Un peu d’étymologie, pour commencer. On a beau comprendre les revendications des grévistes, le mot « grève générale » inquiète quand on pense au train ou au bus annulé, à l’accueil scolaire perturbé, aux pompes toujours désespérément vides des stations-service…
Mais la « grève » évoque aussi la vision, beaucoup plus agréable, d’une plage de graviers ou de sables, plus ou moins fins. Le terme vient en effet du latin populaire « grava ». Ce mot, qui signifie « gravier » ou « grève », a donné son nom à une place située en bord de la Seine, à Paris, où les ouvriers sans travail se réunissaient pour se faire embaucher. Le sens va s’inverser. À partir du XIXe siècle, la place devient le point de ralliement des ouvriers mécontents qui réclamaient des meilleures conditions de travail ou des augmentations de salaires. Ils se mettaient « en Grève ». Voilà comment on est arrivé à l’expression « faire grève ». En 1803, ce lieu, resté aussi tristement célèbre dans l’Histoire pour avoir accueilli, au Moyen Âge, les exécutions publiques, et où la guillotine sera installée, en 1792, tranchant ses premières têtes, deviendra la place de l’Hôtel-de-Ville.
Faire grève pour obtenir gain de cause, qu’il s’agisse ou non d’avantages, ça ne date pas d’hier. Il est bien sûr rigoureusement impossible de savoir qui a fait la première grève de l’histoire de l’humanité. Ce qu’on sait, c’est que le procédé est connu depuis l’Antiquité. Au Ve siècle avant Jésus-Christ, la grève du sexe est le moyen choisi par les femmes pour forcer les hommes à arrêter la guerre entre Athènes et Spartes. Du moins, c’est ce que raconte la comédie grecque « Lysistrata », écrite par Aristophane en 411 av. J.-C…
Mais la plus ancienne grève qui nous soit connue est probablement celle de Thèbes, en Égypte : en 2 100 avant J.-C. les serviteurs d’un temple refusent de poursuivre leur service pour obtenir du gouverneur Psarou deux galettes supplémentaires par jour. On sait que, plus tard, sous Ramsès III (XIIe siècle avant J.-C.), les ouvriers chargés de construire les tombeaux des pharaons cessèrent à plusieurs reprises le travail pour appuyer leurs revendications. Cet épisode historique a vraisemblablement inspiré la séquence culte « Pas contents ! », du film « Mission Cléopâtre », d’Alain Chabat, sorti en 2002.
Au Moyen Âge, des grèves corporatistes éclatent en Europe Des catégories d’artisans ou d’ouvriers cessent le travail pour défendre le monopole de leur activité. Ces actions, souvent violentes, sont en général réprimées très durement. À titre d’exemple, en 1280, à Rouen, une grève des drapiers s’est terminée par l’assassinat du maire.
À Bordeaux, en 1511, les ouvriers chargés d’assécher les fondations du chantier de la cathédrale Saint-André, sise sur l’actuelle place Pey Berland, cessent le travail et n’hésitent pas à saboter les installations pour obtenir des chanoines de meilleures rémunérations et conditions de travail. Une autre grève demeurée célèbre pour sa dureté, est celle des imprimeurs de Lyon. Les ouvriers n’obtiennent pas satisfaction, mais l’agitation persistera jusqu’en 1544.
Sous le règne de Louis XVI, les grèves se multiplient dans des corporations très diverses (imprimeurs, relieurs, bonnetiers, peintres, charpentiers, etc.), annonçant la fin de l’Ancien Régime. Mais, paradoxalement, c’est la Révolution française de 1789 qui va rendre la grève illégale et pour longtemps. La loi Le Chapelier, votée en juillet 1791, supprime les corporations et interdit toute coalition ouvrière, pour préserver l’autorité de l’État.
Napoléon Ier renforcera encore la loi par le Code pénal de 1810. Cela n’empêchera pas de très nombreuses grèves d’éclater en France au cours du XIXe siècle, principalement pour obtenir de meilleurs salaires, avec pour conséquence de faciliter la révolution de 1848.
Depuis 1815, le caractère révolutionnaire de la plupart des grèves entretient la confusion, entre grève, émeute et insurrection. La plus fameuse d’entre elles reste celle des canuts de Lyon en 1834, qui a inspiré la chanson « Le Chant des canuts », écrite par Aristide Bruant en 1894 et reprise par le chanteur Yves Montand.
À la fin du XIXe siècle et au début du XXe siècle, dans les pays industriels, les espoirs du syndicalisme versent dans la mystique de la grève générale insurrectionnelle. La date du 1er mai en devient le symbole, après l’écrasement sanglant de la grève générale de Chicago le 1er mai 1886.
Dans la foulée de la révolution russe, de nombreuses tentatives de grèves générales insurrectionnelles éclatent dans toute l’Europe, jusqu’en 1920. En France, au début du premier conflit mondial, les femmes participent activement, pour la première fois, aux grèves de 1917, les hommes étant mobilisés.
En mai et juin 1936, dans la foulée de la victoire électorale du Front populaire, un large conflit social avec occupation des locaux se développe : premier exemple d’une grande grève générale réussie par les syndicats dans le pays, ce raz de marée sera suivi des accords Matignon. Signés sous l’égide du socialiste Léon Blum, entre la Confédération générale de la production française (CGPF), la Confédération générale du travail (CGT) et l’État, ces accords tripartites font enfin reconnaître les droits syndicaux. Le patronat accorde des droits nouveaux aux salariés de leurs entreprises, en particulier les congés payés, mais aussi la semaine de 40 heures et de fortes augmentations de salaires, en échange de l’évacuation des locaux de travail par les grévistes.
Après la Seconde Guerre mondiale et l’exclusion du Parti communiste du gouvernement, les grandes grèves du printemps et de l’automne 1947 pour la hausse des salaires sont violemment réprimées.
Le 25 novembre 1949, la CGT-FO, née en 1948, lance un mouvement de grève interprofessionnelle pour « la libération des salaires dans le cadre des conventions collectives nationales établies par branches industrielles avec minimum garanti ». En août 1953, un projet de réforme des retraites de la fonction publique soulève une grève générale qui paralyse la France et fait reculer le gouvernement. Bordeaux est en pointe.
Il faudra les 8 millions de grévistes de mai 1968, pour consolider des droits acquis depuis 1936, par les accords de Grenelle. Déclenchée par les étudiants, la grande grève générale qui s’est étendue a arrêté le pays. Le mouvement, sans précédent, a obtenu l’augmentation du SMIG de 35 %, celle des salaires, de 10 %, une réduction du temps de travail (objectif de ramener réellement la durée du travail à 40 heures) et un engagement sur le droit syndical qui se traduit dans la loi du 27 décembre 68, par la création de la section syndicale d’entreprise et du délégué syndical dans les entreprises de 50 salariés et plus.
C’est le dernier mouvement social de grande ampleur dans le pays. Il y a 27 ans, le 15 novembre 1995, Alain Juppé engage la double bataille de la réforme des retraites et du rail. Dès le 24 novembre, à l’appel des fonctionnaires, le mouvement social prend de l’ampleur, avec les cheminots en fers de lance du combat.
Avec un taux de grévistes qui atteint 85 %, les arrêts de travail, accompagnés de journées de manifestations à répétition vont paralyser totalement les transports publics durant plus de trois semaines. Le mouvement culmine le 12 décembre 1995 : deux millions de manifestants dans toute la France. Du jamais vu depuis Mai-68. Après être resté « droit dans ses bottes », le Premier ministre finit par renoncer à toucher à l’âge de départ à la retraite des régimes spéciaux.

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