Challenges Monde
Par Challenges.fr le 23.10.2022 à 15h00 Lecture 6 min.
Grâce au franc fort et à une habile politique énergétique, la confédération reste pour l’instant à l’abri de la hausse des prix qui submerge l’Europe. Une prouesse, malgré un risque de rattrapage en 2023.
Siège de Credit Suisse, à Zurich. Selon les estimations de Credit Suisse, une appréciation de 10% du franc face à l’euro permettrait de réduire le taux d’inflation d’un demi-point de pourcentage.
Face à la vague inflationniste, la Suisse résiste. Selon les derniers chiffres de l'Office fédéral de la statistique (OFS), son rythme annuel a reflué de 3,5% à 3,3% au mois de septembre. Pour la zone euro on est passé de 9,1% à 10%. Deux mondes. Le mieux est qu'à la différence de beaucoup d'autres pays européens, comme la France ou l'Allemagne, le pays n'a même pas eu besoin de bouclier permettant de plafonner les tarifs de l'énergie en creusant le déficit public. La solide confédération dispose d'autres armes.
Son franc, d'abord, qui s'est envolé de plus de 7% face à l'euro, franchissant la parité depuis le mois de juin: une première depuis l'abandon du taux plancher en janvier 2015. Pour l'instant, la Banque nationale suisse (BNS) laisse faire, voire encourage le phénomène. Après avoir cherché pendant longtemps à freiner la hausse de sa devise, redoutée par les milieux économiques et les entreprises exportatrices, l'institut d'émission assume.
Protégés par un franc fort, les fondamentaux suisses - croissance, inflation, emploi - surclassent l'Europe.
Le changement de cap remonte à juin dernier, avec un premier relèvement du loyer de l'argent. Un nouveau tour de vis a été donné en septembre. Le taux directeur, fixé à 0,5%, est alors sorti du territoire négatif dans lequel il évoluait depuis 2015. Et le directeur de la BNS, Thomas Jordan, a indiqué qu'il "n'excluait pas" une nouvelle hausse des taux d'ici à la fin de l'année. Dans son viseur, l'inflation bien sûr. Même si elle est basse, elle reste au-dessus de l'objectif de stabilité des prix, situé entre 0 et 2%.
Avec des taux positifs, le franc fort devient très séduisant. Une source de fierté pour la population, qui au passage y gagne. Il permet de renforcer le pouvoir d'achat des Suisses, dont "environ un quart du panier de biens et de services consommés est composé de produits importés", détaille Mathieu Grobéty, directeur exécutif de l'Institut d'économie appliquée de l'université de Lausanne. CQFD: la force de la devise nationale amortit en partie la hausse des prix. Voilà la version helvétique du bouclier. Financé par des investisseurs internationaux qui raffolent de cette monnaie refuge.
Selon les estimations de Credit Suisse, une appréciation de 10% du franc face à l'euro permettrait de réduire le taux d'inflation d'un demi-point de pourcentage. La dépendance devient bien douce avec cette équation. Pour son approvisionnement alimentaire, la Suisse importe la moitié de sa consommation. L'analyse des chiffres de l'OFS est éclairante: en septembre, les denrées alimentaires ont augmenté de 2,9%, contre 11,8% en moyenne en zone euro. Un écart important qui s'explique par l'appréciation de la devise, qui rend moins chères les importations. Mais pas seulement.
La situation géographique de la Suisse, enclavée au cœur de l'Europe, favorise le "tourisme d'achat", en particulier dans les cantons frontaliers. Malins, les ménages vont faire leurs courses de l'autre côté de la frontière. Un phénomène loin d'être négligeable: Il avoisinerait l'équivalent d'une dizaine de milliards d'euros sur les 12 derniers mois. Du coup, les enseignes helvétiques sont sous pression: "Les distributeurs dans l'alimentaire préfèrent diminuer leurs marges plutôt que de répercuter la hausse des prix sur les consommateurs pour le moment", note Mathieu Grobéty.
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Côté énergie, la pression inflationniste est également moins forte que chez les voisins. En vingt ans, la part du renouvelable est passée de 20% à 30% de la production, grâce notamment à de multiples barrages: la force hydraulique de ce pays au relief montagneux et aux nombreux cours d'eaux assure ainsi 62% de son approvisionnement en électricité. Par ailleurs, le nucléaire contribue à hauteur de 29% à la production. Un mix qui permet à la Suisse de réduire son exposition au gaz, qui ne représente qu'environ 15% de l'ensemble de ses besoins énergétiques, dont la moitié environ provient de Russie, selon les données de l'Office national de l'énergie. Sachant qu'en moyenne le taux de dépendance au gaz est de 22% dans l'Union européenne, c'est une carte maîtresse.
Mais attention, le pays est loin d'être autonome, puisqu'il importe encore 70% de son énergie. Et le marché de l'électricité subit lui aussi la hausse des prix de gros depuis cet été. Pourtant l'augmentation des tarifs sur douze mois reste largement inférieure en Suisse (24%) que dans la zone euro (41%). Un écart qui s'explique par la régulation. Les prix de l'électricité pour les ménages sont fixés, une fois par an, pour l'année suivante, donc ils sont moins soumis à court terme aux fluctuations internationales. C'est reculer pour mieux sauter. Fin août, Romande Energie, le premier distributeur de Suisse romande, a déjà annoncé "une hausse historique des tarifs de ventes". La facture augmentera de 49% en 2023. Mais le moral est bon. "Aucun augure de récession immédiate ne plane au-dessus de la Suisse", clame une récente note de conjoncture de SwissLife.
Le géant Crédit Suisse au purgatoire de la finance

