Perchée sur des talons aiguilles, vêtue d’un caraco en dentelle que laisse deviner une cape noire à la mode, Coralie Pacaut promène sa silhouette longiligne – 1,69 m pour 51,5 kg – dans l’hippodrome de Deauville (Calvados).
Féminine, aussi chic que ses collègues masculins déambulant en costume cravate lorsqu’ils ne sont pas à cheval, cette cavalière de 20 ans est le symbole d’un monde qui s’ouvre, non sans heurts, au « deuxième sexe ».
Sa valise à la main, la jeune femme grimpe l’escalier qui la mène au vestiaire, en faisant attention à ne pas déraper avec ses talons. Dans cette pièce où les filles se croisent entre les épreuves, pressées de se peser ou de prendre une douche, Delphine Santiago, « la vétérante », peste.
« Mais quelle galère, ce vestiaire loin des selliers et des commissaires ! Les mecs, eux, ils sont juste à côté ; nous, on doit faire des kilomètres… A Fontainebleau, on a même été reléguées dans le box des chevaux ! »
Se déshabillant prestement, Coralie sourit. Elle est habituée aux emportements de Delphine, indéboulonnable féministe, dont la carrière, à 40 ans, force le respect.
« Je fais ce métier depuis vingt-quatre ans, mais j’ai bouffé des cailloux pour en arriver là, témoigne cette dernière. Les autres filles, elles ont toutes jeté l’éponge : c’était trop dur, trop machiste. Il n’y a que Nathalie Desoutter (en obstacle) et moi (sur le plat) qui nous sommes accrochées. »
Avant elles, Darie Boutboul, première femme non professionnelle à avoir remporté un tiercé à Longchamp, en 1984, avait déjà « secoué le cocotier ».
Aujourd’hui, Delphine couve d’un regard protecteur la relève, incarnée par Coralie Pacaut. Seule femme à figurer dans le top 15 du galop en France, oscillant au fil des semaines entre la 8e et la 13e place, celle-ci s’incline devant son aînée. « On ne serait pas là si Delphine ne nous avait pas ouvert la voie », souligne la jeune jockey.
Talent prometteur, initiée au poney à Chambly (Oise) l’été de ses 7 ans, Coralie aurait pourtant pu ne jamais s’aventurer sur les pistes en gazon ou en sable fibré qu’elle foule désormais chaque jour.
D’abord parce que ses parents, étrangers à l’univers des courses, rêvaient d’une autre vie pour leur fille. « J’ai annoncé à ma mère que je voulais intégrer l’Afasec (le centre de formation aux métiers hippiques, NDLR) lors d’une balade à vélo, quand j’avais 13 ans, se souvient Coralie. J’ai cru qu’elle allait tomber de sa selle ! »
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Ensuite, parce que seulement 1 % des élèves de l’Afasec deviennent jockeys. « Et il faut convaincre l’entraîneur et le propriétaire du cheval de vous faire confiance alors que, depuis des décennies, ce sont les hommes qui montent », rapporte Didier Budka, directeur de l’Afasec. Raison invoquée : leur avantage physique, surtout dans le haut du corps, qui permet de faire la différence dans les dernières foulées.
Jouant une carte différente, celle de « la douceur pour détendre les chevaux », Coralie Pacaut se fraie pourtant un chemin lors de son apprentissage, à 16 ans. Grâce à Stéphane Pasquier, lui-même cavalier professionnel, qui, après l’avoir vue monter, la recommande à l’entraîneur Philippe Demercastel.
Celui-ci accepte de lui donner sa chance sur quelques meetings. Trop peu, toutefois, pour engranger de l’expérience et espérer percer. Alors, à 18 ans, elle part travailler dans un haras à Miami (Etats-Unis), « sans parler un mot d’anglais », afin d’élargir son horizon.
Un mois et demi plus tard, la voilà de retour en France. Cherchant à briser le plafond de verre des femmes jockeys, France Galop – la société organisatrice des courses – vient de se résoudre à leur octroyer une remise de poids.
Autrement dit, à partir de 2017, elles ont le droit de concourir avec 2 kg de moins que les minima fixés, contrairement aux hommes qui doivent s’en tenir à la règle. « Je me suis dit qu’il fallait saisir ma chance », se souvient Coralie.
Mais, dans les box, les esprits s’échauffent. Les meilleurs cavaliers, Christophe Soumillon et Maxime Guyon en tête, se rebiffent contre cette politique de discrimination positive. « J’ai battu deux fois Soumillon à mes débuts, ça l’a bien énervé », se souvient, amusée, Coralie.
Une décharge de deux kilos équivaudrait, selon les estimations en vigueur dans le milieu, à une avance de deux longueurs de cheval à l’arrivée. Certains hommes y voient un avantage trop important pour les femmes, d’autant qu’il se cumule avec la remise de 2 kg dégressifs dans le temps déjà octroyée aux apprentis.
Craignant de perdre leur hégémonie, ils saisissent donc l’association des jockeys pour faire pression sur France Galop qui, au bout d’un an, lâche du lest. Depuis mars 2018, la décharge pour les femmes a été ramenée à 1,5 kg. Et les épreuves les plus prestigieuses en sont exclues, ainsi que les quintés.
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Coralie Pacaut en a fait l’amère expérience en juin dernier, lors du Prix de Diane, à Chantilly (Oise). « La seule course que, depuis toujours, je veux remporter », confie-t-elle. Alors qu’à l’entraînement, elle monte quotidiennement Etoile, sa « pouliche fétiche » qualifiée pour l’événement, elle est écartée au profit de Mickaël Barzalona, qui se classera 4e. Sans la remise de poids, le propriétaire ne veut pas prendre le risque de l’engager.
Son entraîneur, Jean-Claude Rouget, se montre moins réticent, même s’il considère aujourd’hui que « c’était encore un peu tôt ». « Il faut qu’elle s’accroche, il ne lui manque pas grand-chose pour se frotter aux meilleurs », estime-t-il, conscient de faire bouger les lignes. Il l’a prise sous son aile il y a un an.
« Pourtant, quand je suis allée le voir, il m’a d’abord dit : “Tu sais, j’ai mes jockeys, je ne vais pas te faire monter”, se souvient Coralie. Mais au bout d’une semaine, il m’alignait en course ! » Lequel entraîneur ne tarit pas d’éloges sur sa nouvelle protégée : « C’est simple, à chaque fois qu’elle monte, je ne suis pas déçu. Elle ne m’a jamais rendu une mauvaise copie. » Au point, d’ailleurs, qu’il ose la lancer dans quelques courses pour lesquelles la décharge ne s’applique pas.
Ayant déjà perdu la remise de poids « apprenti » en fin d’année dernière, Coralie sait que, tôt ou tard, il lui faudra gagner sans cela. Pour rivaliser avec le top 3 et prétendre au palmarès des épreuves phares, le Prix de Diane ou celui de l’Arc de Triomphe. Elle s’y prépare, redoutant « le trou d’air ». Mais pour l’heure, elle a le vent dans le dos.
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