaluer les différents types de pollutions liés à l’activité sur site. Ce dernier devrait être classé « Seveso seuil bas » selon Cyril Dufau-Sansot.
Hy2gen veut produire de l’hydrogène dans le Var

La société allemande, proche de la Chambre de commerce et d’industrie du Var, compte implanter d’ici début 2024 une unité de production d’hydrogène renouvelable, nommée Sunrhyse, sur le plateau de Signes (83). Ce projet parallèle vise à alimenter les secteurs des transports maritimes et terrestres propres, et à générer une électricité « décentralisée et décarbonée ». À terme, cette activité pourrait créer une vingtaine d’emplois.
Le projet Hynovera est aujourd’hui soutenu par la Région Sud (200.000 euros) et par l’État via le fonds charbon (200.000 euros). Hy2gen sollicite également l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe) pour financer la moitié des études d’avant projet. L’entreprise « a été notifié de l’octroi d’un financement potentiel sous forme de subvention et d’avances remboursables à hauteur de 6,5 millions d’euros », indique l’industriel.

Sur les 460 millions d’euros d’investissements prévus, Hy2gen compte mobiliser 186 millions d’euros de fonds propres. Mais Cyril Dufau-Sansot précise que « le projet ne sera pas à 80% subventionné, ce n’est pas le sujet (…) la part principale du financement sera de la dette bancaire ». Il espère obtenir le permis de construire de son unité l’année prochaine, en 2023.
Hynovera – le dossier de concertation publique
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Journaliste à Gomet’ depuis février 2021. Je suis également chroniqueur dans l’émission hebdomadaire Planète Locale diffusée sur BFM Marseille.
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