C’était le dernier bastion tenu par le groupe Etat islamique en Syrie. Les Forces démocratiques syriennes (FDS) ont annoncé ce samedi avoir totalement repris en main Baghouz, signant la chute du « califat » autoproclamé des djihadistes en 2014. Tous ceux qui voudront comprendre comment l’offensive terrestre contre Daech s’est en partie menée trouveront un éclairage particulier dans le récit d’André Hébert, un jeune Français engagé dans le Bataillon international de l’armée kurde syrienne.
À peine imprimé, son récit, extrême et rare, se hisse à la hauteur de l’Histoire. Un récit à destination aussi de ceux qui tiennent la Révolution kurde pour une séquence de l’émancipation, nommée Commune libre du Rojava.
L’auteur de ce témoignage abrité dans la précieuse collection « Mémoire de guerre » des Éditions Les Belles Lettres, voisine avec Winston Churchill et John Steinbeck. Aussi Martha Gellhorn et ses chroniques sur la guerre d’Espagne. De cette guerre civile de 1936, l’écrivain tire une fraternité avec les 30 000 brigadistes antifascistes, accourus soutenir du monde entier les Républicains espagnols.
André Hébert, 27 ans, est un jeune homme maigre et de grande taille, aux cheveux noirs taillés court. Lorsqu’il fume des cigarettes on ne voit que ses longs doigts fins. D’une voix calme et lente, il raconte son engagement, une épopée dont notre époque ignore largement qu’elle pouvait encore exister. Ce fils de la bourgeoisie parisienne, diplômé d’un Master d’histoire contemporaine, a été membre du Bataillon international pour la liberté (International Freedom Batalion), une des unités de l’YPG, l’armée du Kurdistan syrien, dont l’acronyme signifie Unité de protection du peuple.
Nulle volonté de briller en tête brûlée. La source de ce départ en Syrie puise dans la conviction politique. Et la force de son texte est de restituer qu’écraser Daech était la conséquence implacable de vouloir protéger le kurdistan syrien. « Daech symbolise pour nous, militants révolutionnaires engagés […], un des avatars du néofascisme au XXIe siècle. Il fallait le détruire à ce titre et parce qu’il représentait une menace sur le Rojava et sa révolution », détaille-t-il dans son introduction.
C’est pourquoi celui qui se réclame de l’internationalisme s’était fixé pour objectif la chute de Raqqa, la capitale des djihadistes. Ce serait « l’ultime bataille » de cet engagement, celle qui inexorablement mènerait à la chute du « califat ». Sous le nom de Firat (du fleuve Euphrate en kurde), le soldat a donc participé à cette victoire de 2017, lors de batailles à la fois homériques et artisanales, quand il fallait repousser l’ennemi immeuble après immeuble.
André Hébert la raconte avec l’évidence du devoir à accomplir. Une haute mission qui s’éprouve dans les nuits et les jours sans manger, sans dormir, sous une chaleur de plomb quand la peur de mourir s’oublie dans l’action. Quand manier un lance-roquettes sur un toit à découvert est une folie : « J’ai quelques secondes pour courir, dissimulé par un muret, puis pour me redresser, viser et faire feu. Parfois, quand je suis trop lent, l’ennemi me repère et les balles sifflent à mes oreilles. »
L’intérêt du récit ne tient pas seulement aux combats, ni aux tactiques et stratégies singulières de l’YPG, il vaut par l’ensemble d’une existence mise en jeu dans un quotidien de guerre et de vie, la traversée du Rojava et de ses paysages, le camp d’entraînement, les premières missions, la camaraderie qui se mesure en courage, solidarité et deuil, en discussions politiques avec les compagnons, en alternance de missions : postes avancés, sabotages, offensives. Et la joie des victoires, des villages libérés.
Ce témoignage vaut aussi, et surtout, par l’exposé minutieux et documenté, de l’inédite révolution en cours au Kurdistan syrien. L’audace traduite en concret, y compris dans certaines de ses faiblesses, pour « construire un système alternatif à la social-démocratie et au capitalisme », mélange de non-impérialisme et de confédéralisme démocratique. Révolutionnaire aussi, dont un des points les plus saillants est un féminisme offensif, incarné par les bataillons de femmes de l’YPG. « J’ai plusieurs fois constaté à quel point les habitantes, tout juste libérées du joug de Daech, regardaient ces combattantes non voilées avec fascination ». Universaliste également, à l’opposé de l’identitarisme, en permettant aux Arabes, Syriaques, et Turkmènes de vivre ensemble dans des Communes où chacun a droit de vote et de parole.
« Alors que je m’apprêtais à reprendre l’avion pour Paris, nous confie l’auteur quelques jours après la sortie de son livre, mon commandant m’a dit : Raconte tout ce que tu as vu. Dis la vérité. » Le soldat-militant Firat a donc couché sur le papier cette narration hors norme et l’a signée de ce pseudo d’André Hébert, pour que nul souci ne soit fait à ses proches, et qu’il n’en tire, lui, nulle gloire.
Depuis 2014, près de 700 engagés venus du monde entier ont rejoint les rangs du Bataillon international pour la liberté de l’YPG. D’Europe, essentiellement, avec des Anglais, des Allemands, des Français, des Italiens, des Grecs aussi. D’outre-Atlantique, des Américains, Canadiens, Australiens, un Péruvien et un Brésilien. Plus proches, des Turcs, Libanais, Arméniens. Plus inattendu peut-être, 3 Chinois, 2 Israéliens, un Japonais.
Trois des 30 Français qui se sont engagés y ont laissé la vie : Frédéric Demonchaux en 2017, Olivier Le Clainche et Farid Medjahed en 2018. Comme tous les morts de l’YPG – dont 45 étrangers –, ils sont célébrés en héros, les murs des casernes sont couverts des photos de ceux tombés au combat. Chaque décès fait l’objet d’une cérémonie souvent retransmise via Facebook, pendant laquelle les hommes du Bataillon étranger recouvrent leur visage d’un chèche noir pour ne pas être reconnus. Certains d’entre eux, les Turcs, par exemple, encourent jusqu’à 15 ans de prison dans leur pays si leur engagement est révélé.
La France est alliée de l’YPG à laquelle elle a livré des armes et des commandos spéciaux de formation. Ce qui n’a pas empêché les services antiterroristes de vouloir empêcher André Hébert de retourner sur place lors de son second séjour en lui confisquant son passeport. Il a fallu un jugement du tribunal administratif pour lui permettre de retrouver sa pièce d’identité et repartir.
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