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5 min
par Clémentine Spiler
Publié le 25 septembre 2016 à 15h03
Mis à jour le 25 septembre 2016 à 15h03
Capture d’écran page du Bon Coin.
Il n’est pourtant pas très beau, et il ne promet pas monts et merveilles. Mais sous ses faux airs de modestie, Le Bon Coin est une grosse machine, qui a révolutionné notre rapport au web, à l’économie collaborative, et à la consommation. Retour sur un concept qui a fait de grands changements.
Tout commence en 1996 par une toute petite idée, dans une toute petite ville suédoise. Internet n’en est qu’à ses balbutiements. En France, on commence à peine à voir plus loin que le minitel. Les premiers premiers fournisseurs d’accès viennent de faire leur apparition. Pendant ce temps, en Suède, Henrik Nordström, un ingénieur informatique de 44 ans crée Blocket. Ce site permet aux habitants de la région de Skåne, au Sud du pays, d’acheter et de vendre des objets à leurs voisins.
En l’espace de trois ans, Blocket devient un véritable réseau étendu sur tout le territoire. Le groupe de médias suédois Schibsted (qui possède notamment le journal 20 Minutes) flaire le succès. En 2003, il rachète le site à Henrik Nordström pour la modique somme de 19 millions d’euros. Pactole en poche, la légende veut que Nordström ait ensuite quitté la Suède pour faire le tour du monde. “Il paraît qu’il vit sur un bateau en Thaïlande”, sourit Olivier Aizac, le fondateur du Bon Coin.
La recette du succès
Recruté chez Vivendi en 2005, Olivier Aizac est chargé par Schibsted de développer la version française de Blocket. Il y apporte quelques modifications, qui s’avèreront décisives pour le futur succès du site. “On est partis du modèle suédois, mais on a fait quelques ajustements, se souvient-il. Le nom devait porter cette notion d’accessibilité. C’est aussi dans cette optique qu’on a décidé d’enlever le portail d’inscription. Le Bon Coin devait être facile, pratique, et proche de tous.” Le succès est fulgurant.
Olivier Aizac gère aujourd’hui les petits-frères du Bon Coin en Amérique du sud. Mais dans les bureaux parisiens de l’entreprise, on ne tarit pas d’éloges sur le fondateur. Le Bon Coin ne serait jamais devenu ce qu’il est sans Olivier, assure Antoine Jouteau, actuel PDG. C’est la magie du concept. Permettre aux gens d’acheter et vendre gratuitement, près de chez eux, sans inscription, c’était précurseur. Je connais peu de personnes qui auraient misé un billet sur cette idée.
Schibsted l’a fait, et ne regrette rien. Le Bon Coin pèse aujourd’hui près de 180 millions d’euros, et se paye Iggy Pop pour jouer dans ses spots de pub.
https://www.youtube.com/watch?v=kGV6oRZGi94
Près d’un million d’annonces sont déposées chaque jour. Le site fait partie des plus visités de France, aux côtés des Facebook, Youtube, et autres Google. Son succès n’est pas sans rappeler ceux de la Silicon Valley (version miniature). Son management non plus. Le Bon Coin c’est l’esprit start-up par excellence. On y prône le “management non-agressif”, la moyenne d’âge est aux alentours de 35 ans. Dans les bureaux de marbre blanc du très chic VIIIème arrondissement de Paris, les Stan Smith sillonnent les couloirs, et le baby-foot a une pièce dédiée.
L’économie collaborative au secours du gouvernement ?
Et comme tout start-up digne de ce nom, Le Bon Coin sait fêter son anniversaire. Au Palais Brogniart, où le champagne coulait à flot ce jeudi 15 septembre. Drôle de paradoxe, d’ailleurs. Un site ou l’on peut acheter un lot de petites cuillères (ou de pigeons, au choix) rassemble des centaines de personnes dans un des plus beaux lieux de la capitale. Même François Hollande est venu s’enorgueillir de ce succès franco-suédois.