Deuxième banque helvète, Credit suisse enchaîne les crises. Dernier éclair dans un ciel orageux: le 12 octobre, Goldman Sachs a estimé qu'elle pourrait perdre 8 milliards de dollars en 2024. En parallèle, la justice américaine suspecte la branche du groupe aux Etats-unis d'avoir organisé de l'évasion fiscale. Un nouveau scandale qui vient s'ajouter à une impressionnante série. La banque s'est ainsi fait épingler par le régulateur américain en raison de l'utilisation non autorisée de messageries personnelles comme WhatsApp. L'établissement a aussi écopé d'une amende de 475 millions de dollars dans l'affaire des prêts accordés au Mozambique grâce à des pots-de-vin. Ces accrocs peuvent aussi prendre la forme de catastrophes financières.

L'an dernier, Credit Suisse a été meurtri par deux chocs quasi simultanés liés à des paris hasardeux: la faillite du fonds spéculatif Archegos lui a coûté près de 5,5 milliards de dollars; et l'effondrement de la société d'affacturage frauduleuse Greensill l'a exposé à hauteur de 10 milliards de dollars. Parallèlement, les déboires de gouvernance se sont enchaînés, avec notamment, le départ en 2020 de son patron franco-ivoirien, Tidjane Thiam, écarté à la suite d'une rocambolesque affaire d'espionnage. Aujourd'hui c'est un duo suisse allemand, Axel Lehmann et Ulrich Körner, qui tient la maison, toujours déstabilisée par des guerres intestines. Mais on se serre les coudes à Zurich, alors que depuis fin septembre, des rumeurs de banqueroute ont fait plonger l'action. L'état-major prépare une nouvelle stratégie, qui ressemble à un sauvetage, avec des cessions d'actifs et le probable soutien d'autres acteurs de la finance. Les noms de BNP Paribas ou du fonds américain Apollo circulent. Une communication est prévue pour le 27 octobre. Il faut faire vite, car depuis le début de l'année la capitalisation a encore fondu de moitié. Le géant zurichois de la finance ne pèse plus qu'une douzaine de milliards d'euros, contre 54 milliards pour BNP Paribas.
 
Par Laure Wagner, notre correspondante à Genève
Suisse
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