En dix ans, vous êtes devenus l’un des sites les plus visités de France. Tous les français vous remercient.” Tonnerre d’applaudissements. Le Président est tout sourire. Sans doute se réjouit-il d’être au chaud dans un Palais alors qu’une manifestation contre la loi travail a encore secoué Paris ce jour-là. Ou peut être de féliciter le Bon Coin, que son potentiel rival, Nicolas Sarkozy ne connaissait pas il y a quelques mois.
Le travail, c’est un élément clé du succès du Bon Coin. Après avoir révolutionné les marchés de l’immobilier et de l’automobile entres autres, le site est en passe de devenir le plus fréquenté en matière de recherche d’emploi. Alors que Pôle Emploi patauge dans le suivi de chômeurs qui se font de plus en plus nombreux, le site de petites annonces reste pragmatique: “Il met tout simplement en relation recruteur et candidat. C’est simple, c’est local c’est direct. C’est accessible à n’importe quel usager”, analyse Antoine Jouteau.
Comme souvent sur le web, les utilisateurs eux-mêmes ont détourné la plateforme. “On a créé la catégorie ‘recherche d’emploi’ en 2012 suite à l’augmentation de la demande. En quatre ans elle est passée de 30 000 à trois millions de visiteurs par mois. Cela montre qu’il y a un réel besoin” explique le patron du Bon Coin qui se félicite d’encourager les TPE et PME. “On a fait émerger de nouvelles offres. Celles de chefs d’entreprises qui n’ont pas le temps de chercher des candidats. Aujourd’hui ils postent une annonce sur le site, ça ne leur prend que deux minutes.”
“La déconnexion des élites”
Les institutions gouvernementales ont pourtant une drôle de manière de récompenser les services rendus par l’économie collaborative. Le projet de loi pour une République numérique, destiné à moderniser la législation numérique française, a bien failli détruire le modèle économique du Bon Coin. Terrifiés à l’idée de voir se développer une économie qui n’enrichit pas l’État, les sénateurs lui ont greffé un article obligeant les plateformes en ligne à déclarer au fisc les revenus acquis par leurs utilisateurs. Plus tard retiré par l’Assemblée nationale, l’article 23 quater a démontré la méconnaissance des institutions face à une économie collaborative qui crée pourtant de la richesse en France. Car contrairement aux géants étrangers, Le Bon Coin paye ses impôts et emploie ses 450 personnes dans l’hexagone.
Un chef d'entreprise à #Sarkozy : "Nous recrutons beaucoup grâce au Bon Coin". Sarkozy : "c'est quoi #leBonCoin ? pic.twitter.com/xntAuaVKPj
— Dominique Tenza (@domtenz) May 12, 2016

Un Nicolas Sarkozy qui demandeC’est quoi le Bon Coin ?” en plein interview est symptomatique de cette incompréhension. Dans son livre La déconnexion des élites, Laure Belot donne la parole à l’économiste Michèle Debonneuil, pour qui l’économie collaborative répond aux dérives du capitalisme du 20e siècle: “De grands distributeurs, nouveaux intermédiaires entre producteurs et consommateurs, sont devenus de plus en plus puissants. Ils ont établi des rapports de force qui leur ont permis d’accaparer une partie importante de la valeur, avec des marges commerciales ressenties comme excessives.” Et d’ajouter: “Il est extrêmement intéressant que des gens organisent une autre forme de consommation, entre eux, mettent la main à la pâte pour fixer des prix qui leur paraissent raisonnables et justes”.
Difficile à avaler, pour des politiques dont la carrière toute entière est basée sur et dépend du capitalisme. La logique de partage, l’écologie, la volonté de donner une seconde vie aux objets tout en créant du lien social, autant de valeurs qui restent bien éloignées de celles du système politique actuel. Qu’importe, Le Bon Coin est lancé et ne semble pas près de s’arrêter. “On se sent soutenus par nos utilisateurs, ce qui nous donne une puissance et une liberté de parole”, assure Antoine Jouteau. Après avoir révolutionné l’immobilier, l’emploi, et la vente de pigeons, Le Bon Coin serait-il devenu un nouvel outil démocratique ?
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